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Sortie DVD : Nous venons en amis de Hubert Sauper
C’est à un nouveau voyage au cœur de l’horreur du néocolonialisme que nous convie le réalisateur du Cauchemar de Darwin (2005). Cette fois-ci, Hubert Sauper quitte le chemin de l’investigation pour récolter les témoignages des différents prédateurs du Soudan en train de se diviser avec l’apparition en 2011 du 54e État africain : le Soudan du Sud. En utilisant un avion léger de sa propre conception pour parcourir le pays, il crée un prétexte étonnant pour rencontrer les réalités locales, atterrissant dans un camp militaire, chez des évangélistes texans, dans un village, etc. Pendant tout ce temps, sa caméra, comme le ferait n’importe quel touriste contemporain, filme. Sa mise en scène apparaît davantage en postproduction à travers son montage et sa propre voix off. Il en résulte un carnet de bord d’autant plus déroutant qu’il laisse apparaître les justifications à l’appropriation des terres soudanaises de la part des prédateurs de tous bords à la fois grotesques de prétentions et de bêtise conçue sur la certitude de l’indécrottable supériorité occidentale ou non occidentale puisque les entrepreneurs chinois font partie de ces nouveaux conquistadors de l’Eldorado africain.
Nous venons en amis : le pillage de l’Afrique en toute amitié : le titre et le sous-titre du documentaire d’Hubert Sauper sont par leur ironie grinçante et cauchemardesque des plus explicites de la réalité géopolitico-économique africaine. Même c’est avant tout le Soudan de 2011 qu’Hubert Sauper filme, ce n’est là qu’un prétexte pour illustrer l’ignominieuse avidité prédatrice du colonialisme, qu’il prenne les traits de militaires (soudanais ou étrangers), de responsables de l’ONU, d’entrepreneurs venus faire de l’argent facile au nom de la sacro-sainte hypocrisie nommée développement, de sectes religieuses venues apportées la civilisation… Les témoignages de tous ces interlocuteurs qu’Hubert Sauper croise et filme est d’autant cauchemardesque que l’on imagine aisément les conséquences de ces différentes formes de néocolonialisme. On retrouve ici le monde que décrivait Jacques Claessens dans son livre Qui a dit que nous avions besoin de vous ? démontrant le non développement local à l’œuvre sous la théorie économique du développement. Cette situation que décrivait Jacques Claessens, mandaté par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) afin de constater les résultats des projets financés, au Burkina Faso dans les années 1980, se retrouve encore une fois aveuglément appliqué au Soudan. Hubert Sauper ne nous livre pas seulement la lie de l’humanité ivre de l’exploitation de l’autre : il enregistre aussi le témoignage de ces villageois qui ne se laissent pas leurrer par les projets d’exploitation des ressources du sol, qu’il s’agisse d’hydrocarbure ou de minerais. C’est d’ailleurs le pétrole qui sera une des causes de la guerre au Soudan en plus de contaminer l’eau des villageois par son extraction. Qu’attendre de cette main tendue de ceux qui se disent amis à l’instar des personnages de science-fiction découvrant de nouvelles planètes à exploiter ? La démarche même d’Hubert Sauper avec sa caméra est-elle même interrogée et il ne s’en cache pas : il ne suffit pas d’avoir une caméra et de démontrer l’ignominie pour être en dehors de ce système. L’homme est-il nécessairement l’exploiteur de son prochain, ou encore un loup dans une réflexion hobbsienne ? Des anthropologues ont réfléchi à cette propension humaine qui a fait défiler les guerres et les morts violentes comme fil rouge de l’histoire des civilisations humaines et ont mis en valeur le concept d’ethnocide ou comment détruire la culture de l’autre en niant celui-ci (pour faire dans la concision). Hubert Sauper part de cette nécessité de faire ce constat et d’impliquer le spectateur dans ses propres responsabilités : le public français n’oubliera pas que si des hommes et des femmes de tout âge meurent en Afrique encore actuellement et depuis des décennies, c’est avec des armes « made in France » : le sang africain ne cesse d’irriguer l’économie française rivalisant avec l’or noir, lui-même obtenu non sans violence. Moins ambitieux que Le Cauchemar de Darwin par son absence d’investigation, Nous venons en amis participe à une prise de conscience au type d’économie mondialisée à laquelle tout un chacun est à des degrés divers complice. Hubert Sauper réussit par ses propres moyens et en faisant face au danger inhérent à un espace où la guerre civile peut éclater à tout moment (les tensions entre Chrétiens et Musulmans sont alors explosives), à délivrer son propre témoignage. Sa dénonciation s’inscrit dans la démarche humaniste d’un Montaigne avec qui plus est l’audace d’éprouver ses propres réflexions et contradictions inhérentes par sa présence « terrestre ».

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Nous venons en amis
de Hubert Sauper
France, Autriche – 2014.
Durée : 104 min
Sortie en salles (France) : 16 septembre 2015
Sortie France du DVD : 3 mai 2016
Format : 1,85 – Couleur
Langue : international - Sous-titres : français.
Éditeur : Blaq Out
Bonus :
Entretien avec Marc Lavergne (21’)