Antonio Tabucchi est mort ce dimanche 25 mars à Lisbonne. Nous étions nombreux à le lire et à aimer l'écrivain, l'intellectuel, et l'être humain exceptionnel qu'il était. Et Tristano, comme Pereira, et tous les autres - nos frères, nés de sa plume - continuent de nous parler.
Je reproduis ici des extraits d'un entretien qui eut lieu chez lui, à Lisbonne, durant l'été 2004, autour de la traduction française de son dernier roman "Tristano meurt" (NRF, Gallimard, Paris 2004).
(le texte intégral est ici : http://www.lexpress.fr/culture/livre/antonio-tabucchi_809437.html
"Qu'est-ce qui a changé en vous depuis que vous avez écrit Tristano meurt ?
A.T. Ce roman représente pour moi une expérience intellectuelle inédite et très forte. Quand vous écrivez un roman d'amour, vous comprenez un peu mieux ce qu'est l'amour: ce que l'on connaît de l'amour, après tout, en dehors de l'expérience personnelle et sensorielle, c'est Anna Karénine, Madame Bovary, Héloïse et Abélard qui nous l'ont appris. La littérature fournit une grande connaissance de la vie et de l'expérience humaine, que l'on aborde de façon passive et intellectuelle, en lecteur. En écrivant ce livre, Tristano meurt, j'ai ressenti intellectuellement l'expérience de la mort. Non pas l'expérience de la mort comme dimension, cela tout le monde peut le ressentir lorsqu'il perd un être cher, mais l'expérience du moment où l'on va mourir. C'est pour cette raison que l'agonie de Tristano dure un mois entier. En fait, Tristano meurt à chaque page.
Sans doute voulait-il me communiquer cette expérience du temps de la mort. J'en ai été, je l'avoue, bouleversé.Oui, écrire ce livre m'a, sur ce plan, profondément changé.
Tristano agonise mais n'a pas peur de la mort, à aucun moment.
A.T. Non. Moi non plus, d'ailleurs. C'est ce que j'ai découvert en écrivant ce roman. Et pourtant, jusque-là il m'arrivait très souvent d'avoir une peur bleue de la mort. Tristano m'a enseigné une chose que je savais déjà (c'est ça qui est épatant, avec la littérature: les livres vous font découvrir ce que vous savez déjà): ce n'est pas la mort en tant qu'elle est la fin de la vie qui fait peur, mais en tant qu'elle s'accompagne de la douleur physique. Je redoute davantage la douleur que la mort elle-même.
Tristano, mourant, a donc convoqué à son chevet un écrivain qui jadis fit de lui le héros d'un de ses romans. Il raconte sa vie à cet écrivain, bien différente de ce que l'écrivain avait écrit jadis. Est-ce un épisode autobiographique ?
A.T. Le personnage de Tristano (je devrais dire sa voix) correspond en effet à quelqu'un que j'ai bien connu. Il y a douze ans de cela, une personne très importante pour moi est morte. J'ai été accablé par un grand regret: celui de ne pas avoir eu le courage de lui poser plusieurs questions sur sa vie. Son expérience personnelle et historique avait été très intense. Plus que tout j'aurais aimé qu'il m'en parle, et je n'ai jamais osé l'interroger. C'est une situation terrible que beaucoup doivent connaître: vous savez que telle personne qui a illuminé votre vie détient tel secret, a vécu une expérience importante que vous aimeriez connaître en détail, et vous n'osez jamais lui poser de questions. Et un beau jour, cette personne disparaît, vous laissant seul avec vos regrets, emportant avec elle ses histoires. Vous vous reprochez alors vos silences, votre timidité, votre absence d'audace... Cela m'est arrivé, en effet. Ce sont les regrets qui sont à l'origine de ce roman: par compensation, comme un ersatz, j'ai commencé à imaginer ce qu'aurait pu me raconter le véritable Tristano.
Qui était votre Tristano ?
A.T. (Long silence) Quelqu'un que je connaissais bien...
