Cette belle unanimité, droite et gauche confondues contre Emmanuel CARON qui a dit que "des femmes d'un abattoir étaient illettrés" me dérange un peu.Il a dit ensuite que leur reconversion était difficile, c'est dit sans trop de gants et ça favorise cette indignation générale. Il s'est platement excusé mais il faudrait savoir si le motif de cette indignation est qu'il aurait dit une chose fausse ou qu'il aurait dit quelquechose qui ne se dit pas, qui n'est pas "bienséante".
Ben oui il y a des gens qui ne savent pas ou plus lire, rien ne sert de le nier, et au lieu de jouer les vierges effarouchées on ferait mieux de se demander pourquoi et y remédier.
Pour cela il faut revenir aux fondamentaux, on nous bassine avec l'échec scolaire sans nous en dire plus long sur les conséquences de cet échec,
Un jeune en échec scolaire et encore plus une fille dont les parents sont ouvriers, qu'est-ce qu'il ou elle fait? A 15 ou 17 ans elle va bosser à l'usine du coin, et qu'est-ce elle fait comme boulot ? Elle travaille à la chaîne, avec des gestes robotisés, dans un abattoir comme GAD dans des conditions dures et dans un lieu où "la culture" a extrêmement peu de place n'en déplaise à nos bonnes âmes qui devraient aller y faire un tour. Elle ou il n'a pas besoin de maîtriser la lecture ou l'écriture, tenir la cadence suffit.
Le gentil patron de GAD ou de n'importe quelle usine s'inquiète très peu de l'évolution culturelle de ses ouvriers, ils sont costauds, ils tiennent le rythme, ça lui suffit largement au patron, et le jeune peut rester 8 ans 10 ans ou plus à faire le même boulot bien crevant et bien abrutissant, pendant ce temps ce qu'il avait acquis dans son parcours scolaire est resté en jachère. Ce que l'on ne pratique pas finit par se perdre.
Au bout de 15 ans pendant lesquels il a lu son bulletin de paye, quelques circulaires émanant de la Direction écrites dans un jargon illisible, les titres du quotidien régional, le jeune rentré à l'usine avec son modeste bagage, se rend compte un jour qu'il a presque totalement perdu la lecture. C'est une humiliation pour lui ou elle dont il ou elle ne parle pas, et quand par hasard ou par nécessité on lui propose une formation professionnelle, il ou elle dit non parcequ'il ou elle à peur de ne pas suivre, et le patron concluera que ses ouvriers refusent la formation, que ça ne les interesse pas.
Si à l'usine ou aux abattoirs GAD on avait proposé aux jeunes une formation au bout d'un an ou deux à un emploi un peu plus intéressant ou des cours dans le cadre de la "formation tout au long de la vie" il aurait dit oui, il aurait eu l'envie de s'en sortir, il aurait puisé dans ces acquis scolaire pour sortir de son travail à la chaîne, il aurait renforcé sa confiance en lui ou en elle, il n'était pas encore abimé par des années d'un travail à répéter à l'infini les mêmes gestes, même si ce travail réclame de l' intelligence, il ne réclame pas la lecture.
Les employeurs quand ils sentent l'urgence d'une restructuration se précipitent vers les organismes de formation, 6 mois avant la fermeture de l'usine pour réclamer des stages rémunérés par la formation professionnelle. Mais Monsieur le patron, il est trop tard, beaucoup trop tard, les salariés que vous avez pressuré comme des citrons pendant des années, vos stages ils ne leur serviront à rien et ils le savent.
Ce qu'à dit le Ministre n'est pas totalement faux même si c'est violent à entendre. L 'indignation c'est gentil, c'est moral mais ça ne suffit pas à modifier des réalités dérangeantes.
J'ai connu ce mécanisme dans les services de La Poste, saisir des chèques sur une machine pendant 6 ans, trier des lettres jusqu'à la retraite ça n'aide pas à entretenir l'intellect. C'est avec le taylorisme, avec des organisations du travail complétement parcellisées en vue de la rentabilité que des gens extrêmement ouverts et intelligents en viennent à refuser des formations sous des prétextes divers, la réalité est qu'ils ne se sentent plus très à l'aise avec l'écrit.
C'est cela qu'il faudrait repenser, au lieu de pleurer sur l'échec des dispositifs de formation , les employeurs ont très peu de contraintes dans ce domaine, ils peuvent laisser un salarié au même poste pendant 20 années sans rien leur proposer en matière de formation et de qualification.
Il en est qui refusent même de DIF droit individuel de formation : 120 heures au bout de 6 ans d'ancienneté. Le coût du travail, madame !
Ainsi des personnes qui au départ n'étaient pas "illettrées" le sont devenues, d'ailleurs le mot d'illettré n'est pas juste,il s'agit plutôt d'une déperdition de capacités à lire et comprendre un texte. Ce qui est faux dans ce qu'à dit le Ministre c'est que ça n'empêche pas d'avoir le permis qui n'est pas basé que sur la lecture.
Je sais lire et je n'ai jamais pu avoir le permis.