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Billet de blog 28 juillet 2017

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Moby Dick, le travail avaleur d’homme

Dans la mer de Barents, l’un des rares chalutiers français encore en activité dans cette région du globe poursuit inlassablement son activité de pêche intensive.

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Illustration 1
"Seuls, ensemble" de David Kremer © Survivance

Sortie DVD : Seuls, ensemble de David Kremer

Dans la mer de Barents, l’un des rares chalutiers français encore en activité dans cette région du globe poursuit inlassablement son activité de pêche intensive. À son bord, une microcommunauté d’hommes enfermés ensemble dans un même espace cahotant au fil des vagues et des mouvements du vent. David Kremer s’est engagé auprès de ces hommes dans leurs activités quotidiennes avec qui plus est une caméra. Il avait précédemment pu explorer l’univers marin dans ses précédents courts métrages dont l’un figure en bonus de cette édition DVD : L’Étoile de matin 2013 qui constitue un véritable contrepoint éclairant au long métrage. En effet, il s’agit dans ce court d’une femme seule qui ne semble pas soumise à la contrainte du travail et qui a délibérément choisi de se séparer de sa famille sur terre le temps de relever le défi d’une longue traversée. La démarche du réalisateur n’est donc pas celle d’un néophyte découvrant pas à pas un lieu. Bien au contraire, David Kremer a choisi d’immerger le spectateur à travers son film dans la réalité immédiate du chalutier : on ne verra ainsi jamais ce qui relie les hommes de cet équipage à la terre. C’est aussi à ce titre qu’ils sont seuls… mais ensemble. David Kremer offre une expérience sensorielle de cette vie hors normes passée entre huit et douze semaines sur un chalutier, à effectuer une pêche intensive suivie d’une transformation immédiate dans cette micro usine d’empaquetage de poissons sur l’eau. Sans le moindre regard caméra, l’univers décrit prend les allures d’une fiction où chaque geste prenant appui sur une sempiternelle répétition, s’égrène sous le bruit assourdissant et omniprésent de cette prison sur l’eau. Ce chalutier nommé Hermine devrait s’appeler Moby Dick : imperturbable sur l’eau, rançonnant sans répit une quantité astronomique de poissons qui ont eu la malchance de se trouver sur son passage, ce chalutier a la dimension d’un monstre qui aurait absorbé des êtres humains devenus ses esclaves. En effet, chacun effectue des tâches à des finalités qui dépassent le cadre du bateau, les commanditaires étant les grands absents. Toute la problématique éminemment bien synthétisée dans le titre se situe dans cet isolement, pour ne pas dire « arrachement » de ces hommes qui ne vivent pas dans leur milieu naturel. On peut alors se demander ce qui les motive à rester une grande partie de l’année séparés de leur vie. D’autant plus que l’on ne voit jamais à l’écran des signes distinctifs d’une vie qui les associe à ce qu’ils ont laissé sur terre. Il s’agit bien là d’un Léviathan qui implicitement nous parle du monde moderne où l’on est trimballé d’un espace de travail à un autre à travers le monde sous le pseudo prétexte d’aider le monde à tourner et à le nourrir. C’est avec beaucoup de pudeur que le réalisateur à livrer cette détresse humaine qui affleure à peine en seconde partie au moment où quelques bribes de confessions apparaissent. David Kremer a su rendre compte avec une pertinence anthropologique la vie des hommes dans leur travail qui a finit ici par littéralement les absorber.

Illustration 2

Seuls, ensemble
de David Kremer

France – 2015.
Durée : 77 min
Sortie en salles (France) : 27 janvier 2016
Sortie France du DVD : 6 septembre 2016
Format : 1,85 – Couleur
Langue : français - Sous-titres : français.
Éditeur : Survivance
L’Étoile de matin (2013, 40’) de David Kremer

lien vers le site de l’éditeur

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