Expérience existentialiste du monde ou le couple face à ses traumas

Sortie DVD : Upstream Color de Shane Carruth

Shane Carruth est un cinéaste indépendant hors du commun, qui transfigure le cinéma fantastique et de science-fiction en plaçant la force évocatrice de l’imaginaire non pas dans les effets spéciaux, mais dans chacune des cordes de la création cinématographique. Shane Carruth est en effet à la fois sur ce film acteur, réalisateur, producteur, directeur de la photographie, monteur (avec son complice David Lowery, réalisateur de l’onirique et romantique Amants du Texas) et compositeur de la bande originale. Ce génial cinéaste, modeste Orson Welles contemporain, est un véritable chef d’orchestre de son œuvre, la direction de l’ensemble du film ressemblant parfois à une certaine abstraction, la place de la caméra étant immanente, à la fois subjective du côté de ses deux personnages principaux mais aussi près de ces étranges individus qui les manipulent. Si Primer, le premier et précédent long métrage de Shane Carruth, avec ses expériences de voyages dans le temps, laissait le spectateur dans une extase méditative sur la condition humaine, Upstream Color poursuit cette quête existentialiste en s’entourant des lignes méditatives de Walden ou la Vie dans les bois (Walden; or, Life in the Woods, 1854) de l'écrivain Henry David Thoreau qui prône l’expérience sensorielle de la nature au rythme des éléments. Dans la manière de filmer et d’appréhender la réalité, Shane Carruth pourrait être le neveu spirituel de Terrence Mallick, si ce n’est que l’esprit scientifique du premier remplace la religiosité de l’autre. De même, l’expérience de l’étrange renvoie à David Lynch, le métacinéma en moins puisque Shane Carruth est avant tout un cinéaste existentialiste, qui va interroger le sens de la vie humaine en allant jusqu’à dialoguer avec les éléments moléculaires de l’âme. Si le film débute comme une expérience contemporaine de Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968) avec la manipulation d’une femme réduite à sa corporalité, le propos s’élargit avec l’étrange rencontre d’un autre personnage, son double masculin. Dès lors, dans cette dimension existentialiste, le couple hétérosexuel est interrogé dans sa dimension organique et traumatique, ou comment deux corporalités se rapprochent pour faire face à ses traumatismes insondables. L’expérience unique de Shane Carruth consiste à jouer avec quelques codes du cinéma d’horreur, dans une atmosphère continuellement nimbée de lumière irradiante qui ferait de l’espace dans lequel évolue les personnages un paradis terrestre, comme si l’enjeu des personnages consistait à réussir à se détacher d’un Dieu tout puissant manipulateur, qui a pu prendre forme dans d’autres récits d’une entité extraterrestre réalisant ses expérimentations scientifiques aux dépends d’un individu humain. Shane Carruth réadapte les codes de la comédie romantique à partir d’un point de vue qui se fonde complètement dans l’inquiétante étrangeté, ou comment chacun tente de percer le mystère d’une vie volée à travers l’expérience sensorielle et instinctive de l’autre.

Upstream Color
de Shane Carruth
Avec : Amy Seimetz (Kris), Shane Carruth (Jeff), Andrew Sensenig (le sampler), Thiago Martins (le voleur), Mollie Milligan (Maggie), Kerry McCormick (Gyn), Charles Reynolds), Jeff Fenter (Rich), Marco Antonio Rodríguez (un technicien du MRI)
USA, 2012.
Durée : 96 min
Sortie en salles (France) : 5 septembre 2015
Sortie France du DVD : 6 février 2018
Format : 2,35 – Couleur
Langue : anglais - Sous-titres : français.
Éditeur : ED Distribution