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Billet de blog 18 septembre 2025

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Trois ans après, Jina Mahsa Amini : symbole d’une lutte universelle

On l’a appelée Mahsa parce que le régime interdit les prénoms kurdes. À 22 ans, on lui a ôté la vie pour quelques mèches de cheveux. Dès sa mort, Jina Mahsa Amini est devenue le symbole d’un combat courageux des femmes iraniennes contre l’oppression patriarcale et politique. Trois ans plus tard, son nom résonne toujours, et son cri « Femme, Vie, Liberté » a pris une ampleur internationale.

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Une mort, un symbole mondial

Depuis sa mort tragique, le 16 septembre 2022, Jina demeure un symbole puissant de lutte, de résistance et d’indignation face à l’injustice. Alors qu’elle était entre les mains de la « police des mœurs » iranienne, son nom a résonné bien au-delà des frontières de l’Iran. Jina n’est plus seulement une victime : elle incarne aujourd’hui le cri étouffé de millions de femmes privées de liberté, de dignité et de droits fondamentaux, dans une région où être femme revient souvent à être réduite au silence.

Ce qui rend son histoire d’autant plus glaçante, c’est que la police qui l’a arrêtée, battue, puis conduite à la mort, était en partie composée de femmes. Des femmes elles-mêmes victimes d’un système patriarcal qui les a dressées à faire respecter des lois écrites et imposées par des hommes. Une police féminine, mais utilisée comme un outil de domination, pour briser d’autres femmes.

Dans cette mécanique cruelle, la femme est à la fois victime et instrument d’un ordre autoritaire qui cherche à effacer son existence. Et pourtant, cette réalité complexe est déformée par certains partis politiques, notamment l’extrême droite française, qui y voit la preuve que les femmes voilées seraient complices d’un système barbare. C’est un renversement pervers, qui instrumentalise la souffrance des femmes iraniennes pour légitimer une islamophobie profondément ancrée.

Dans les deux cas, les femmes sont les premières victimes : ici, par la contrainte et l’endoctrinement ; là, par la stigmatisation et l’exclusion. Le féminisme ne peut être un alibi pour haïr. Il ne peut servir à nourrir des discours racistes ou colonialistes. Défendre les droits des femmes, c’est aussi refuser les récupérations malhonnêtes.

Une jeunesse fauchée, un peuple en colère

Le 13 septembre 2022, Jina Mahsa Amini, jeune Kurde iranienne de 22 ans, est arrêtée à Téhéran pour « port de vêtements inappropriés ». Elle était simplement de passage avec sa famille. Originaire de Saqqez, dans le Kurdistan iranien, Jina venait d’une région où les règles vestimentaires sont appliquées avec plus de souplesse. Elle ne vivait pas dans la capitale, où les normes sont strictement surveillées. Il est probable qu’elle ignorait, ou ne comprenait pas pleinement, la rigueur absurde de ces codes à Téhéran.

Mais elle n’a pas cédé. Elle n’a pas baissé les yeux. Elle a tenu tête, silencieusement. Et pour cela, elle a été battue jusqu’à ce que son crâne cède sous les coups. Trois jours plus tard, elle meurt à l’hôpital.

Une mort parmi tant d’autres, mais pas comme les autres

Sa mort n’est pas un cas isolé. Des femmes comme Neda Agha-Soltan, tuée en 2009 lors du Mouvement vert, ou Hadis Najafi, abattue en 2022, ont également été fauchées pour avoir osé se tenir debout. Mais ce qui rend la mort de Jina si choquante et si virale, c’est cette tragique combinaison : une jeune femme innocente, étrangère à la ville, victime d’un système kafkaïen qu’elle ne maîtrisait pas. Une visite familiale qui tourne en condamnation à mort.

L’autrice iranienne Chowra Makaremi le souligne dans son ouvrage Femme, Vie, Liberté : « Elle était étrangère à la ville. » C’est peut-être cela qui a rendu cette mort si virale. Lorsque son père apprend la nouvelle, un responsable syndical lui dit : « Ce n’est plus seulement votre fille. C’est la fille du peuple. »

Il ne faut pas oublier qu’au Proche-Orient, il existe une culture de l’hospitalité où l’invité est roi. Peut-être que Téhéran s’est indignée de ne pas avoir su protéger une invitée.

