Je suis une surtouriste.
Aveu terrible, je sais.
Je me promène au milieu de ruines antiques, je gravis des montagnes, en fait des collinettes, sur fond de ciel bleu azur, je plonge dans des eaux turquoises, je regarde des feuilles de palmier à l'envers. Je mange local.
Je suis une nuisance, un élément toxique, une meurtrière.
On me prévient pourtant. Tu n'es pas la bienvenue, tu es une brebis à l'instinct grégaire, tu abîmes la nature, tu pollues, tu parles fort, tu vas où tout le monde va, tu aspires bêtement à t'en mettre plein la vue. Les autochtones te détestent, toi qui chaque année, envahis villages, îles, sommets, plages, en toute impunité. Tu n'es qu'un "flux" qu'il faut "réguler". Heureusement, des arrêtés municipaux te protègent de toi-même . Le maire de telle bourgade, élu LR, t'éduque en père intraitable mais juste. Il t'apprend à consommer dans des lieux dédiés à cet effet et t'indique le chemin pour accéder au spot où tes congénères et toi pouvez vous regrouper sans gêner, loin des côtes et des regards. Tu déranges toutefois et dois donc te faire oublier, être la plus invisible possible. En plus, tu n'as pas beaucoup de sous et payes ton demi en pièces rouges.
Avant d'être une surtouriste, j'étais une future retraitée mécontente. Je me suis permise pendant des mois de manifester contre une mesure de bon sens, un cadeau même de la part d'un état conscient des enjeux, plus adulte que je ne le serai jamais. J'avais la possibilité de sauver le système par répartition, de me sacrifier, d'être solidaire avec le grand capital qui souffre et me paie des congés pour que j'aille jouer à la sauterelle dans des lieux de rêve. Las, j'ai préféré me faire gazer par des policiers fatigués de n'avoir plus de week-end à consacrer à leurs familles et malheureux quand un des leurs se fait disputer par un juge ou mettre en garde à vue.
L'ingratitude me caractérise.
J'ai mauvais esprit.
Au lieu de remercier Gérald Darmanin pour ses prémonitions sécuritaires et ses ambitions altruistes pour 2027, je doute. Un mec, adoubé par Nicolas Sarkozy, convaincu que le français a besoin de mots simples, de préférence monosyllabiques, pour se sentir mieux, ne peut être évidemment qu'un faisan. Il ne dépare pas dans la galerie des affreux qui défigure le monde. Il se sent à l'aise aux côtés de Georgia Meloni.
La culpabilité m'envahit, moi la surtouriste, épinglée à raison par les éditorialistes cet été, moi la manifestante décérébrée, moi qui n'ai pas compris que l'ordre devait enfin être écrit avec une majuscule, moi qui pense qu'il reste de la place en France pour tout le monde.
Un sobriquet me résume.
Gauchiste de salon à l'image d'un chihuahua qui aboie sans raison pour défendre son panier.
Je promets de m'améliorer en cette rentrée. Je me rachète.
Je passerai mes prochaines vacances à La Souterraine dans la Creuse et je soutiendrai les plus riches qui font don de leur personne pour entretenir la planète et célébrer la beauté d'un monde enfin rendu à lui-même, purgé de ses pauvres qui ne savent pas voyager et contempler. J'accepterai ma condition. Je mettrai des fleurs sur mon balcon, je réhabiterai (réenchanterai) ma vie.
Je défendrai l'ordre et ne lirai plus que des livres avec des mots de quatre lettres en gros caractères dans des chapitres de deux paragraphes . Je serai d'accord pour que l'on réforme les programmes d'histoire et que dans l'abécédaire chronologique voulu par un président d'altitude, on saute quelques lettres pour arriver directement au G, Grandeur de la France et au M, Moi. À ce propos, je me réjouis du passage de la flamme olympique au Puy-du-Fou en 2024.
Je serai enfin à ma place, un pied dans le néant (deux syllabes), sans angoisses métaphysiques (quatre syllabes, Darmanin, le Gérald Dourakine de l'intérieur, me fait les gros yeux), enfin libre de n'être rien.
Le bruit de la pluie sur les feuilles cramées de la glycine berce ma mélancolie.
Ma rentrée ressemblera à une sortie à moins que cela ne soit l'inverse.
Appendice
Dans le pot belge, en vrac, Darmanin, R. Christin, un élu de Seine-maritime, R. Knafou :
"J'ai quelques idées sur ce qu'attendent les classes populaires:un retour de l'autorité à l'école et dans la rue, davantage de fermeté de la justice et des forces de l'ordre. Les gens réclament aussi de pouvoir vivre du fruit de leur travail."
"J'ai obtenu du président que je puisse davantage exprimer ma sensibilité."
"Ce que je propose comme projet de loi, c'est que tous les étrangers, qui ont un titre de séjour en France passent un examen de français. S'il le réussissent, ils restent en France, parce qu'ils parlent notre langue et ils peuvent s'intégrer. Et s'ils ne réussissent pas, on leur retire leur titre de séjour et ils s'en vont. Ça, c'est une révolution énorme. "
" On doit parler avec le cœur pas avec des statistiques. "
" Il faut cesser l'incitation au départ en vacances. Le mot d'ordre de notre société est que tout le monde doit partir et ceux qui ne partent pas seraient des êtres malheureux. Mais pourquoi ? Le voyage aujourd’hui (...) est devenu une forme de conformisme social avec lequel il faut rompre. "
" Mais ce n'est pas en un an que l'on peut changer l'imaginaire touristique, convaincre les voyageurs de préférer la Creuse au Mont Saint-Michel. "
" L'évocation du surtourisme alimente l'historique du procès des classes populaires" Attention ! phrase subversive glissée là pour attirer l'attention sur l'extrême rouerie de certains géographes complices de l'extrême-gauche.
"Etretat suffoque (...) les riverains de l'Aiguille creuse sont excédés."
"Pourquoi je parle autant de l'école ? Parce que c'est le cœur de la bataille que l'on doit mener, parce que c'est à partir de là que nous rebâtirons la France."
"L'histoire doit être enseignée chronologiquement (...) et chaque semaine, un grand texte fondamental sur nos valeurs sera lu dans chaque classe puis débattu."
Dopés après le pot belge ? Il est fait pour cela !