Que la France est admirable, que la France incite au courage politique, à l’audace et même à la résistance! Partout sur le territoire, des écoles, des collèges, des lycées aux noms prestigieux. De Jean Jaurès à Stéphane Hessel en passant par Schoelcher, le message envoyé aux enseignants, aux élèves et à leurs parents est de ceux qui honorent l’esprit. Ne soyez jamais serviles, avancez d’un pas assuré, débusquez l’injustice, défendez le plus démuni, en un mot et pour reprendre le titre de l’opuscule célèbre (un temps recommandé par le bulletin officiel de l’éducation nationale) de Stéphane Hessel : « Indignez-vous ! ». Indignez-vous pour mieux faire votre métier.
S’il était encore de ce monde Jacques Duhamel attaquerait donc en justice le lycée de Dole qui porte son nom, pour diffamation et usurpation d’identité. Il exigerait que ce dernier soit débaptisé et que par honnêteté intellectuelle, on l’appelle désormais «Oui-Oui » ou pourquoi pas, plus rock'n'roll « Johnny Halliday ».
L’imagine-t-on, lui, résistant à 17 ans, ancien maire de Dole, qui a œuvré pour la culture à l'école, cautionner en 2020 la mise à pied d’un enseignant pendant quatre mois dans le cadre d’une procédure disciplinaire ?
Qu’a donc fait Noël Bucher (l’enseignant en question) pour mériter cela ? A-t-il agressé physiquement un élève ? Est-il un disciple de Gabriel Matzneff ? A-t-il fait l’apologie d’Augusto Pinochet en classe ou fait circuler des vidéos compromettantes commanditées par Moscou ?
Rien de tout cela. Noël Bucher a juste participé à un mouvement national contre des épreuves de contrôle continu, les « E3C » aux côtés d’élèves qu’il n’a pas voulu laisser seuls sur le front.
Le sang du rectorat de Besançon n’a fait qu’un tour. Quoi Noël, as-tu pensé que tu pouvais ainsi t’afficher en compagnie de jeunes gens influençables sans encourir les foudres de ta hiérarchie ? Ah ! La hiérarchie, celle-là même qui depuis l’adoption de la loi « pour une école de la confiance » déploie ses ailes comme un vautour prêt à s’abattre sur le moindre morceau de barbaque à portée de bec. Il faut dire qu’avec l’article 1 sur le devoir de réserve, tous les coups sont permis. El condor pasa et tant pis pour Noël Bucher s’il n’aime pas les rapaces ! Les délégués syndicaux, dans toutes les académies, témoignent de leur épuisement et s'arrachent les cheveux. Ils passent leurs journées à accompagner des professeurs convoqués par les services des Ressources humaine des rectorats pour des motifs qui, hier encore, auraient fait rire tout le monde, y compris le ministre. On sort de la naphtaline des sanctions dont le nom évoque des époques révolues (enfin on le croyait). Nous revoilà au temps de Jules Vallès qui crevait d’ennui en classe de rhétorique et se faisait « blâmer » à coup de trique sur le dos. Le « blâme », la « suspension à titre conservatoire » jusqu’à l’ahurissante interdiction de se rendre devant son établissement quand on est dans le collimateur. Rien à envier aux mesures prophylactiques prises pour juguler l’épidémie de coronavirus !
Le ministère de l’éducation nationale se transforme peu à peu en centrale de renseignements, de délation et a plus à voir avec feu la Stasi qu’avec un sanctuaire du savoir, de la connaissance et de la pédagogie. Qui peut autoriser la mise à pied d’un enseignant pendant quatre mois sans se soucier le moins du monde des classes qu’il a en charge, de son investissement, de sa gentillesse, de son importance pour des élèves ? Une rectrice, un recteur ne sait-il plus faire la différence entre une émeute et une manifestation ? Entre un syndicat et une cellule terroriste? Doit-on donner raison aujourd’hui à ceux qui pensent que Jean Michel Blanquer a fait sien le vers de Racine prêté à Néron dans "Britannicus" « Suis-je leur empereur seulement pour leur plaire » ? Quand les enseignants puisent dans leurs disciplines pour affubler leur chef d’un surnom, c’est que l’heure est grave. Néron ? Pas mal.
Une pétition circule pour prendre la défense de Noël Bucher et il est urgent de la signer (http://chng.it/2HW98G2wxP) non seulement parce que Noël, au terme de ses quatre mois au coin, peut apprendre qu’il est mis à pied définitivement (même pas besoin d’attendre la lettre de « rupture conventionnelle » à la mode dans la fonction publique depuis le 31/12/2019) mais aussi parce nous assistons à une tentative sans précédent de mise au pas et d’abêtissement du monde enseignant. Le professeur, grâce à la réforme du CAPES, deviendra bientôt idiot et inculte, obéira aux lubies de son chef d’établissement transformé en manager d’équipe, détournera les yeux des magouilles au moment des examens (à ce propos, la session de juin 2019 restera dans les annales comme celle qui a mis des notes à des candidats qui n'existaient pas! Encore mieux que les listes électorales en Corse) et surtout ne manifestera plus aux côtés de ses élèves comme ses ancêtres gauchistes, heureusement épurés par une administration vigilante. Il ira aussi chaque année à la fête de la galette des rois.
On ne va pas lancer le hashtag #je suis Noël et pourtant il n’est question que de cela. D’ailleurs, peut-être circule-t-il déjà, cheval fou, sur les réseaux sociaux. Noël Bucher n'a pas vocation à devenir le Spartacus de l'éducation nationale. En revanche, dans le passé, on a le souvenir de quelques révoltes de gueux pouilleux et frondeurs qui ont fait trembler le pouvoir.
Vive les #les gueux de l'éducation nationale! Ils nous sauveront des monarques à crânes d’œuf.