Le succès foudroyant de ce livre m'interroge sur l'imprégnation du féminisme dans la société. Pourquoi cette ruée sur les écrits d'une femme qui se venge de la tromperie de son compagnon devenu Président de la République?
Cette femme qui se donne pour libérée, émancipée, ayant un métier, s'en vient sur la place publique pleurer qu'elle a été trahie par un homme public élu au suffrage universel et elle étale son dépit amoureux dans un livre qui semble fait pour être lu comme on regarde par le trou de la serrure : un livre où on s'occupe de ce qui ne nous regarde pas.
On se croirait revenu au temps où les femmes prétendaient jouer un rôle dans l'ombre, la bonne fée du grand homme, l'inspiratrice, on pouvait penser qu'après 40 ans de féminisme, la compagne d'un homme politique pouvait mener sa propre vie politique ou culturelle seule sans se référer à l'homme. Etre journaliste est en soi un métier assez passionnant et rémunérateur pour n'avoir pas besoin d'avoir des pénates à l'Elysée et des activités de dame patronesse au service de son mec. Danièle Mitterand avait su échapper à ce rôle débilitant de "première dame"
J'attend un livre de Mémona Hinterman sur sa vie de reporter, j'espère qu'il aura le même succès.
Mais direz vous le dépit amoureux c'est plus fort que tout ! à 15, 20 ans on peut beaucoup souffrir mais à cet âge, la cause du dépit est rarement Président de la république, donc il y a peu de chances que le journal intime soit publié, et la douleur "de femme blessée" reste secrète au moins discrète. Là elle s'étale d'une façon tellement indécente et racoleuse qu'elle fait passer à l'arrière plan les sujets politiques d'une toute autre importance.
Ce livre est antiféministe dans le sens où il dépolitise la vie publique et la ramène dans le giron étroit des affaires "de coeur".
Ce livre est politique d'une façon très retorse, VT a une vengeance personnelle à prendre contre celui qui est Président, un Président qui politiquement a déçu beaucoup d'espoirs , rien de plus simple que d'enfoncer le clou et d'en rajouter une louche "il n'aime pas les pauvres, il vous a trahi comme il m'a trahi".
Le problème politique du pouvoir est ainsi transféré sur un seul individu dépeint par quelqu'un censé le connaître mieux que quiconque. Beaucoup de gens qui achètent ce livre sont heureux d'entendre ça, vengés eux aussi de leur déception, heureux d'être confirmés dans leur colère contre la politique de Hollande. C'est en cela que ce succès est pervers car il déplace une idée politique vers une affaire privée. Ce n'est plus le Président qui ne prend pas les bonnes décisions politiques, c'est cet homme là qui est mauvais!
Valérie Trieweller a cru s'être approchée du pouvoir, y jouer un rôle sans en prendre la responsabilité, elle a été destituée de ce rôle par celui de qui elle le tenait et elle clame sa colère.
Les femmes qui sont au pouvoir, à cause du plafond de verre, n'y sont jamais au poste le plus élévé celui de Présidente d'une cinquième République à bout de souffle et d'excessive personnalisation. Ces femmes là, ministres, parlementaires, prennent les coups, elles ne se cachent pas derrière un grand homme, elles assument.
Ce livre nous renvoie au temps des courtisanes, avec les atouts de la modernité et la puissance médiatique à la clé. Je comprend les réticences de certains libraires à exposer ce bouquin. C'est une excellente opération financière, et une certaine défaite pour les féministes qui pensaient que les femmes ne seraient plus les femmes de, qu'elles échapperaient à la dépendance masculine, qu'elles seraient un peu plus libres, et un peu plus indépendantes.
Valérie Trieweller nous offre le spectacle très traditionnel de la femme jalouse qui se venge et met au premier plan de l'actualité, "sa douleur de femme blessée" avec des trémolos dans la voix, la douleur semble d'ailleurs proportionnelle au degré dans l'échelle du pouvoir !
Un aspect positif à cet étalage, la preuve que les femmes ne sont pas que douceur et gentillesse contrairement aux stéréotypes !