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Billet de blog 27 juillet 2019

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Thunberg et Onfray, une même cible : Ces responsables inopérants

Ce que révèle en creux le texte d’Onfray est que Greta Thunberg est un fusible. Le fusible qui empêche que tout pète au moment où la situation mérite une explosion populaire.

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Je ne sais pas pourquoi je me lance dans un billet en réaction au texte de Michel Onfray sur Greta Thunberg. Le terrain est glissant, casse-gueule... C’est peut-être pour ça, par amour de l’aventure. Peut-être aussi parce que le sujet est grave, autrement sérieux : le climat.

En dehors du fait que je n’affectionne pas les mouvements de foule et que le bashing public me répugne (même quand il sévit à l’encontre de personnes dont les idées me répugnent tout autant), j’ai envie de considérer le point de vue de Michel Onfray autrement qu’une attaque bêtement réactionnaire.

C'est un risque car le philosophe devient incontestablement un vieux grincheux, au point qu'il est de plus en plus difficile à lire et à écouter. Mais faisons comme s'il était possible de tout entendre, même un pamphlet contre une adolescente aspeger dévouée corps et âme à la cause de la survie de notre planète.

Le texte d'Onfray sur Greta Thunberg souffre, je crois, d’un ton paternaliste assez pénible. Il encense l’école, pour moi qui l’est tant haï en raison d’un contexte familial et social pas toujours en ma faveur, j’aurais adoré étudier la philosophie mais je me suis retrouvée en BEP secrétariat. C'est sans doute la raison pour laquelle je tend l'oreille à ce que dit Onfray, en souvenir du bon vieux temps de l'Université Populaire de Caen...

Aujourd'hui j'écris des livres aujourd'hui à mon tour. La question de comprendre ce qu'un auteur veut susciter chez le lecteur avant de prendre la plume, doit se poser en amont de toute lecture. Michel Onfray anticipe les salves d'injures qu’il va déclencher quand il balance un texte. Il sait qu’il va se faire rouler dans la merde. Et il ne va pas jusqu’au bout pour contrarier les lecteurs/auditeurs mais bel et bien pour oser dire ce qu’il pense avec cette malice qui lui dicte de le faire de manière virulente. Personne n’a envie de se faire insulter, si on en prend le risque c’est que l'enjeu est plus important que la question d'être aimé ou non. Quel est l'enjeu d'Onfray, je l'ignore, chacun peut avancer son hypothèse. 

En tout cas, croire qu’Onfray s’attaque au physique d’une jeune fille, à sa jeunesse, à son intelligence par méchanceté serait une erreur grossière. Regardons autrement la face visible de l’iceberg qu’il n'a pas peur de montrer. Quand l'écrivain évoque le corps de l’adolescente, son expression, son âge, la tonalité de sa voix... il ne se rend pas coupable d’un crime sexuel, comme le sous-entend l'insupportable Miller qui fait un mauvais copier/coller de la pensée de Freud sur Twitter, mais dénonce le symbole Thunberg.

Illustration 1
Capture d'écran

Car nous sommes dans une société de l'image. De la même façon qu’il l’a fait pour Freud, Onfray broie les symboles, il les hache, les piétine, les détruit parce qu’il les exècre. Et je dois dire que j'approuve cela. Moi aussi j’exècre les symboles.

Je me souviens de discussions autour de la table avec des amis où il était impossible de défendre ce point de vue, tant l'autorité de Freud était installée en eux. Nombreuses sont les personnes de mon entourage qui ont fait une psychanalyse (moi-même j'en ai fait un bout il y a longtemps, et pas longtemps) du coup quand on attaque Freud, même dans la sphère réduite de la vie privée, c'est un séisme, les psychanalysés se sentent attaqués au plus profond d'eux-mêmes. Cet amalgame est fou. C'est comme si on ne pouvait pas déconstruire les théories de tel ou tel mathématicien, sous prétexte qu'on l'a eu comme prof de math et qu'on l'a adoré. Le monde serait figé si nous pensions tous ainsi. La psychanalyse doit rester ce qu'elle est, un genre de connaissance et non une vérité. Comme tout genre de connaissance elle peut-être remise sur la table et démontée. Quant à ses créateurs il ne peuvent s'érigés en maîtres. "Il faut tuer ses chéries" disait Picasso.