Une superbe ambiguïté plane sur tout le roman: s'agit-il de la confession de Tristano à l'écrivain ou bien de la réécriture, par l'écrivain, des propos de Tristano? Qui parle: Tristano, comme on le croit dès les premières pages, ou bien l'écrivain à qui il raconte son histoire ?
A.T. Surtout ne levez pas l'ambiguïté! Là est le coeur du roman et de l'interrogation qu'il porte sur la vie: peut-être que les événements n'existent pas si personne ne les écrit. L'histoire, en fin de compte, n'existe peut-être pas tant qu'il n'y a pas d'historiens pour l'écrire... Peut-être Tristano n'existe-t-il pas. Peut-être n'existe-t-il qu'un écrivain qui a imaginé Tristano ou l'a rencontré, l'a écouté et a écrit cette histoire. Pour le dire plus simplement: qui témoigne pour le témoin? Les héros sont morts, les témoins ont disparu, il ne reste rien sauf la voix de mon chant. Camões, le grand poète portugais, a chanté Vasco de Gama et les conquérants de l'Afrique et de l'Inde dans Les Lusiades et l'on peut affirmer que ces héros n'existent que parce que Camões les a chantés. Ce n'est pas un problème théorique, pas seulement: il s'agit d'une question épistémologique, soit, mais aussi et surtout d'une question fondamentale qui regarde notre manière d'être au monde.
Vous voulez dire que, quelque géniales que soient nos actions, elles n'existent pas s'il n'y a pas un écrivain qui les prend en charge et les raconte ?
A.T. Oui, on peut le dire de cette manière aussi. La vie n'a aucune signification, si vous-même, qui êtes en train de la vivre, ne la racontez pas à vous-même un jour. Je ne crois pas à l'opposition entre la vie et l'écriture: il faut vivre, puis écrire. Si vous n'êtes pas capable de réduire la vie que vous avez vécue dans un récit et de le structurer, alors votre vie n'est rien. Un poulet en gélatine! Une vie, c'est une série d'événements qu'il faut être capable de lire pour soi-même. Il faut savoir se raconter sa vie. C'est la structuration du discours grammatical, comme dirait Noam Chomsky, qui forme la compréhension de votre vie.
C'est une perspective qui peut terrifier: tout le monde n'a pas la capacité de devenir écrivain de soi-même et moins encore de devenir AntonioTabucchi...
A.T. Mais ce n'est pas le problème: il s'agit seulement de ne pas limiter sa vie à ses actes, qui sont le propre de la bête, mais d'accéder à un niveau de conscience supérieur, celui de l'intelligence, de l'usage de la raison, qui est la marque de l'humanité de l'homme. Mon personnage, Tristano, n'est pas un écrivain: il n'a pas écrit ses Mémoires et n'a pas tenu de journal intime, il ne cherche pas à faire un roman de sa vie, il fait venir un écrivain et lui raconte sa vie au moment où il sent qu'il va mourir. C'est en faisant cela qu'il devient l'écrivain de sa propre vie. Il s'agit de se dépasser.
Nous sommes tous tentés d'en rajouter, lorsque nous racontons notre vie. Voyez les journaux intimes d'écrivains, les confessions destinées à la publication... Quelle est la part de sincérité et de mascarade ?
A.T. Vous avez raison, la tentation est toujours présente de retoucher son portrait pour la postérité, et les journaux intimes (des écrivains, surtout) sont remplis de ces tricheries. C'est pourquoi j'ai placé Tristano dans une situation extrême: il sait qu'il va mourir. C'est sans doute le seul moment de la vie où les masques tombent, où l'on arrête de mentir et d'enjoliver les faits. Tristano cherche à comprendre ce que fut sa vie, comment il devint un héros, quel sens eut son existence. Il ne se permet donc pas de mentir.
Relire et relier sa vie, en somme ?
A.T. Oui, c'est exactement cela. Mais ce n'est possible qu'à condition de ne pas se raconter d'histoires et de raconter l'Histoire. En racontant sa vie à l'écrivain, Tristano la découvre. Son désir est simplement de comprendre sa vie. Et c'est un désir d'autant plus fort qu'il a lu ce que l'écrivain avait écrit de sa vie, jadis, et qui lui apparaît comme totalement inexact.
