Sortie DVD : L’Aigle des frontières, d’Allan Dwan
À Tombstone, ville qui a poussé comme un champignon à la suite de la découverte d’un filon d’argent, les colts règnent en maître et la mort est devenue anodine. Un homme accepte de devenir marshall pour faire appliquer la loi et l’ordre. Cet inconnu est Wyatt Earp qui se lie rapidement d’amitié avec John 'Doc' Halliday, un tueur réputé.
Sous le titre énigmatique de ce film, se cache une histoire qui reste l’une des plus exploitées dans le western américain avec des résultats divers mais régulièrement mémorables. Il s’agit de l’histoire de Wyatt Earp et John 'Doc' Halliday à Tombstone. Ce film d’Allan Dwan est le premier en date où l’on utilise explicitement le nom Wyatt Earp, parce que la veuve ayant les droits sur l’histoire de son défunt époux a bien voulu les céder, comme il est expliqué dans les bonus de cette édition DVD. L’histoire réelle de ces personnages ont diversement été adapté au cinéma sur des noms différents, notamment autour de l’événement crucial qui a façonné la légende : le « règlement de compte à OK Corral » qui est présent dans le film d’Allan Dwan, marquant un dénouement notable dans le récit. Si les personnages disposent de leurs vrais noms, les scénaristes ont pris quelques libertés quant aux événements historiques. Allan Dwan est déjà en train de détricoter la légende autour de ses personnages à l’heure où en 1939 le western commençait à acquérir une véritable reconnaissance dans le monde du cinéma, dépassant sa catégorie de sous-genre pour inspirer les réalisateurs les plus talentueux du moment.
L’introduction de L’Aigle des frontières narrant la naissance de Tombstone, entre récit mythologique et humour noir (la vie de cette ville c’est quand même la mort !), est l’objet d’une belle trouvaille d’Allan Dwan, prenant en compte le rapport distancié et malaisé du citoyen américain avec sa propre histoire fondée sur la sauvagerie de l’usage des armes à feu. Tombstone est dès lors présentée comme une cour de récréation où les garçons bourrés de testostérone règlent leurs différends avec des armes qui ne sont plus des jouets. Si le film repose sur un événement historique important pour la mémoire collective américaine, on peut s’interroger sur la distance prise à l’égard de la fascination pour ce mythe. Le traitement sarcastique du début laisse entendre de la part de Dwan une légère critique de ladite légende de l’Ouest. De même, ceci est renforcé par un jeu distancié de Randolph Scott incarnant Wyatt Earp, sans charisme et sans jamais chercher à en avoir. L’entrée en scène pour la première fois de son personnage se fait avec encore une fois une pointe d’humour : un homme devient marshall parce qu’il n’arrive pas à dormir tranquillement. Il fait son entrée en descendant d’un toit et affronte les balles avec certes un indéniable sang froid, mais sans jamais montrer qu’il est un tireur hors pair, ou ayant des réflexes hors du commun pour éviter les balles : tout au long du film les balles sifflent près de ses oreilles sans jamais lui laisser la moindre égratignure alors que les morts se multiplient autour de lui. La nonchalance de Randolph Scott est dès plus déroutante parce qu’elle s’oppose à toute création de personnage mythique. Certains verront en cela une faiblesse du metteur en scène vis-à-vis de ses acteurs, mais on peut aussi y voir une volonté précise attestée par de longs plans où Randolph Scott est filmé se déplaçant longuement mais avec de longues enjambées. John 'Doc' Halliday, joué par Cesar Romero, est son exacte antithèse : tueur nerveux, sombre, vif, aux traits acérés, peu rieur. Rapide comme l’éclair, il est cependant celui qui évitera le moins les balles dans cette histoire : ceci n’est pas anodin et participe assurément au regard ironique que porte ce modeste western vis-à-vis de ses personnages légendaires. À cet égard, le film s’incarne tout à fait dans le jeu de Randolph Scott. Et si celui-ci n’est pas de la trempe d’un certain John Wayne, c’est que les enjeux du récit ne sont pas du tout les mêmes, le film osant fuir la constitution du récit mythologique de la naissance d’une nation, au moment précis où le western comme genre commence à se prendre au sérieux, parfois au profit d’idéologies nationalistes univoques plus que contestables. L’autre élément qui appuie cette thèse est le mot « frontière » du titre qui pourrait sembler énigmatique puisque dans le film cet élément n’a pas de place dans le récit. Or Tombstone est une ville frontière dont la violence serait sans doute due à l’impunité dans laquelle cette frontière s’est imposée au mépris des populations mexicaines au cours du XIXe siècle. Ainsi, le western comme volonté de récit mythique pour une nation devient une réflexion sur ce qui légitime ladite frontière, d’autant plus lorsqu’il faut prendre en considération la violence gratuite de ceux qui s’en font les gardiens immémoriaux. Ainsi, ce film du modeste artisan Allan Dwan, qui livre un récit bien ficelé mais refusant comme les honneurs les ambitions du genre, fait preuve d’une probité qui laisse pantois.
L’Aigle des frontières
Frontier Marshall
d’Allan Dwan
Avec : Randolph Scott (Wyatt Earp), Nancy Kelly (Sarah Allen), Cesar Romero (John 'Doc' Halliday), John Carradine (Ben Carter), Binnie Barnes, Edward Norris, Ward Bond, Lon Chaney Jr., Dell Henderson, Chris-Pin Martin
USA – 1939.
Durée : 71 min
Sortie France du DVD : 27 mai 2015
Format : 1,33 – Noir & Blanc
Langue : anglais - Sous-titres : français.
Éditeur : Sidonis Calysta
Bonus :
Présentations par Yves Boisset et Patrick Brion
lien vers le site de l’éditeur : http://sidoniscalysta.com/western-de-legende/350-laigle-des-frontieres-.html