Créer n'est pas dominer. La connaissance est mouvante, elle prend des formes avec le temps que les pionniers sont incapables d'anticiper. 

Pour des raisons évidentes, Freud ne souffrira pas du pamphlet de Michel Onfray. En revanche, pour Greta... ça pique un peu. La jeune fille est plongée dans le monde des adultes et des puissants autant dire sans pitié. Est-on rodé un jour face à ce rouleau compresseur ? J’en doute. C’est une première injustice. La seconde est que cette adolescente est prise dans un système où la cause qu’elle défend est noble et elle sera encensée pour cela, mais ses détracteurs seront impitoyables. Ceux qui dirigent ses actions sont responsables de la façon dont elle pourra encaisser les coups. 

Onfray n'est sans doute pas un détracteur de la cause du climat, pas plus qu’il est celui de l’autisme ou de la jeunesse... Qui est réellement l’objet de son dégoût ? Si j’entends bien, il se révolte contre ces adultes riches et instruits bien qu’inopérants et pourtant mis pouvoir, ces gens qui occupent des postes-clés, gavés d'argent et de privilèges pour honorer des fonctions pour lesquelles ils sont nuls, indignes, par manque de courage et d’engagement ; et ils sont fières d'applaudir une enfant de seize ans qui vient leur tirer l’oreille. C'est vrai que ce spectacle est écœurant. Je n'y vois pas du tout une avancée pour le climat. Je crois que Greta Thunberg a du pain sur la planche pour toute une vie. 

Non seulement ils se font faire la leçon et ils en redemandent, mais ils savent mieux que personne ce qu’ils sont en train de jouer : un jeu confortable et sans conséquences. Pendant qu’ils applaudissent Greta, la terre se réchauffe et ils donnent à voir qu’ils entendent Le Message, la jeunesse, quand ils ne font rien d’autre qu’entretenir leurs habitudes, déconnectées de la réalité, aux antipodes de l’urgence climatique. Pendant qu’ils laissent la place à Greta Thunberg à l’Assemblée Nationale, ils rendent visible l’écologie sans rien faire pour le climat. Et nous, on tombe dans le panneau, on applaudit Greta, on s’enthousiasme, on la porte fièrement sur Twitter comme le symbole qu’elle est devenue par la force des choses. Cela nous met du baume au cœur car nous sommes conscients qu’au même moment, dans la sphère des dirigeants, il ne se passe rien. Aussi, ce que révèle en creux le texte d’Onfray est que Greta Thunberg est un fusible. Le fusible qui empêche que tout pète au moment où la situation mérite une explosion populaire. Et probablement qu'Onfray aimerait que ça pète.

C'est la qu'une question philosophique se pose. Comment dire tout cela sans dégommer le symbole Greta ? Car si nous voyons Greta uniquement comme une jeune fille pure et honnête, jamais nous ne pourrons nous émanciper du symbole. Cette confusion arrange non seulement les dirigeants, mais nous arrange aussi au bout du compte. Applaudir Greta Thunberg ne suffit pas pour redresser la barre du réchauffement et se maintenir en dessous des 2°C d'ici 2100. Pour nous rendre la vue, pour nous obliger à prendre du recul et passer à l'acte, il faut détruire les symboles, quels qu’ils soient.

Nous ne pouvons pas nous contenter de nous offusquer de propos dérangeants à l'égard de l’autisme, de la jeunesse, du physique... ce serait tomber dans le piège tendu par l'écrivain qui met volontairement à mal ces termes pour défaire une égérie écolo en train de se construire. Egérie qui au bout du compte s’avèrera impuissante face à l'inertie en matière d'écologie. Cette cause ne se nourrira pas de discours mais d’actes volontaires et concrets.

Tout chez Greta suscite l'empathie, cette même empathie que les dirigeants utilisent pour nous détourner de leur manquement. Le climat, la préservation de notre milieu de vie nécessitent des engagements fermes, un changement de notre façon de vivre, l’acceptation de voir notre train de vie revue à la baisse, nos déplacements, notre consommation, nos vacances, notre quotidien... Tout est bon à prendre, les petits gestes et les grands. Et ce n’est pas en créant des symboles, même admirables, que nous parviendrons à changer le cours des choses. Cette réalité vaut pour nous et pour nos dirigeants qui applaudissent Greta Thunberg.

Illustration 2
Le Canard Enchaîné 24 juillet 2019
Illustration 3
© céline wagner

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