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Billet de blog 23 septembre 2015

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VENTE DES DEUX MISTRAL A L'EGYPTE

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L'annonce vient d'être faite aujourd'hui : la dictature égyptienne achète à la France les deux Mistral, navires construits au départ pour la Russie, mais dont la vente a été unilatéralement annulée par la France suite aux pressions américano-allemandes, liées à la crise en Ukraine (et en Crimée).

La marine égyptienne va donc acquérir deux unités ultramodernes, de classe Mistral (la photo montre le Mistral à Brest) :

Je rappelle qu'il s'agit de navire de commandement et de projection, capables de transporter des hélicoptères et/ou d'autres équipements (véhicules, navires amphibies légers), mais surtout de commander et de superviser une projection à distance, du fait d'un équipement en radars, système de détection, de communication et de commandement développé.

Il peut aussi transporter environ 450 hommes projetables.

Ce type de navire est aujourd'hui le coeur d'une flotte de projection, puisque c'est l'endroit d'où seront commandés les forces projetées à terre. Il est donc aussi important dans une flotte qu'un porte-avion. Et il est surtout le signe d'une flotte ayant des besoins ou des ambitions qui dépassent ses eaux territoriales, ou sa région d'engagement.

L'OTAN classe ces navires dans la catégorie des Landing Helicopters Docks (ce qui est réducteur même si un Mistral peut emporter 16 hélicoptères). Les marines uqi disposent de tels navires sont :

- les USA (8 unités)

- la France (3 unités : Mistral, Tonnerre et Dixmude)

- l'Australie (2)

- l'Espagne, la Corée du sud, l'Afrique du sud (une unité). à noter que les Pays-bas envisagent d'acquérir une unité de ce type.

Avec cet achat, l'Egypte se place parmi les marines les plus puissantes (en termes de projection de force) du monde. Ni la Russie, ni l'Inde, ni l'Iran, ni la Grande-bretagne, ni les flottes sud-américaines n'ont de tels navires.

Or, sauf à ce que l'Egypte de Sissi nourrisse des ambitions offensives secrètes ET lointaines (l'invasion de la Crète ?), rien ne justifie dans la situation actuelle de telles acquisitions. Je rappelle que la marine égyptienne est actuellement en difficulté, comme l'armée, face aux jihadistes, qui n'hésitent pas à l'attaquer avec des missiles perfectionnés, en décembre 2014 ou en juillet 2015.

Rappelons aussi que la marine Egyptienne opère dans une mer fermée, et n'a pas (comme par exemple la marine française), à se projeter sur tous les Océans du globe du fait de possessions étendues.

La marine égyptienne va plus vraisemblablement utiliser ces navires comme navires de prestige, faisant de longues croisières autour du globe, ou comme des porte-hélicoptères "classiques" (Landing Platform Dock), navires plus fréquents dans les flottes du monde.

Sauf que les Mistral n'ont pas la même capacité autonome d'engagement d'hélicoptères et/ou de navires amphibies d'assaut. Et surtout, ils coûtent bien plus cher (entre 300 et 420 millions d'euros par unité, et il y en a deux).

Cet achat n'a donc aucune raison militaire, et relève d'un choix politique.

Face au désengagement des USA, qui n'hésitent plus à laisser tomber les dictatures "amis" en cas de contestation des populations, les dictateurs se cherchent donc de nouveaux "protecteurs".

C'est ainsi que Sissi, dictateur récemment arrivé au pouvoir, cherche le soutien de la France (mais aussi de la Russie) en achetant des armes. Fort de ses dettes, il deviendra ainsi incontournable en cas de difficultés.

Après les Rafales achetés récemment par l'Egypte, c'est au tour des deux Mistral (dont on peut se demander s'ils ne seront pas revendus ensuite, et pourquoi pas à la Russie ?).

La faute de nos gouvernements est double : après avoir accepté une réduction inacceptable de notre souveraineté face aux pressions des USA et de l'Allemagne (en sacrifiant nos industries d'armement), ils cherchent à "récupérer" le coup en liant notre économie au sort de dictateurs dont les crimes et la répression violente sont tels que personne ne pourrait désirer le maintien au pouvoir, sauf intérêt financier évidemment.

Comme je l'ai déjà dénoncé, la politique de soutenir des dictateurs contre les jihadistes est une erreur, qui a systématiquement été sanctionnée par un échec (parfois après des décennies de crimes, de tortures, d'enlèvements, de déplacements ou de disparitions).

Et le prix de cette erreur, payé d'abord par les populations égyptiennes livrées à l'arbitraire des sbires du régime de Sissi, ou à celui des jihadistes, est bien plus élevé que le prix de vente de ces deux navires de guerre, qui ne serviront vraisemblablement, et c'est tant mieux à rien.

Ce n'est pas seulement l'avenir de toute la région, celui de la France, mais aussi nos valeurs, nos principes et notre identité qui sont sacrifiés pour quelques euros, que nous ne sommes mêmes pas sûrs de toucher.