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Céline Cael et Laurent Reynaud

Auteurs de Et si on imaginait l'école de demain ?

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Tribune 28 août 2025

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L'IA à l'école : priorité au gadget

« L’IA pour les enseignants, formation obligatoire à l’IA pour les élèves, l’IA une révolution pour la société ». La conférence de presse de rentrée d’Elisabeth Borne annonce la priorité pour le système éducatif, là, cachée dans deux petites lettres : IA. Une priorité, c’est ce qui fédère, qui oriente, et qui galvanise l’action commune. Mais si cette priorité souhaite inscrire l’école dans son temps, elle occulte les véritables urgences de l’école. 

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« L’IA pour les enseignants, formation obligatoire à l’IA pour les élèves, l’IA une révolution pour la société ». La conférence de presse de rentrée d’Elisabeth Borne annonce la priorité pour le système éducatif, là, cachée dans deux petites lettres : IA. Une priorité c’est ce qui fédère, qui oriente, et qui galvanise l’action commune. Faut-il donc être enthousiaste ?

Une priorité qui interroge

Si cette priorité souhaite inscrire l’école dans son temps, celui d’une révolution technologique en cours, elle occulte les véritables urgences de l’école, celles faites de chair de liens humains. Des urgences certes plus complexes à traiter et qui ne se résument pas à la simple injonction de deux lettres. Envisager de former les élèves à l'IA, ou équiper les enseignants d'un outil d'assistance pour leurs cours, c'est mettre le projecteur sur un gadget utile plutôt que sur les besoins nécessaires.

C’est aussi choisir une voie simple, celle qui donne l’illusion d’agir vite et efficacement, alors même que les véritables priorités — la lutte contre les inégalités, l’accompagnement des élèves en difficulté, le soutien au métier enseignant — demandent du temps, de l’investissement humain et un courage politique autrement plus grand. Nous pourrions nous contenter de dire “tant pis pour cette fois”. Après tout, les conférences et les priorités se succèdent chaque année pendant que, sur le terrain de la classe, nous travaillons dans la continuité et sur le long terme de l’éducation.

Néanmoins, cette approche ne nous fait-elle pas prendre le risque de nous concentrer sur les outils au détriment de l'essentiel : la qualité de l'enseignement et le développement des liens humains qui forment le collectif dont notre société semble avoir de plus en plus besoin, et que seule l’école prend encore en charge ? A quel autre endroit, dans la  société actuelle, les différences se côtoient-elles encore pour construire ensemble si ce n’est dans une salle de classe ?

Pourtant, c’est bien ce rôle fédérateur de l’école qui est mis à mal aujourd’hui, si on observe les différents évitements de la carte scolaire et une orientation  très définie par le milieu social des élèves. Alors pourquoi se concentrer sur un écran et sur l'artificialité d'une intelligence plutôt que de mettre la priorité sur la classe, les échanges entre les élèves et l'intelligence collective ?

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Illustration "Et si on imaginait l'école de demain ?" Clément Gy et Alizee Gilles

Vers une prolétarisation du métier d'enseignant ?

L'introduction massive du numérique, et de l'IA par extension, dans le quotidien du métier d’enseignant semble bien plus souvent conduire à un appauvrissement du métier d’enseignant plutôt qu’à son optimisation. Le temps passé à remplir des cases sur des logiciels, à gérer des plateformes et à entrer des identifiants pour nous connecter sont autant de temps perdu, au détriment d’une véritable connexion avec nos élèves.

Faut-il voir un lien entre ce repli vers l’artificialité et les autres constats partagés lors de cette conférence : le mal-être mental des jeunes et le manque d’attractivité du métier d'enseignant ?

Par ailleurs, alors même que l’intelligence artificielle questionne de nombreuses pratiques enseignantes à commencer par l’évaluation, c’est paradoxalement la formation des élèves à l’outil qui est priorisée alors que la formation générale des enseignants s’amenuise d’années en années. Il semble donc aujourd’hui nécessaire de dé-gadgétiser la profession pour que le le temps enseignant soit pleinement consacré à faire vivre la pédagogie dans les classes pour apprendre à penser et à faire ensemble.

L'IA, un pari sur un avenir improbable ?

Il ne s’agit pas de verser dans la technophobie, mais d’aborder l’IA de manière raisonnée sans en faire la pierre angulaire des changements à venir. On remarque d’ailleurs un paradoxe dans les priorités mises en avant lors de la conférence de presse : d’un côté, l’interdiction des écrans de téléphones portables au collège et au lycée, et de l’autre, la promotion d’une technologie qui repose précisément sur l’usage de ces écrans.  Le choix de la cohérence semblerait donc être celui d’organiser les apprentissages avec une utilisation raisonnée des écrans et de l’IA, en phase avec les enjeux écologiques et sociétaux.

On pourra toujours objecter que l’école doit préparer les citoyens de demain et qu’il ne faut pas les détourner du  virage technologique en cours pour rester dans la compétition internationale. Mais précisément, l’ambition ne serait-elle pas d’imaginer un avenir plus réaliste, et désirable, où l’IA ne sera sans doute pas la priorité contrairement à la nécessité de faire société face aux défis écologiques et politiques qui s’esquissent déjà aujourd’hui ? 

C’est ce que nous tentons de partager dans un docu-fiction sur l’école en 2042 : Et si on imaginait l’école de demain publié aux éditions Retz. Nous y faisons un autre pari, celui d’une école publique de la coopération fondée sur des pédagogies qui organisent l’entraide entre pairs, la confrontation féconde d’idées, des débats philosophiques et le travail en groupe.

S'il est indéniable que l'IA a un potentiel, notamment dans la personnalisation de l'apprentissage ou l'automatisation de certaines tâches administratives, elle ne saurait être la solution miracle à tous les défis de l'éducation. Le véritable enjeu est de savoir comment elle peut s'intégrer de manière judicieuse et mesurée pour servir les objectifs pédagogiques, et non l'inverse. Or précisément, l’ambition pédagogique s'amenuise par exemple avec la baisse des heures de formation.

Loin des gadgets qui cachent la forêt, il y a l’urgence du terrain, permettre aux enseignants de se consacrer au cœur de leur métier : accompagner, inspirer et faire grandir les élèves. En somme, laissons l'IA à sa juste place : celle d'un outil, au service de l'humain, et non celle d'une priorité qui nous ferait perdre de vue l'essentiel.

Laurent Reynaud et Céline Cael, membres du CRAP-Cahiers Pédagogiques

Auteurs du récit d’anticipation Et si on imaginait l’école de demain, Editions Retz / Cahiers Pédagogiques