Ce weekend, cet extrait d’une émission Sept à Huit, sur TF1, a suscité des critiques virulentes et des insultes. On y découvre Ali, qui, victime de graves maltraitance dans son enfance, a choisi de confier sa fille à l'Assistance publique, afin de ne pas prendre le risque de reproduire ce qu'elle avait vécu. Le reportage intégral est à voir ici.
Contrairement à 90% des commentaires sur Twitter, j’ai attendu de voir le reportage. Mais, psychologue en devenir, je souhaite expliquer deux ou trois trucs, vus et étudiés en un an de psy à la protection de l’enfance.
Le témoignage est très fort et courageux. D'abord, j'en veux à la personne qui a écrit l'accroche du reportage : « ses explications vous convaincront-elles ? » : c'est absolument honteux : cela consiste à placer Ali en position de fautive. Et surtout, cela encourage à regarder le reportage avec ce biais : « C'est une mauvaise mère ».
Ensuite, le parcours de cette jeune femme est expliqué clairement et tout est transparent. Elle ne voulait pas être mère, et normalement ne pouvait pas l’être. Tout est dans le reportage : son enfance est émaillée de grandes maltraitances physiques et psychologiques de la part de sa mère. Elle savait qu'elle ne voulait pas être ce genre de mère. Comme beaucoup d'enfants maltraités, on redoute la maternité pour des raisons évidentes.
Ali est atteinte d'endométriose et placée sous ménopause artificielle. Elle n'aurait pas dû tomber enceinte. Malheureusement, cela arrive, quelques temps après sa séparation avec son conjoint de l’époque.
A l'annonce de la grossesse, elle a 19 ans, elle explique clairement qu'elle veut avorter, que c'est sa première question. Sa mère l'en dissuade en lui promettant que cet enfant va pouvoir « réparer » leur relation mère-fille. On peut dire ce qu'on veut, mais à 19 ans, après des années de maltraitance et très probablement d'emprise de la mère, avec tous les discours malsains véhiculés par beaucoup, de type « mais c'est ta mère, tu n'en as qu'une, elle t'aime au fond même si elle le fait mal… » : non.
Il n'y a aucune excuse à la maltraitance ou à la violence d'une mère sur son enfant. Le lien familial ne donne aucune légitimité pour faire du mal. Aucune. Et donc, comme tous les enfants maltraités, il y a toujours une énorme culpabilité (et si c'était ma faute ?) couplé d’un espoir qu'un jour, ça aille mieux.
La mère d'Ali s'est visiblement servi de leur histoire, de ce moment d'extrême fragilité psychologique, de l'annonce de la grossesse pour renforcer son emprise sur sa fille. Oui, le bébé à naître est considéré uniquement comme une chose qui va servir un but pour cette grand mère.
Ali donc, seule, et sans beaucoup de ressources, fait confiance à sa mère, parce que ce type de relation mère-fille, c'est de l'ambivalence permanente, parce qu'elle a voulu y croire.
À l’accouchement, évidemment, on comprend que toutes les promesses de la mère, c'était du vent, et Ali se retrouve seule avec le bébé, sans ressources très souvent. Elle la nourrit. Elle essaie de faire bonne figure. Elle doit gérer un bébé qu'elle ne voulait pas, et une énième trahison de sa mère. Elle a à peine 20 ans. Et elle explique que le lien avec son bébé ne se crée pas. Ça arrive. Ce n'est pas parce qu'elle ne l'aime pas, ni parce qu'elle ne s'en occupe pas. Elle ne parvient pas à être mère.
On voit dans le reportage que c'est très dur pour elle, notamment quand elle révèle avoir laissé sa fille seule de longs moments dans sa chambre, de peur de lui faire du mal. Elle explique que le comportement de sa fille change, parce que oui, le bébé ressent quand le lien ne se fait pas, et très tôt il peut en souffrir. Ali le raconte de manière très lucide et ne cherche absolument pas à se trouver des excuses. Elle le dit, elle ne voulait pas être mère et elle n'est pas parvenue à le devenir, sûrement à cause des très nombreux facteurs cités précédemment. Elle décide donc de la confier, de faire appel aux services sociaux. Et c'est là que beaucoup ne mesurent pas la courage que ça demande. Dire la vérité. Avouer qu'on a pas su faire et qu'on ne peut pas, qu'on ne veut plus le faire. C'est déchirant.
Mais elle a pensé en premier à sa fille. Elle savait, pour l'avoir vécu, que cette relation ne pouvait mener qu'à des traumatismes et à de la maltraitance. J'entends déjà les « ah mais elle aurait pu se faire aider ». alors oui, mais par qui ? Comment ?