L’effacement des identités : Jina, pas Mahsa

Et puis, il y a son prénom. Officiellement, elle s’appelait « Mahsa » — un nom imposé par le régime iranien qui interdit les prénoms kurdes et même la langue. Sa mère pleure pourtant sur sa tombe en l’appelant « Jina », son vrai prénom. Ce simple geste révèle l’ampleur d’une oppression qui ne se contente pas de briser les corps, mais cherche à effacer les identités.

Son visage doux, jeune et accessible devient rapidement une icône. Relayé sur les réseaux sociaux, il dépasse les frontières de l’Iran. Jina est devenue un symbole universel, non d’un drame isolé, mais de l’injustice systémique faite aux femmes, à leur corps, à leur liberté.

Le slogan devenu cri mondial : « Jin, Jiyan, Azadî »

Le lendemain de sa mort, Saqqez se soulève. Puis d’autres villes kurdes. Puis Téhéran, Ispahan, Mashhad, Shiraz. Et bientôt, le monde entier. Des femmes retirent leur voile en public, coupent leurs cheveux, brûlent leur hijab comme on brûle une chaîne. Les hommes les soutiennent. Un cri puissant résonne :
« Jin, Jiyan, Azadî - Femme, Vie, Liberté - Zen, Zendegi, Azadi. »

Ce slogan, né dans les montagnes kurdes, s’inspire de la pensée du leader kurde Abdullah Öcalan, qui, dès les années 1990, affirmait que « la femme est la vie », et qu’il ne peut y avoir de vie digne sans la liberté des femmes. Quelques années après ces déclarations, « Jin, Jiyan, Azadî » devient la philosophie fondatrice du mouvement des femmes kurdes, au cœur de leur lutte pour l’émancipation, l’autonomie et la résistance contre le patriarcat et les systèmes de domination.

Ce n’est qu’après la mort de Jina Mahsa Amini que ce slogan franchit les frontières du Kurdistan pour devenir un cri de ralliement mondial. Il est désormais scandé dans toutes les langues, en français, espagnol, anglais, arabe ; des rues de Paris aux places d’Istanbul, des manifestations à Santiago du Chili jusqu’à Kaboul.

Au-delà du voile : un soulèvement contre tout un système

Réduire ce mouvement à une simple contestation du port du voile serait une grave erreur, et une trahison de celles et ceux qui y participent. Le voile n’est ici qu’un symbole visible d’un système d’oppression global : un État qui contrôle les corps, bâillonne les voix, manipule les médias, écrase toute dissidence.

Ce soulèvement réclame avant tout la liberté de choix. Les femmes qui retirent leur hijab ne rejettent pas nécessairement le voile en soi, mais refusent qu’on leur impose de le porter. Beaucoup de participantes sont elles-mêmes voilées, par conviction ou tradition, mais elles revendiquent le droit de le porter, ou non, librement, en conscience, sans pression ni sanction.

La récupération politique du mouvement par l’extrême droite française, qui en fait un combat contre l’islam, est à la fois malhonnête et dangereuse. Sous prétexte de solidarité, elle sert souvent à justifier des lois liberticides en France, opposant : « Là-bas, elles veulent l’enlever » à « Ici, elles veulent le porter. » Cette vision binaire et simpliste efface la véritable lutte : celle pour la liberté.

Le retour du Chah ? Une manipulation politique dangereuse

À mesure que le mouvement prenait de l’ampleur, certains groupes, notamment dans la diaspora iranienne occidentale, ont tenté de raviver l’idée d’un retour au régime du dernier Chah, Reza Pahlavi. Exilé depuis 1979, il est parfois présenté comme le symbole d’une époque « moderne » et « libre ».

Mais cette lecture est profondément réductrice. Le régime du Chah, soutenu par l’Occident, était une dictature militaire brutale : tortures, exécutions, répression féroce des minorités ethniques, absence totale de liberté d’expression. Certes, les femmes pouvaient porter ce qu’elles voulaient, mais elles n’étaient ni libres de penser, ni libres de critiquer, ni libres de vivre pleinement.