Vous battez en brèche la conception romantique et lyrique de l'héroïsme: «Ce n'est pas si facile de devenir un héros, un millimètre par-ci et tu es un héros, un millimètre par-là et tu es un lâche, c'est une affaire de millimètres», explique Tristano. Vous croyez que tout n'est que hasard ?
A.T. Je pense que l'héroïsme est un acte inconscient, absolument pas structuré ni préparé, qui dépend exclusivement de l'éthique et de la morale et n'obéit à aucune loi. J'ai connu bien des hommes qui sont devenus des héros sans jamais avoir été touchés par une once de patriotisme et bien des patriotes qui se sont comportés comme des lâches. L'héroïsme est un acte spontané et, parfois, irresponsable. C'est comme une espèce d'orgasme, d'éjaculation. Il est devenu un héros parce qu'il a tué un Allemand, mais à quelques millimètres près...
C'est votre livre le plus méditerranéen: Tristano est italien, engagé dans l'armée de Mussolini et se bat, officiellement, aux côtés des Allemands contre les Grecs, avant de devenir un résistant et de fuir vers l'Espagne... Pourquoi la Grèce ?
A.T. En tant qu'Italien, je ressens un sentiment de culpabilité très fort à propos de la Grèce. L'Italie n'a jamais fait d'examen de conscience après la guerre, or mon pays a fait subir à la Grèce de vraies atrocités: invasion, guerres, tortures, viols, barbaries...
Vous voudriez aujourd'hui que l'Italie demande pardon à la Grèce ?
A.T. Ce serait tardif, mais je pense que cela ferait du bien aux Italiens. Sans la Grèce, nous ne serions rien. La Grèce, c'est une espèce de grammaire avec une syntaxe que nous pouvons lire. La Grèce est comme notre mère. J'entretiens avec elle un lien incestueux. Envahir la Grèce, comme Mussolini l'a fait, c'est accomplir un viol historique et culturel. Ce n'était certes pas la première fois, il y a eu les Ottomans, les Anglais, mais cette invasion-là fut terrible.
Vous êtes italien et portugais, vous vivez entre Lisbonne, Pise et Paris. De quelle nationalité vous sentez-vous le plus proche ?
A.T. Je suis un homme du Sud. Un homme de la Méditerranée. Je suis transgénique! Un nomade qui fréquente une culture puis se faufile dans une autre. Je n'aime pas l'idée de racines. Je ne comprends pas ceux qui disent: «Ah! ici sont mes racines. Il faut que nous retournions à nos racines!» Les hommes ne sont pas comme les arbres, non? Ce sont les arbres qui ont des racines; les hommes, eux, ont des jambes et, avec les jambes, on marche...Je suis très lié à mes morts mais je n'oserais jamais dire : "Cette terre m'appartient parce que mes morts sont là". Ce nationalisme étrange revient de plus en plus fortement en ce moment, comme une réponse à la mondialisation. Cela m'inquiète. Il existe en Amazonie une tribu nomade qui, quand elle change d'endroit, n'emporte qu'une seule chose avec elle: la mandibule des parents disparus. Je pense que nous portons nos racines dans notre coeur, pas dans un lieu. La réalité matérielle est un leurre: ce sont les personnes qui sont importantes, pas les endroits qu'elles ont fréquentés et où elles sont enterrées. J'ai mes morts dans mon coeur, et ainsi je peux marcher, voyager, être de partout.
Tristano, évoquant son parcours intellectuel, explique qu'il fut séduit par le jansénisme de Pascal mais que la vie se chargea de dissiper l'illusion pascalienne, celle du bien et du mal. Que reprochez-vous à Pascal ?
A.T. Je lui préfère saint Augustin, qui avait combattu à merveille le manichéisme. Mais c'est le Pascal des Provinciales qui m'agace surtout, le pamphlétaire qui exagère. Je préfère celui des Pensées, tourmenté par le doute, avec qui on peut discuter.
