Le Premier ministre a lâché le mot qui frappe l'imagination : nous serions dans une guerre de civilisations (nous contre eux) ou de civilisation (contre la barbarie).
On pourrait gloser sur le fait que ces mots lourds de sens, et de dangers, ont été prononcés à l'occasion d'un acte criminel, dont la nature terroriste et jihadiste est à la fois ambigue et complexe.
D'aucun pourront déplorer une erreur de communication, une maladresse sémantique, qui a vu un Premier ministre d'un gouvernement socialiste reprendre une terminologie relevant de l'extrême-droite plus ou moins complexée.
Mais avant tout, cette expression cherche à transformer la réalité d'un conflit, d'une guerre, afin de la récupérer à des fins partisane.
Sommes-nous en présence de deux civilisations qui s'affrontent ?
Non car cela supposerait une cohérence globale (langue, culture, religion, système politique, architecture, arts, etc.) entre deux ensembles en train de s'affronter. Or ces deux ensembles (Occident uni et Monde arabe uni) n'existent pas. Les jihadistes sont aujourd'hui pour beaucoup des Occidentaux (nés en Occident, élevés et éduqués en Occident...), et les clivages qui traversent nos Sociétés comme celles des pays du Proche et du Moyen-Orient sont bien plus forts.
Le discours sur un "choc de civilisations" est donc avant tout une diversion, pour éviter que les vrais déséquilibres sociaux, économiques, patrominiaux, générationnels ne deviennent insupportables, et que nos dirigeants aient à render compte de leur bilan désastreux dans tous les domaines.
Sommes-nous en présence d'un affrontement entre LA civilisation d'un côté et LA barbarie de l'autre ?
Une telle grille d'analyse ne survit pas à la moindre analyse un peu sérieuse. Si ISIS fait aujourd'hui un usage assumé de la "barbarie" comme arme psychologique et tactique, il n'en est pas l'inventeur, et il n'en a pas le monopole. Même si on occulte les frappes aériennes, les drones et les assassinats pas toujours très ciblés causés par les forces armées occidentales, n'oublions pas que nos dirigeants soutiennent, en notre nom et pour nos intérêts (pétrole) des dictatures qui emploient les pires moyens pour réprimer la moindre contestation démocratique (qui en devient jihadiste).
N'oublions pas que les dictateurs arabes que nous avons soutenus pendant des décennies, se sont effondrés en quelques semaines dès que nos dirigeants ont retiré ce soutien de l'Occident (pendant le printemps arabe). Et que cette fin d'une aide technologique et militaire à la répression et au maintien au pouvoir ne s'est pas fait par idéal humaniste, mais simplement parce que les Etats-unis et l'Europe n'en ont plus les moyens et doivent "sélectionner" les dictateurs à aider (exit donc Moubarak ou Ben Ali, mais au même moment, le Bahrein a bénéficié des moyens militaires des voisins pour réprimer la contestation politique).
D'ailleurs à ceux qui sont choqués par le selfie d'une tête décapitée, je rappelle que la mode des selfies et des photos touche même la civilisation.
Juste une comme cela (mais il y en a plein d'autres) :

C'est à Abou Ghraib en novembre 2003. L'homme s'appelle Manadel al-Jamadi, il a été torturé à mort par les forces US (dont des Navy Seals) choquées par un attentat à la bombe ayant fait 12 morts dans un convoi de la croix rouge. Il avait une femme et un fils. La jeune femme, Sabrina Harman (qui a eu l'idée de la célèbre photo de l'homme en sac avec des fils électriques perchés sur un bidon), a été condamnée à 6 mois pour mauvais traitement, et malgré l'enquête déclenchée en 2011, le ou les auteurs du meurtre n'ont jamais été identifiés.
Sommes-nous en guerre ?
Oui indubitablement, puisqu'un ennemi (la sphère jihadiste) nous fait la guerre.
La question n'est pas de nier la réalité de cette guerre, mais de la nommer correctement.
Et c'est important pour éviter des erreurs dramatiques (et peut-être pouvoir espérer la gagner).
Une seule illustration : alors que les rodomontades et que les débats se multiplient sur cette "guerre de civilisation", à Lunel, qualifiée il y a peu de capitale du Jihad, le maire vient de décider de supprimer la subvention à la MJC, provoquant sa fermeture.
Oui, la ville d'où sont partis plus de 20 jeunes pour faire le Jihad en Syrie (dont au moins 7 sont morts), 20 jeunes sur 25000 habitants, la priorité du maire est de fermer la maison des jeunes et de la culture !
Sacré illustration d'une réalité bien différente de la guerre de civilisation non ?
Et si on passait (enfin) aux choses sérieuses avant que la réalité brutale ne nous rattrape ?