Depuis 1995, les français-es qui ont du boulot (les autres, les chômeurs, on n’en cause pas sauf pour se vanter que leur nombre diminue ou qu’ils profitent du système, les chiens), dans le privé, dans le public, à temps partiel ou à temps plein, titulaire, CDI ou CDD, stagiaires payés au lance-pierres, occupent le terrain. Le mouvement n’a pas démarré en janvier 2023 mais en décembre 1995 quand Alain Juppé, costard croisé de l’époque, accessoirement premier ministre, voulait déjà sauver le système des retraites par le passage de 37,5 annuités à 40 et l'alignement public/privé. Six millions de grévistes plus tard, à la trappe le projet de réforme pour-notre-bien-être-à-tous-et-à-toutes. Sûrement un défaut de pédagogie. Les français et les françaises sont des cancres comme le confirme d'ailleurs chaque année le classement PISA.
Dire que les luttes successives ont échoué est faux ou partiellement vrai, selon le camp auquel on appartient. Où en serait-on aujourd’hui si, depuis presque 30 ans, on n’avait pas fait la grève et battu le pavé afin de faire reculer les gouvernements qui, de Chirac à Macron, ont eu en commun de travailler pour enrichir le capital (ce lexique n’est pas désuet, sauf sous la plume des éditorialistes du "Figaro" , de "L’Express", du "Point" et de "Valeurs actuelles" qui voient un gauchiste chevelu en pataugas derrière quiconque pense et réfléchit). On serait, et, en ce moment, on nous le répète matin, midi et soir, au même niveau que « nos voisins européens » qui triment jusqu’à 65/67 ans et sont très heureux.
La mobilisation paye en dépit des efforts déployés par le gouvernement au pouvoir pour prouver le contraire.
Afin pourtant de préparer les esprits et de ne nourrir aucune illusion sur ce qui attend les grévistes et les manifestant-e-s dans la presse et les médias au cours des semaines à venir, quelques rappels et anticipations utiles.
Pour ne plus lire ou entendre cela :
« L’intersyndicale se fissure.
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, se félicite des avancées obtenues dans différents domaines (carrières longues, pénibilité, emploi des seniors) et appelle à cesser le mouvement et à rejoindre la table des négociations. « Il y a un temps pour la contestation et un temps pour le dialogue social. Le temps du dialogue est venu. »
Ou cela :
« Au terme de quatre semaines de mobilisation, les sondages indiquent que 58% des français souhaitent l’arrêt du mouvement tandis que 53% estiment que les avancées, en termes de pénibilité et d’emploi des seniors constituent un progrès significatif. 65% des personnes interrogées souhaitent l'apaisement. »
Ou encore:
« Au bout de trois semaines de mobilisation, le mouvement est en perte de vitesse et s’essouffle. Le nombre de grévistes dans le secteur privé et dans la fonction publique diminue et les manifestations ne font plus le plein. Les deux millions de manifestant-e-s du 19/01 sont déjà loin en ce 15 février. Elizabeth Borne se félicite de la qualité des échanges avec la CFDT. La FSU obtient des garanties en matière de prise en compte des trimestres d’études des enseignant-e-s. S’achemine-t-on vers une sortie de crise, souhaitée par la majorité des françaises et des français ? »
Et pour finir, le chouchou sous l'ère Macron:
« Des violences en fin de cortège du côté de la place de la Nation où notre envoyé spécial se trouve actuellement.
Pierrick, vous m’entendez ?
Oui Caroline, c’est effectivement la confusion la plus totale place de la Nation et comme vous pouvez le voir derrière moi, les forces de l’ordre font face actuellement à des tirs de mortier et à des manifestants cagoulés, vêtus de noir dont certains n’hésitent pas à faire usage de pierres et de cocktails Molotov.
Pierrick, je reprends l’antenne car on m’annonce que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’exprimera ce soir au cours du JT de 20h sur TF1 »
… Il faut arrêter de tergiverser et gagner.
Le mouvement qui commence n’est que ce que la rue, la base, le peuple (peu importe la dénomination) en fera. Rien n’est écrit sur les grands rouleaux moisis des syndicats réformistes ou dans les discours sordides du gouvernement, débités par des ministres tirés au sort, qui ne font même plus semblant de croire en leurs mensonges éhontés. Les doutes qui traversent un mouvement sont le prix à payer pour sa réussite.
Depuis 1995, l’équilibre des caisses de retraite est un prétexte frustre pour rançonner celles et ceux qui travaillent mais ne s’enrichissent pas. Les présidents se succèdent, se passent le relais et mentent avec aplomb. Trouver de l’argent pour financer les retraites suppose que l’on sache choisir les poches dans lesquelles on cherche. Rien de subtil là dedans à moins de penser que le CAC 40 est un humanisme et l'espérance de vie en bonne santé, une chimère inventée par la cinquième colonne.
1995-2023...selon toute évidence, on ne lâche rien même si la lutte est âpre, fastidieuse et le camp d’en face, infâme.
Mais cela on le sait depuis longtemps. On n'est pas des lapins de six semaines. Plutôt des vieux lièvres qui n'en finissent pas de courir.