Marine Le Pen est vaincue, le spectre du fascisme est conjuré pour quelques années encore – un triste sursis, qui ne console guère. Aucune satisfaction, aucun soulagement ne vient me délivrer du poids qui ronge mes entrailles, de la moiteur de mes mains qui glissent le long du corps.
Et pourtant, bientôt, on célébrera le Roi, on l’érigera en majesté en plein Paris, au milieu de la foule de ces gens auxquels le destin accorde le privilège de pouvoir se réjouir en cette triste soirée. On le montrera triomphant, haranguant la foule, lui qui demandait pardon il y a encore quelques heures pour n’avoir pas su entendre, écouter, rassembler.
On lui prêtera l’onction de la nation pour cinq ans, cinq longues années.
Deux années de plus que les trois années que nous laisse le GIEC pour conserver une chance d’influer sur la sinistrose climatique.
Mais, demain, on fera table rase du passé, on oubliera, la crise climatique et le fascisme rampant, la pauvreté galopante et le capitalisme souverain. On s’abandonnera au rythme ternaire de la même valse éprouvée.
On s’abandonnera aux mêmes institutions rincées, impuissantes, qui décideront pour nous du devenir de nos vies : nous redeviendrons, une fois l’agitation électorale retombée, ces enfants dociles attendant l’assentiment du professeur. Nous abandonnerons notre citoyenneté, notre implication démocratique, notre capacité à des dirigeants qui ne nous rendront pas de compte.
On s’abandonnera aux mêmes institutions archaïques, qui n’évoluent plus d’un iota depuis le XIXe siècle, comme si nous avions encore besoin de ces totems que sont les leaders et les représentants, comme si nous avions encore foi en la fable du pouvoir, comme si nous ne connaissions pas d’autres alternatives que l’histoire nous aurait appris. Sérieusement, mesurons-nous le retard de nos conceptions en ce qui concerne la gestion de la cité ? En sommes-nous réduit à attendre le salut d’un sauveur aux allures de messie ?
On s’abandonnera aux mêmes jeux morbides des partis, des élites, qui soufflent sur les braises du même feu depuis 20 ans, qui agitent le spectre du fascisme qu’ils ont eux-mêmes contribué à hisser comme l’une des premières forces politiques du pays. Nous mettrons en les mêmes mains pyromanes qui ont déjà calciné la maison la responsabilité d’éteindre l’incendie politique et démocratique dans lequel nous sommes empêtrés.
En cette triste soirée, je mesure toute la responsabilité qui incombe à ma génération. Je suis jeune, j’ai 25 ans, et je dois lutter pour faire démocratie, puisque je ne crois plus.
Je ne crois plus au système violent qui me confisque la parole, qui me tape et me réprime lorsque je foule le pavé pour faire entendre ma voix. Je ne crois plus à l’élection qui érige en monarque un homme sur le fondement d’une majorité fictive.
Je ne crois plus en ce système naïf et pervers, qui fondent sa bonne gouvernance sur une poignée d’hommes corruptibles comme nous le sommes, tous et toutes.
Il reste 2 ans – et notre salut ne viendra pas du palais. Il viendra de la rue. Nous avons la responsabilité de fouler le pavé, de défendre ce qui nous est cher, car nous n’avons plus le luxe du choix.
Il n’y aura ni César, ni tribun pour nous protéger du vent mauvais.
Il n’y aura ni César, ni tribun pour nous prémunir de ce que nous voulons devenir.
Célasse