Une grand-mère violente, un conjoint plus dans le tableau, une grossesse non désirée, des centaines de traumas d'enfance non réglés. Vous pensez vraiment que cela se règle avec un rendez-vous avec une puéricultrice par semaine, tout en élevant un bébé ?
Et non, le temps n'aurait pas « arrangé » les choses. Pour ce genre de traumas, cela prend des années. Elle n'était pas prête, elle l'avait dit depuis le début. Ali a fait un choix extrêmement difficile mais extrêmement courageux.
Vous n'imaginez pas la force qu'il faut pour passer cet appel. Parler de son histoire. Ouvrir la porte aux services. Et derrière assumer ce qu'il a dû se passer avec sa mère et dont elle ne parle pas. Parce que croyez-moi, la grand mère violente a dû bien lui faire payer, et peut être aujourd'hui encore.
Quant à cette petite fille, je suis d'accord sur le fait qu'elle n'avait rien demandé. Personne ne demande à avoir un parcours de vie difficile. Mais elle a été confiée à une famille d'accueil où elle semble épanouie. Ali ne l'a pas abandonnée du jour au lendemain, elle a utilisé l'aide des services pour réduire peu à peu les visites pour ne pas perturber trop fort sa fille, avant de signer une DJDP (déclaration judiciaire de délaissement parental), ce qui rend sa fille adoptable. Elle a 4 ans, elle trouvera une famille.
Le mieux aurait été, selon certains, qu'elle reste avec sa mère, dans un contexte environnemental délétère et propice à la maltraitance. Tout cela au nom de « mais c'est sa mère ». L'amour d'une mère, c'est aussi savoir dire qu'on ne peut pas l'être, et appeler à l’aide.
Mieux vaut une petite fille en famille ou adoptée et en bonne santé psychique qu'une dyade mère-fille avec dépression, envie de suicide et risques de maltraitance. Il n'y a même pas lieu de réfléchir. Et pour ceux qui pensent encore que « elle aurait pu attendre de voir », elle a déjà attendu 2 ans. C'est suffisant pour créer un attachement insécure chez l'enfant et un mal être. Ali elle-même le dit, elle était extrêmement mal et a même fait une tentative de suicide. Cette situation était une bombe à retardement.
En protection de l’enfance, j'ai eu le temps d'en voir, des parents et des enfants dans des cas similaires. Je ne parlerai pas de ceux qui préfèrent garder à tout prix un lien avec les enfants et qui les détruisent petit à petit par des promesses non tenues, des allers/retours en famille d'accueil, des rendez-vous en visite non honorés. Et l'enfant espère. Il espère que ça ira mieux un jour. Alors il endure, mais il est rongé peu à peu. Bien sûr il y a des histoires de retrouvailles heureuses, mais à la condition d'une acceptation d’aide par le parent, d'un accompagnement psychologique régulier, et d'un travail sur la relation à l'enfant. Ceci n'est possible que quand l'environnement du parent est relativement sain et quand le parent veut conserver ce lien.
J'ai vu régulièrement une jeune femme avec deux enfants issus de deux dénis de grossesse. Même parcours de maltraitance de la part de la mère. Même promesse qu'elle l'aiderait à s'occuper des enfants. Cette jeune femme est arrivée au bureau en larmes, et ne savait pas comment exprimer sa douleur ni sa honte de ne rien ressentir pour ses enfants.
Elle demandait la réduction des droits de visite, elle ne pouvait plus. Elle était pressurisée par sa propre mère et n'avait jamais voulu l'être. Elle était consumée par l'idée d'être un monstre de vouloir couper le lien avec ses enfants. Elle disait « vous êtes des femmes, vous allez me dire que je ne devrais pas faire ça en tant que mère, mais je ne ressens pas le lien, je n'y arrive pas, je suis désolée. » C'était déchirant, parce qu'elle culpabilisait et elle portait tout le poids de la société, de sa famille, lui intimant que donner la vie, c'est forcément aimer ses enfants inconditionnellement, de n'importe quelle manière, même la mauvaise serait toujours mieux que « rien ». Sauf que non. Mieux vaut « rien » que de détruire un enfant.
Ali n'a pas abandonné sa fille, elle l'a sauvée. Et si elle me lit, j'espère sincèrement qu'elle a se faire accompagner psychologiquement pour gérer cette culpabilité et ce mal-être suite au placement. Ta décision est honorable, et c'est la preuve que tu as pu l'aimer assez pour lui éviter un chemin de vie plus sombre. C'est une histoire terrible, et j'espère que tu n'es pas seule. Je t'envoie tout mon soutien et toutes mes pensées.
 
                 
             
            