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Billet de blog 26 janvier 2018

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Les amertumes des indépendances du cœur dans l’Inde des années 1960

Amitabha Roy, scénariste désabusé, tombe en panne de voiture. Bimal Gupta, riche planteur de thé, lui propose l’hospitalité. Arrivé à demeure, Amitabha découvre que Karuna, l’épouse de son hôte, n’est autre que la femme qu’il a jadis aimée.

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Illustration 1
"Le Lâche" de Satyajit Ray © Les Films du Paradoxe

À propos de l'édition DVD : Le Lâche de Satyajit Ray

Réalisé après Charulata (1964), Le Lâche (1965) entre en résonnance avec ce précédent film à la fois par le sujet du triangle amoureux (époux, épouse et amant) ainsi que la présence de Soumitra Chatterjee et Madhabi Mukherjee, les acteurs qui interprètent respectivement l’amant et l’épouse dans les deux films, ledit récit brossé dans le contexte socio-économique d’une Inde en pleine effervescence dans une évolution qui n’est pas au bénéfice de la majorité de la population. Les deux films dialoguent entre eux, même s’ils sont complètement indépendants l’un de l’autre. Ici, c’est le passé qui ressurgit affirmant qu’un amour trahi ne se régénère plus. Ainsi, à l’aube de leur vie d’adulte, Amitabha et Karuna se sont follement aimés, Karuna prête à quitter son confort de vie matérielle pour vivre avec Amitabha alors que celui-ci n’était pas prêt à assumer cette décision. Il en résulte quelques années plus tard deux êtres amers non réconciliables, l’une assumant l’envol de la passion au profit d’une honnêteté à l’égard d’un mari bonhomme grossier, tirant sa richesse d’une exploitation de ses contemporains qui n’a rien à envier au système colonial anglais passé, et l’autre scénariste qui vend son écriture sans autre motivation que la rétribution monétaire qui en découle dans des scénarios dépourvus d’âme. À travers ces deux couples, l’actuel et le passé, Satyajit Ray parvient à dresser avec perspicacité et un sens de l’analyse tout en subtilité, l’état de la société indienne contemporaine post-Indépendance. Cet amour qui ne peut plus se raviver à partir de braises pourtant chaudes c’est la passion d’un pays en quête de son indépendance, des valeurs humaines de démocratie après le joug colonial d’une royauté, qui se trouve vingt ans plus tard questionnée. C’était d’ailleurs déjà le cœur de l’analyse politique et historique que proposait Charulata situé dans le Calcutta de 1879 où de riches intellectuels exprimaient ouvertement leur désir d’indépendance. Ainsi, l’art de la mise en scène de Satyajit Ray permet une fois de plus de proposer plusieurs lectures qui se superposent et se complètent, mêlant finement micro et macro histoires, psychologies de ses personnages et choix politiques de tout un pays. Ainsi, le triangle épouse-époux-amant n’a rien du vaudeville, Satyajit Ray croisant la mise en scène psychologique de son « cousin suédois » Ingmar Bergman et une analyse sociale d’autant plus acérée que le cinéaste doit se sentir bien isolé dans une industrie cinématographique indienne dominée massivement par Bollywood. Le personnage ici du scénariste désabusé qui par un contrat faustien aurait vendu son âme à une industrie sans scrupule du divertissement est là pour en témoigner.

Illustration 2

Le Lâche
Kapurush
de Satyajit Ray
Avec : Soumitra Chatterjee (Amitabha Roy), Madhabi Mukherjee (Karuna Gupta), Haradhan Bannerjee (Bimal Gupta)
Inde – 1965.
Durée : 74 min
Sortie en salles (France) : 13 avril 1994
Sortie France du DVD : 20 novembre 2014
Format : 1,33 – Noir & Blanc
Langue : bengali - Sous-titres : français.
Éditeur : Les Films du Paradoxe

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