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Billet de blog 26 juillet 2014

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Un passé polonais revisité selon Ida de Pawel Pawlikowski

Sortie DVD de Ida, de Pawel PawlikowskiDans un couvent catholique de la Pologne des années 1960, une jeune femme, avant de prononcer ses vœux pour devenir Sœur, part à la recherche de l’unique membre de sa famille dont elle ignore tout : sa tante Wanda. À peine retrouvée, celle-ci lui annonce derechef qu’elle est d’origine juive et que sa famille a disparu durant la Seconde Guerre mondiale dans des circonstances à élucider. 

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Sortie DVD de Ida, de Pawel Pawlikowski

Dans un couvent catholique de la Pologne des années 1960, une jeune femme, avant de prononcer ses vœux pour devenir Sœur, part à la recherche de l’unique membre de sa famille dont elle ignore tout : sa tante Wanda. À peine retrouvée, celle-ci lui annonce derechef qu’elle est d’origine juive et que sa famille a disparu durant la Seconde Guerre mondiale dans des circonstances à élucider.

Illustration 1
© Sylwester Kaêmierczak

Pawel Pawlikowski a été mis au devant de la scène internationale avec son film My Summer of Love. Ce film témoignait de partis pris esthétiques étroitement liés à leur sujet et en l’occurrence, la lumière de fin d’été joue un rôle majeur en plus de créer une ambiance, rivalisant avec la place même d’un personnage. Après le britannique, lumineux, estival, contemporain et plein de couleur My Summer of Love, voici Ida qui pourrait paraître comme son exact contraire, puisqu’il s’agit d’un film en Noir & Blanc réalisé en Pologne en hiver au format 1,33 sous le joug soviétique des années 1960. Mais les deux films, par leurs oppositions sont extrêmement liés, puisque ces choix affirmés reflètent aussi leur importance pour le cinéaste, qui pense toujours à ses cadrages et au potentiel expressif de l’image de ses films. Il y est aussi question d’un couple de femmes dont la confrontation conduit à des révélations réciproques quant à l’identité cachée de chacune. Véritable œuvre de maître, Pawel Pawlikowski réussit à replonger le spectateur dans l’atmosphère de la Pologne des années 1960 en reconstituant brillamment ce que l’on pouvait ressentir dans les meilleures œuvres des cinéastes de cette époque, qu’il s’agisse de Roman Polanski, Wojciech J. Has, Jerzy Skolimovski ou encore Andrzej Wajda. Ce retour au source pour ce cinéaste d’origine polonaise est aussi un moyen sincère de retrouver cette époque, non avec une nostalgie compassée, mais avec une ferme volonté de l’interroger en la confrontant à ses fantômes. Dès lors, le choix des personnages n’est pas anodin, car à travers la figure innocente de cette orpheline cherchant à devenir Sœur et cette femme désœuvrée, ex militante communiste convaincue ayant eu un rôle non négligeable durant les purges staliniennes, deux visages de la Pologne se dessinent, qui à n’en pas douter doivent encore habiter ce pays actuellement. Si le secret familial est évidemment lié aux massacres subis par les Polonais durant la Seconde Guerre mondiale, l’identité des bourreaux n’est pas aussi manichéenne que les raccourcissements de l’Histoire officielle aimerait tant à le faire croire. À tel point que la vision de ce film auprès du public polonais est loin d’avoir créé un consensus. C’est que le film touche à l’inconscient traumatique de toute une population reposant sur une identité choisie sous occupation militaire. Et cet inconscient collectif a longtemps pu se nourrir de traumatisme puisque l’histoire de la Pologne durant plusieurs siècles est une succession d’occupations armées et en l’occurrence par des religions différentes, entre protestantisme issue d’Allemagne, orthodoxie de Russie et le catholicisme, dernier rempart supposé d’une certaine identité polonaise.

Illustration 2
© Sylwester Kaźmierczak

Sous ce discours historique, se trouve également un film construit en une succession de tableaux où les cadrages ne laissent rien au hasard et où le Noir & Blanc rappelle tout le bonheur plastique qu’est capable de procurer le cinéma. Ce plaisir esthétique se révèle être un parfait contrechamp à l’impression de déliquescence absolue de la société polonaise des années 1960 où aucune perspective d’avenir n’est capable de s’annoncer aux différents personnages, même dans l’amour d’une relation fraîchement apparue. Dès lors, le choix de la quête religieuse sonne comme l’envie de renoncer au monde social impossible autant qu’au renoncement à la vie en tant que telle. La foi est au cœur des interrogations de Pawel Pawlikowski dans ce très beau film, mais une foi qui n’est pas le monopole de la religion : une foi qui lie un individu à un monde. Il reste à connaître pour chacun quel est ce monde. Dans cette histoire marquée par le passé, le cinéaste ne condamne pas ses personnages : il les aime dans ce qu’ils font et dans la culpabilité qu’ils portent. La mutique Anna et l’énergique Wanda sont ainsi deux personnages de femmes antithétiques très touchantes par l’humanité qu’elles révèlent. Leur interprétation participent également à la réussite du film. Une œuvre discrète mais qui ne l’empêche aucunement, osons le dire, d’être un chef-d’œuvre qui incite à connaître et suivre le travail passé et à venir de Pawel Pawlikowski.

Illustration 3

Ida

Ida

de Pawel Pawlikowski

Avec : Agata Kulesza (Wanda), Agata Trzebuchowska (Anna/Ida), Dawid Ogrodnik (Lis), Jerzy Trela (Szymon), Adam Szyszkowski, Halina Skoczynska

Pologne, Danemark - 2013.

Durée : 79 min

Sortie en salles : 12 février 2014

Sortie France du DVD : 1er juillet 2014

Format : 1,33 – Noir & Blanc

Langue : français, polonais - Sous-titres : anglais, français.

Éditeur : Memento Films

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