Instrumentaliser la souffrance actuelle pour faire revenir un ordre ancien, tout aussi oppressif mais au visage plus policé, a contribué à diviser le mouvement. Le cri « Femme, Vie, Liberté » n’a cependant pas cédé à ces manipulations. Il est resté un appel universel, refusant d’être réduit à une querelle politique ou dynastique.

Une solidarité féministe transnationale

Dès le début, les images de femmes défiant le régime sont devenues virales. Mais cette visibilité n’a pas toujours servi la cause. Les médias occidentaux ont parfois résumé la révolte à un choc des civilisations, niant sa complexité. Il faut rappeler que les femmes iraniennes font partie des plus instruites de la région : beaucoup poursuivent de longues études, mais se heurtent ensuite à de fortes discriminations sur le marché de l’emploi. Leur diplôme ne garantit pas leur liberté.

Parallèlement à ces récupérations, une véritable solidarité féministe transnationale s’est affirmée. En France, au Chili, en Afghanistan, au Kurdistan, en Tunisie ou en Turquie, des femmes ont reconnu ce cri comme un refus universel d’être réduites au silence, au vêtement, au corps. Le slogan « Femme, Vie, Liberté » est devenu un mot d’ordre mondial, une promesse de résistance contre toutes les formes d’oppression : religieuse, étatique, sexiste, raciale ou économique.

Répression, chiffres et persistance du danger

La répression en Iran ne faiblit pas. Les lois se durcissent, les sanctions se multiplient : arrestations arbitraires, condamnations sévères, exécutions, surveillance renforcée, harcèlements. Voici quelques faits récents :

  • En 2024, l’Iran a exécuté au moins 901 personnes, dont 31 femmes, un chiffre record depuis des années. Reuters
  • Toujours en 2024, au moins 30 femmes ont été exécutées dans les prisons iraniennes, selon le rapport annuel de l’organisation des droits de l’homme Hengaw. hengaw.net
  • En janvier 2025, au moins 20 militantes ont été arrêtées, et plusieurs ont été condamnées à la prison ou au fouet. hengaw.net
  • En juin 2025, 2 femmes exécutées, 12 activistes arrêtées, et 11 féminicides recensés dans différentes villes. hengaw.net
  • En août 2025, la répression continue : 5 exécutions de femmes, 7 arrestations d’activistes, 17 féminicides (la plupart par des proches) selon Hengaw. hengaw.net

La surveillance se densifie également : caméras, drones, applications pour dénoncer, police des mœurs reconstituée dans certaines régions. ONU News+2ایران اینترنشنال | Iran International+2

Conclusion : Trois ans après, la force d’une lutte collective et universelle

Trois ans après la mort de Jina Mahsa Amini, le mouvement Femme, Vie, Liberté résonne dans le cœur de millions de personnes, en Iran, au Kurdistan, et partout dans le monde. Ce n’est plus seulement une révolte kurde ou iranienne, mais une lutte collective qui transcende les origines ethniques, culturelles et religieuses.

Quand les femmes s’unissent, elles deviennent une force capable de défier les régimes les plus autoritaires et les systèmes les plus oppressifs. Ce mouvement est un exemple pour toutes les femmes du monde. Il rappelle que la lutte féminine n’est pas seulement une bataille locale, mais une insurrection contre un système global ; politique, religieux, économique, qui réduit la femme à un objet malléable, manipulable, utilisable.

Comme le disait Abdullah Öcalan, figure majeure du mouvement kurde : « Il n’y aura pas de peuple libre sans femme libre. » Ce constat est un appel clair à ne pas séparer les luttes. La libération des femmes est au cœur de toute émancipation humaine. La force du mouvement Femme, Vie, Liberté vient de cette conviction profonde : pour que la liberté advienne, il faut que toutes les femmes se tiennent la main, dépassent leurs différences, et se soulèvent ensemble, contre toutes les oppressions, contre tous les systèmes qui voudraient les faire taire, invisibles ou impuissantes.

Trois ans après, la flamme allumée par Jina Mahsa Amini brûle toujours. Elle éclaire la voie d’un monde où chaque femme pourra enfin choisir sa vie ;  libre, digne et fière.

Alice Elvan Celik

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