Sortie du combo Blu-ray/DVD : Le Sang à la tête de Gilles Grangier
Tout d’abord, dans cette magnifique édition vidéo, figure le dernier entretien que Bertrand Tavernier a réalisé au début de l’année 2021 pour continuer à jouer le rôle d’humble passeur et de grand amoureux bienveillant du cinéma dans toute sa diversité. Et c’est encore là de sa part un magnifique accompagnement qu’il offre au cinéma français des années 1950 qui a subi tant de foudres, que celui-ci est resté longtemps inconnu des générations suivantes. Or, Le Sang à la tête est la preuve manifeste d’un cinéma réalisé avec force avec une brillante association entre réalisateur, acteur et dialoguiste. Il s’agit en effet de la deuxième collaboration de Jean Gabin avec Michel Audiard autour des dialogues de celui-ci après Gas-oil (1955) du même Gilles Grangier.

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C’est alors peu dire que les mots de Michel Audiard trouvent une puissance infinie lorsqu’ils sont habités par Jean Gabin, tant ce dernier se les approprie parfaitement dans ce nouveau personnage qu’il est en train de se forger avec force dans les années 1950 d’homme influent, du côté de la loi et de la reconnaissance bourgeoise ou dans l’ombre des chefs mafieux. Les dialogues d’Audiard lui permettent d’ailleurs de faire vivre avec une élégance extraordinaire les origines populaires de son nouveau personnage dans son costume de notable. En cela, qu’il s’agisse des dialogues comme de la mise en scène de Gilles Grangier autour de Gabin, Le Sang à la tête semble écrit avec en seconde lecture extradiégétique le parcours même de Gabin qui est apparu d’abord, en dehors de l’écran, comme sur les écrans dans les années 1930, dans le milieu populaire. Ce film est là pour montrer que le nouveau statut du personnage de Gabin n’a rien renié de ses origines et dès lors la complicité avec son public vingt ans plus tôt ne peut être brisée : cette durée est citée dans le film où le docker est ainsi devenu un puissant notable et qui correspond aussi au cinéma des années 1930 où Gabin s’est illustré en homme du peuple au destin romantique et tragique.
Quant à l’histoire, il s’agit d’une adaptation de Georges Simenon dont l’univers sombre du polar est parfaitement retranscrit dans la mise en scène documentaire de La Rochelle et de ses environs. Ce scénario aussi dialogué et si bien écrit soit-il, n’en développe pas moins une misogynie manifeste lorsque l’on considère au bout du compte que tous les personnages féminins sont systématiquement négatifs et constituent une menace pour le protagoniste : qu’il s’agisse de la belle-mère, de la mère même de Cardinaud, comme de Titine qui concentre toute l’opprobre possible dévolue à une femme dont le tort est aussi d’affirmer son indépendance puisqu’il s’agit d’une femme seule avec ses enfants tombés dans la marginalité. Ce film offre ainsi le regard d’une époque sur les femmes, de même que l’opposition d’une jeunesse, incarnée par l’irresponsable Mimile face à Cardinaud à la force tranquille prêt à retrousser les manches pour retrouver l’honneur perdu. De ce point de vue, il s’agit d’un cinéma qui reflète les préoccupations d’une ancienne génération, celles d’un « cinéma de papa » lanceront quelques polémistes qui avaient hâte de renverser le pouvoir à leur profit.
Quant au film, Gilles Grangier a cette intelligence, malgré sa star au centre de l’histoire, d’accorder une vraie place aux acteurs autour de lui, sans que Jean Gabin soit donc de tous les plans. Ainsi, le cinéaste prend le temps d’étoffer les personnages qui gravitent autour du protagoniste pour comprendre que le pouvoir de cet homme dépend étroitement des personnes qui l’entourent et le côtoient. En plus de ce parti pris, Gilles Grangier a eu la brillante idée d’accorder beaucoup de place aux prises de vue documentaires de La Rochelle, de son port ainsi qu’à travers de nombreux extérieurs. Ainsi, lors de la criée, Jean Gabin se mêle à la réalité documentaire pour y apporter avec discrétion mais force charismatique sa part de fiction associée à son personnage.
Le film est plus de six décennies plus tard d’autant plus précieux qu’il a su saisir avec une très grande efficacité à travers ses différents thèmes comme dans ses choix de mise en scène toute une époque !
Le Sang à la tête
de Gilles Grangier
Avec : Jean Gabin (François Cardinaud, riche armateur de La Rochelle), Renée Faure (Mademoiselle, la gouvernante), Paul Frankeur (Drouin, le commandant du cargo), Monique Mélinand (Marthe Cardinaud, la femme), Claude Sylvain (Raymonde Babin, la fille de Titine), Henri Crémieux (Hubert Mandine, associé de François), Georgette Anys (Titine Babin, la poissonnière), José Quaglio (Mimile Babin, le fils de Titine), Paul Faivre (Mr Cardinaud, le père), Léonce Corne (Charles Mandine, autre associé de François), Paul Azaïs (Alphonse, le patron des « Charentes »), Florelle (Sidonie Vauquier, la mère de Marthe), Rivers Cadet (le patron de « Robinson »), Paul Œttly (Julien Vauquier, le père de Marthe), Yolande Laffon (Isabelle Mandine), Julienne Paroli (Mme Cardinaud, mère), Gabriel Gobin (Arthur Cardinaud, le frère de François), Marcel Perès (Thévenot, un marinier), Rudy Palmer (Vittorio, le chauffeur tabassé), Joël Schmitt (le patron du « Grand Café »), Jean-Louis Bras (le petit Jean Cardinaud), Jacques Marin (l'agent de police), Lucienne Gray (Marguerite, la femme de chambre), France Asselin (Mauricette Cardinaud, femme d'Arthur), Hugues Wanner (l'expert), Albert Michel (Duleux, le chef de gare), Zeimett (Julien, le serveur du « Grand Café »), Bruno Balp (Pionsard, un bistrot), René Hell (le chauffeur des « Cardinaud »), Émile Genevois (le garçon de course), Jimmy Perrys (un homme entrant au bistrot), Jacques Deray (Alfred, un conducteur de car), Georges Montant, Martine Lambert, Guy-Henry
France, 1956.
Durée : 86 min
Sortie en salles (France) : 10 août 1956
Sortie France du combo Blu-ray/DVD : 19 janvier 2022
Format : 1,37 – Noir & Blanc
Langue : français.
Éditeur : Pathé
Bonus :
Analyse du film par Bertrand Tavernier (2021, 27’07”)
« Gilles Grangier, le cinéma dans le sang » : entretien avec François Guérif (2021, 12’33”)
Documents d’archives :
Retour sur la carrière de Michel Audiard (1969, 2’31”)
Entretien avec Jean Gabin (1975, 5’31”)
Actualités Pathé :
Chanson de Florelle (1932, 2’36”)
Georges Simenon et les académiciens français à l’Académie Royale de Belgique (1952, 0’43”)
