Les poursuites contre Julian Assange devraient être abandonnées, selon un avocat spécialisé dans l'extradition
Tom Coburg
25 may 2019
Poursuite sélective
Les 17 chefs d’accusation énumérés dans l’acte d’accusation ont trait à la loi sur l’espionnage. The Canary avaient auparavant averti que les autorités américaines avaient peut-être l'intention d'appliquer la loi contre Assange.
Mais s’il est possible de démontrer que les poursuites engagées contre Assange sont sélectives - et donc biaisées -, ses avocats britanniques pourraient invoquer ce fait comme une raison supplémentaire de refuser la demande d’extradition des États-Unis par le Royaume-Uni.
Dans les accords d'extradition conclus par le Royaume-Uni, des poursuites sélectives de ce type équivalent à des poursuites politiques. Et c’est un motif pour refuser l’extradition.
En effet, les directives du Home Office britannique indiquent clairement qu'une interdiction sera appliquée si l'extradition est :
« Fait dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son sexe, de son orientation sexuelle ou de ses opinions politiques, ou, si elle est extradée, elle pourrait subir un préjudice lors de son procès ou être punie, détenue ou limitée dans sa liberté personnelle en raison de leur race, religion, nationalité, sexe, orientation sexuelle ou opinions politiques
L'avocat américain Jacques Semmelman, spécialiste des affaires d'extradition, affirme que les accusations portées contre Assange sont clairement politiques :
« C'est un délit politique classique. J'ai de la difficulté à voir un tribunal britannique s'écarter de façon aussi significative de la tradition juridique et dire qu'il fera une exception dans ce cas-ci. L'exception relative aux infractions politiques, telle qu'elle existe depuis probablement 150 ans, a toujours maintenu que les accusations d’espionnage ne sont pas un motif d’extradition. C’est juste un principe classique du droit international en matière d’extradition.
Allégations
En plus des accusations américaines liées aux révélations de WikiLeaks, Assange fait également face à une allégation de viol en Suède. Maintenant qu'Assange n'a plus l'asile à l'ambassade équatorienne, les autorités suédoises ont rouvert cette enquête à la demande de l'avocat de la victime présumée. L'avocat d'Assange a déjà insisté sur le fait que « Julian n’a jamais eu à craindre de faire face à la justice britannique, ni même à la justice suédoise ». C'est "l'injustice américaine", a-t-elle dit, qui le préoccupe.
The Canary estiment qu'aucune allégation d'agression sexuelle ou de viol ne devrait jamais être politisée par l'une ou l'autre partie.
Les partenaires de WikiLeaks
Certains des médias les plus en vue du monde se sont directement associés à WikiLeaks pour publier le contenu des documents divulgués. Mais si les États-Unis devaient poursuivre The Guardian en justice, El Pais, The New York Times, The Rolling Stone, The Washington Post, Der Spiegel, pour n’en citer que quelques-uns, ce ne serait pas seulement techniquement difficile, mais extrêmement dommageable sur le plan politique.
On peut donc affirmer que, à moins que les autorités américaines ne garantissent de telles poursuites à l'encontre de ces médias partenaires - à qui, bien entendu, une opposition vigoureuse serait opposée -, poursuivre Assange en justice serait alors totalement sélectif.
Qu'ils bluffent
L'avocate britannique d'Assange, Jennifer Robinson, a évoqué la menace à la liberté de la presse posée par les accusations portées contre Assange dans une interview accordée à Democracy Now :
"Je pense qu'il est très important que le New York Times et d'autres grands médias s'expriment sur ce principe et s'opposent à cette poursuite, car, comme vous l'avez souligné à juste titre, cela aura un impact effrayant sur tous les médias et il y a lieu de craindre que ce précédent créé par l'administration Trump puisse être utilisé contre The New York Times et les autres médias. Nous disons, depuis 2010, que les médias doivent soutenir WikiLeaks, et qu'ils doivent reconnaître que toute poursuite créerait un précédent et leur ferait courir des risques."
Le New York Times a maintenant clarifié sa position sur cette question :
"Bien qu'il ne soit pas un journaliste conventionnel, une grande partie du travail que M. Assange accompli au sein WikiLeaks est difficile à distinguer, d'un point de vue juridique, de ce que font les organismes de presse traditionnels comme le New York Times : rechercher et publier des informations que les hautes responsables veulent garder secrètes, y compris les questions de sécurité nationale confidentielles, et prendre des mesures pour protéger la confidentialité des sources."
Un enjeu de taille
Compte tenu des déclarations incendiaires contre Assange par des politiciens et des commentateurs politiques américains - dont certains ont appelé à son assassinat - on peut également soutenir que le fondateur de WikiLeaks n'aura pas un procès équitable aux Etats-Unis.
Il y a aussi la question non négligeable de la "saisie" des biens d'Assange par les autorités équatoriennes et américaines (et donc de la violation du secret professionnel) :
Et l'on peut en outre soutenir qu'étant donné le travail controversé de WikiLeaks, la vie d'Assange en prison - en particulier dans le système carcéral américain - serait en danger constant.
Mais il ne s'agit pas seulement de WikiLeaks ou même des médias. Si Assange devait être extradé et poursuivi, qui sait ce que le système judiciaire de Donald Trump réserve à Chelsea Manning, dont la sentence a été commuée par le président américain Barack Obama.
L'enjeu est de taille.
Traduction : Céline Wagner
Source ici
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