Le rectorat de Dijon, défenseur farouche de la neutralité pédagogique, sanctionne une enseignante du lycée Junot-Curie de Sens pour une initiative qu’elle juge contraire au devoir de réserve. Dans l’académie de Dijon, on sait reconnaître une priorité. Faire silence pendant une minute pour les plus de 50 000 mort-e-s dont au moins 15 000 enfants, de Gaza n’en est pas une.
Et cela recommence comme si Blanquer revenait d’entre les morts (une image car ledit Blanquer est bien vivant, en polo rayé sur ses photos de vacances) pour susurrer à l'oreille du rectorat de Dijon, tel le python le plus célèbre de l’histoire du cinéma, “École de la Confiance, devoir de réserve, blâme, suspension, mutation forcée”.
Minute de silence le 28 mars, suspension le 31. On dirait un proverbe dont le pittoresque échappe. Le ministère de l’Education nationale réfléchit à une sanction “proportionnée”. En effet, quelle est la bonne proportion pour 50 000 mort-e-s gazaoui-e-s? Les Ressources Humaines, à la pointe de la technologie, envisagent de recourir à l’IA afin de ne pas commettre d'erreur comme Tsahal qui utilise les algorithmes les plus efficients pour pilonner et assassiner Gaza. Comparaison n’est pas raison, bien entendu.
Devoir de réserve et neutralité
Pour qu’une minute de silence ait lieu sans dommages collatéraux (expression martiale à la mode) pour les enseignant-e-s dans un établissement scolaire français, il faut que son caractère pédagogique, sa portée symbolique soient avérées, labellisées et surtout qu’elle soit autorisée en fonction du nombre d'années écoulées depuis l'événement ainsi salué.
Par exemple, on peut réclamer une minute de silence à sa hiérarchie pour les Communards, fusillés dos au mur. Non, plutôt pour les victimes de la Guerre de Cent ans, c'est plus prudent.
Or, seulement 852 480 minutes se sont écoulées depuis le début du génocide à Gaza. Beaucoup trop prématuré et le rectorat de Dijon a su le rappeler à l’enseignante du lycée Junot-Curie qui, de façon inconsidérée, a brûlé les étapes.
Cette dernière apprend donc à ses dépens qu’il faudra qu’elle attende que Gaza 2023/20.. soit au programme d'histoire dans 35 ans pour participer à des commémorations et observer une minute de silence dans sa classe avec des élèves qui n’y comprendront rien. Des stages seront organisés par les rectorats. On ne rigole pas avec les valeurs de la République et on connaît le prix de la vie (uniquement quand il y a prescription).
Être fonctionnaire dans l'Éducation nationale en 2025 permet d'acquérir les réflexes de survie élémentaires, les gestes qui sauvent, avant l'arrivée de Bruno Retailleau ou de Marine Le Pen ou de Jordan Bardella ou de la version technocratique, Édouard Philippe, au pouvoir . Enfin un corps de métier qui aura appris volontairement à se plonger dans le coma et surtout aura su l’inculquer à ses élèves. Par définition, une femme ou un homme, dans le coma, est neutre et réservé.
L’enseignante sanctionnée?
On imagine sa tête puis son désarroi quand elle a trouvé dans son casier (ou plutôt reçu par recommandé avec accusé de réception pour être sûr que la mesure d'éloignement dont elle fait l'objet soit exécutable immédiatement) un avis d'expulsion, pardon de suspension, pour minute de silence.
Depuis l'interminable passage de Blanquer rue de Grenelle, on ne compte plus les enseignant-e-s convoqué-e-s dans les rectorats pour des motifs divers en apparence mais qui finissent tous par se confondre dans une chasse aux sorcières, aux syndicalistes ou plus simplement aux femmes et aux hommes de bonne volonté.
Quant aux élèves, on parle ici d’élèves de lycée pas de CP, l'institution qui,hélas, n’a pas lu le texte de Kant “Qu'est-ce que les Lumières ? ("Les Lumières c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle" etc.) les traite comme des êtres incapables de voir, de comprendre et de s'engager, des homoncules qui ne savent pas reconnaître un génocide quand il s’en déroule un sous leurs yeux.
Mantra
S’il te plaît, Education nationale, cesse de préparer le terrain aux affreux, affreuses qui veulent s’en emparer en 2027, cesse de maltraiter les professeurs qui te sauvent de la médiocrité infâme dans laquelle tu te complais, respecte l’intelligence des jeunes gens qui te sont confiés et surtout, cesse de cracher à la gueule de milliers d’êtres humains en train de mourir à Gaza. Leur tort, ne pas être déjà qu’un chapitre d'histoire sur lequel on peut pleurer tranquillement. Plus jamais ça, n'est-ce pas ?
L’enseignante et ses élèves te rappellent à l’ordre.
Tu le prends mal. Tu t'offusques. Tu punis.
Honte à toi, merci à elle et à eux.