De Dieu, par exemple? Tristano estime que l'homme a mis Dieu «au chômage». Qu'est-ce à dire ?
A.T. Tristano a fait la guerre. Dans son pessimisme, il imagine pour l'avenir d'immenses Hiroshima et une espèce humaine en extinction. A quoi bon un Dieu sans l'espèce humaine qui croit en lui? Voilà pourquoi nous mettrons Dieu au chômage si nous continuons à tout détruire. Pour exister, Dieu a besoin des hommes. Les gens de foi me rétorqueraient sans doute que, Dieu étant immanent, il existerait quand bien même le monde serait désert. Mais on entre ici dans une querelle métaphysique insurmontable.
L'approche de la mort semble réveiller la sensualité de Tristano...
A.T. Oui, ses confessions sont pleines de conflits. Il manifeste dans son agonie un incroyable attachement à la vie, une sensualité d'autant plus forte qu'il est rongé par la gangrène. C'est pour cela qu'il ressuscite, de temps en temps, des épisodes d'amour.
Une parenthèse dans votre pessimisme ?
A.T. Celui de Tristano, vous voulez dire. C'est mon personnage, pas moi. Encore que... Tristano, c'est moi ! Mais le pessimisme cosmique est la seule attitude qui permette de chanter la vie et de manifester un immense amour pour elle. Avez-vous déjà vu un optimiste aimer la vie, franchement ? Moi, jamais.
Comment écrivez-vous ?
A.T. A la main, dans de petits cahiers. Vite. Et par périodes. Je peux rester plusieurs mois, et même plusieurs années, sans écrire. Lorsque je suis ici, à Lisbonne, je n'écris pas. Mais je suis toujours en discussion avec des personnages. Je prends des notes. Je les accumule. La phase d'écriture ressemble à n'importe quel autre travail ouvrier. Je crois beaucoup à l'idée d'atelier. On s'imagine souvent l'écriture comme une activité pure et éthérée, mais c'est une blague : l'écriture est d'abord une activité physique, très fatigante. Je me fais souvent l'impression d'être un ébéniste qui travaille dans son atelier. Je peux ressortir totalement épuisé d'une journée de travail, commencée à deux heures du matin et achevée à dix heures du soir, sans interruption autre qu'un verre d'eau ou un jus de fruit. Il ne faut ni mépriser ni sous-estimer la partie physique du travail de l'écrivain: c'est le plus difficile, le plus harassant. A la fin de la journée, mon bureau ressemble à l'atelier de cet ébéniste, plein de copeaux de bois et de sciure.
Tristano meurt est aussi une formidable réflexion sur le métier d'écrivain. Tristano n'est pas tendre avec eux: «Je ne crois pas à l'écriture, l'écriture fausse tout, vous les écrivains vous êtes des faussaires.» Que voulez-vous dire ?
A.T. Tristano exagère, il a du ressentiment pour l'écrivain qui a osé écrire sa biographie et se mettre à sa place. De ce point de vue, je partage complètement l'idée de Tristano. Je n'aime pas beaucoup les biographes. Ils font preuve de beaucoup d'arrogance.
Comment cela ?
A.T. Raconter la vie de quelqu'un que l'on n'a pas ou peu connu, lui prêter des sentiments à tel moment précis de sa vie, prétendre qu'il a dû ressentir telle chose puisqu'il a choisi d'agir de telle manière... : voilà l'arrogance du biographe. L'arrogance suprême consiste à penser que l'on a compris la vie de quelqu'un d'autre. Si Tristano convoque l'écrivain qui a écrit sa biographie et l'a transformé en héros quelques années plus tôt, c'est pour lui dire que l'histoire ne s'est pas passée comme l'écrivain le croit et l'avait écrit.
Mais l'ire de Tristano ne se limite pas aux biographes : «Les écrivains, vous vous voyez toujours dans une lumière future, comme posthumes» ... Vous n'allez pas me dire que vous n'écrivez pas pour la postérité ?
