Elle parle des problèmes de femmes modernes et branchées. Elle met en scène l'amour, la mode et les copines. Enquête sur une catégorie littéraire à part : la chick lit.
« Votre job vous ennuie à mourir ? Vos amours laissent à désirer ? Rien de tel qu'un peu de shopping pour se remonter le moral... C'est en tout cas la devise de Becky Bloomwood, une jolie Londonienne de vingt-cinq ans. Armée de ses cartes de crédit, la vie lui semble tout simplement magique ! ». Le livre de Sophie Kinsella, Confessions d'une accro du shopping, appartient à un genre particulier, celui de la chick lit. Traduisez : de la « littérature de poulettes ». Ciblant un lectorat féminin de 15 à 40 ans, les livres de chick lit reposent sur un scénario bien huilé : une jeune femme, belle, riche, branchée, vit à Paris, Londres ou New York. Elle fait carrière dans le monde impitoyable des médias ou de la mode. Elle est indépendante financièrement, libérée sexuellement. Féministe donc. A ceci près que sa quête ultime est celle de l'amour, le vrai, le grand, le beau. Une quête semée d'embûches.
La déferlante chick lit s'amorce milieu des années 1990 avec Le journal de Bridget Jones, d'Helen Fielding, et Sex and the City, de la chroniqueuse Candace Bushnell, qui donne naissance à la série éponyme. Deux succès planétaires, tirés à des millions d'exemplaires. Les ouvrages actuels de chick lit souffrent difficilement la comparaison, puisque chaque livre se vend rarement à plus de 6000 exemplaires. « Les ventes se tassent. Chaque année, nous nous interrogeons sur la raison d'être de la collection, explique Caroline Lamoulie, éditrice de « J'ai Lu ». Mais comme il y a toujours un lectorat, nous persévérons ». La maison d'édition « J'ai Lu » publie entre 8 et 10 titres par an. De quoi alimenter les bibliothèques des lectrices, sans prendre un risque inconsidéré.
Des stéréotypes sauce piquante
La littérature de nanas a l'art de jouer sur plusieurs tableaux. Les stéréotypes sont plongés dans une sauce piquante. Si les lectrices s'identifient à l'héroïne, c'est avant tout parce qu'elle est une femme imparfaite, qui se débat entre des objectifs irréconciliables : la féminité et l'indépendance. Bridget Jones, par exemple, ne parvient pas à ressembler aux femmes des magazines. Elle boit, elle fume, elle mange du chocolat. Essaie en vain de perdre du poids. Et, dès qu'elle se trouve en présence d'un potentiel prince charmant, elle torpille ses possibilités en tombant dans les bras d'un coureur de jupons qui passait par là. Pour Alexandra, 26 ans, même si la chick lit est avant tout un moment de détente, elle s'identifie facilement à l'héroïne. «Pour Le Diable s'habille en Prada, raconte-t-elle, c'est sûr que je me sentais cette petite nana qui arrive dans une grande ville car j'arrivais sur Paris au même moment. J'ai toujours été attirée par la mode, les vêtements, et la voir avec de superbes tenues, ça me faisais rêver. »
Pourtant, pas question de confondre le lectorat de chick lit avec celui de littérature sentimentale, dont les collections « Harlequin » sont le fer de lance. « Les lectrices de sentimental, explique Caroline Lamoulie, veulent une histoire d'amour qui les fassent vraiment rêver et qu'à aucun moment, il n'y ait la possibilité d'une rupture ou d'un désaccord. Elles veulent la version idéale de l'amour. » Le combat des Anciennes contre les Modernes en quelque sorte. Qui se traduit graphiquement par des couvertures très différenciées. Des photos romantiques de femmes au coucher de soleil pour le sentimental. Des dessins humoristiques de femmes filiformes branchées pour la chick lit. « On reconnaît une héroïne de chick lit, analyse Claire Fauvain, graphiste chez « J'ai Lu », parce qu'elle est ultralookée : talons aiguilles et rouge à lèvre. Les illustrations de couverture ressemblent à des dessins de stylisme ». Un homme en couverture ? « On y a pensé, puis on l'a viré au dernier moment. »
Et les hommes ?
Pourtant, loin d'être absents, les hommes sont la moelle épinière de la chick lit. Il faut vivre avec eux, au milieu d'eux. Comme des créatures étrangères que l'on cernerait mal, et qui nous comprendraient de travers. Michaël, 27 ans, ne lit ces livres qu'aux toilettes,« par curiosité et désœuvrement ». A côté, et comme pour se faire pardonner, il affirme avoir lu plusieurs ouvrages de Simone de Beauvoir et de Camille Paglia. Il déplore que « l'amour soit au plus haut des préoccupations de l'héroïne, et d'ailleurs, c'est de l'homme que vient le salut. (...)Ce type de sexe masculin élevé au rang de quasi-divinité qui apportera la stabilité au final, quand on viendra se blottir dans ses bras musclés et poilus. » Et de conclure, « si c'est un modèle pour nos filles, soeurs et femmes, j'ai peur. » Un homme qui remet sur le tapis les enjeux féministes d'arrière-garde ? La situation a de quoi faire sourire. Que la littérature de poulettes reprenne de l'importance, et certains n'hésiteront pas à lui voler dans les plumes.