A.T. Eh bien, si ! Je sais qu'il y a beaucoup d'écrivains qui croient écrire pour la postérité et se voient dans cette «lumière future». C'est grotesque. Disons qu'il y a ceux qui écrivent de façon authentique et ceux qui écrivent par coquetterie. Penser à la postérité est une forme de coquetterie. On écrit, un point c'est tout. Kafka n'a jamais écrit en songeant à la postérité. René Char non plus. Rimbaud non plus, même s'il a d'abord été séduit par le petit cercle littéraire des salons parisiens. Et Pessoa, qui n'a presque rien publié de son vivant, croyez-vous qu'il se soit soucié de la postérité ? On voit dès les premières pages d'un roman cette faiblesse de l'écrivain qui espère être lu après sa mort. Songer à la postérité affecte l'écriture et la rend mauvaise.
A un moment, Tristano apostrophe l'écrivain en lui lançant, de façon un peu provocatrice : «Je crois qu'aucun écrivain n'a réussi à dire pourquoi il écrivait.» Et vous, pourquoi écrivez-vous ?
A.T. Honnêtement ? Je ne sais pas. Celui qui sait pourquoi il écrit n'est pas un écrivain.
Ah bon, pourquoi ?
A.T. L'écriture est une chose mystérieuse ! Poser cette question permet cependant de toucher l'authenticité de certaines littératures, de certains écrivains qui affirment savoir pourquoi ils écrivent. Pourquoi écrire ? Pour être célèbre ? Pour gagner de l'argent ? Je pense qu'il y a des milliers de réponses à cette question et toutes les réponses sont également vraies : on écrit parce que le soleil tombe, que la nuit arrive et que l'on préfère la lumière... et alors on pense qu'écrire signifie allumer une lampe... ou alors on écrit pour la raison inverse... C'est la même chose, les deux faces de la même médaille. Ou encore on écrit parce qu'on pense que le monde a besoin d'être suicidé, et que l'on sera là pour le faire... Toutes les réponses sont plausibles et nulles en même temps. Un écrivain honnête, après un bon examen de conscience, arrivera toujours à la conclusion qu'il ne sait pas pourquoi il écrit.
Vous avez évoqué Pessoa, que vous avez largement contribué à sortir des limbes. Quelle influence exerce-t-il sur vos romans ?
A.T. Il s'est créé une petite mythologie autour de Pessoa et de Tabucchi. Il est vrai qu'il compte énormément pour moi. Je l'ai découvert à Paris, et non à Lisbonne. C'était en 1965, sur les quais de Seine, chez un bouquiniste. Il m'a donné envie d'écrire, de découvrir le Portugal, d'être ce que je suis aujourd'hui. Ma dette envers lui est évidemment immense. Il est vrai que j'ai contribué à la découverte de Pessoa, notamment en Italie où je l'ai traduit du portugais, mais il ne faut pas exagérer ma contribution à la diffusion de son oeuvre. Beaucoup d'autres critiques et enseignants ont aidé à ce que sa pensée et sa poésie soient connues du grand public. En ce qui concerne son influence sur mon travail de romancier, je ne saurais dire exactement de quoi il retourne. A vous de le dire ! Mais il est exact qu'il fait partie de ma famille, au même titre que Conrad, que je relis énormément. Pessoa a réussi un tour de force incroyable en inventant ses hétéronymes, créant ainsi un spectacle de théâtre. Et il a donné le plus beau roman qui soit : son oeuvre est une oeuvre poétique sans équivalent.
Dans La gastrite de Platon, vous analysez le rôle de l'écrivain et de son engagement : jusqu'où l'écrivain peut-il aller ?
A.T. Un écrivain, paradoxalement, n'est pas d'abord un intellectuel. C'est un intellectuel périodique. Je veux dire par là que s'il devient un intellectuel en permanence, alors il n'écrit plus et ne mérite donc plus d'être appelé écrivain. Il doit se manifester, bien sûr, exposer ses idées, et même défiler ou pétitionner si ça lui chante, mais surtout retourner à son métier qui est d'écrire (...). Il faut séparer l'activité de l'écrivain et l'activité de l'intellectuel.