Hadji Mourat est un récit de Léon TOLSTOI -le vrai, pas le député de la Douma poutinienne.
Que nous dit ce Hadji Mourad en 2025 ? Quelle actualité de ces mots de Tolstoï ?
- Destruction des ressources / flagornerie / irréalité / servage des Ukrainiens / orthodoxie russe/ directeur de journal / servilité / poésie de la guerre / incendies, pillages / mépris des soldats tués ou blessés / fascination pour la mort /
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136 : … [le tzar] Nicolas 1er s’attribuait le plan d’avancement lent, par la coupe systématique des forêts et la destruction des vivres. …
La flagornerie perpétuelle, grossière, mensongère des hommes qui l’entouraient l’avait amené à un tel point qu’il ne voyait déjà plus ses propres contradictions ; ses actes, ses propos lui semblaient toujours concorder avec la réalité, la logique, ou même avec le simple bon sens, et il était tout à fait convaincu que toutes les mesures qu’il prenait, quelque stupides, injustes, inconséquentes qu’elles fussent, devenaient sensées, justes, conséquentes, du fait seul qu’il en était l’auteur. …
140 … Après avoir approuvé les mesures prises par Bibikoff contre les paysans révoltés qui ne voulaient pas se soumettre à l’orthodoxie, il lui donna l’ordre de traduire devant un conseil de guerre tous ceux qui désobéiraient. Cela signifiait les condamner à la bastonnade entre deux rangées de soldats.
Il ordonna encore d’incorporer dans l’armée, comme simple soldat, le directeur d’un journal qui avait publié quelques renseignements sur le fait que plusieurs milliers de paysans, appartenant au Trésor, avaient été inscrits comme serfs appartenant personnellement à l’Empereur.
— J’ai fait cela parce que je le croyais nécessaire, dit-il, et je ne permettrai pas de discuter mes actes.
Bibikoff comprenait toute la cruauté de l’ordre concernant les uniates (orthodoxes reliés à Rome), et toute l’injustice du transfert des paysans du Trésor, c’est-à-dire d’hommes libres, en paysans de la famille impériale, c’est-à-dire en serfs de cette famille. Mais il n’y avait rien à objecter. N’être pas d’accord avec l’ordre de Nicolas, cela signifiait perdre cette situation brillante acquise par quarante ans de labeur, dont il jouissait maintenant. C’est pourquoi il inclina respectueusement sa tête noire grisonnante, en signe qu’il obéirait et qu’il était prêt à exécuter la volonté impériale, cruelle, folle et malhonnête.
… Nicolas, avec la conscience du devoir bien rempli, s’étira, regarda sa montre, et alla s’habiller pour la sortie. Il revêtit un uniforme à épaulettes, chamarré de décorations et de rubans, et cela fait, il entra dans le salon de réception où plus de cent personnes, les messieurs en uniformes, les dames en robes de gala, décolletées, tous rangés à certaines places déterminées, en tremblant, attendaient sa sortie.
148 Boutler ( colonel) avec sa compagnie courant à la suite des cosaques, entra dans l’aoul (grosse ferme tchétchène ). Il était absolument désert. On ordonna aux soldats d’incendier le blé, le foin, les cabanes elles-mêmes, et, sur tout l’aoul, se répandit une fumée âcre, dans laquelle s’apercevaient des soldats qui retiraient des cabanes ce qu’ils y trouvaient, et, principalement, attrapaient et tuaient les poules que les montagnards n’avaient pas réussi à emporter. Les officiers s’installèrent un peu à l’écart de l’aoul et déjeunèrent et burent du vin. …
149 Boutler… sentait dans son âme le courage calme et la gaîté. La guerre se présentait à lui sous un seul aspect : il se soumettait au danger, à la possibilité de la mort ; par conséquent, il méritait une récompense et le respect de ses camarades d’ici, ainsi que de ses amis de Russie.
L’autre aspect de la guerre : la mort, les blessures des soldats, des officiers, des montagnards, quelque étrange que cela semble, ne se présentait pas à son imagination, et même, inconsciemment, il ne regardait jamais ni les tués ni les blessés, pour n’avoir devant soi que l’image poétique qu’il s’était faite de la guerre. Ainsi, ce jour-là, les Russes avaient trois tués et douze blessés. Il passa devant les cadavres, qui étaient étendus sur le dos, et ne regarda que d’un seul œil une poitrine étrange, des mains cireuses, une tache sombre, rougeâtre sur la tête, et ne s’arrêta pas pour les examiner. …
— Alors, voilà ce que c’est, mon cher… ! Vous allez travailler, et après : à la maison, où notre Marie nous sert un gâteau, de la bonne soupe. Voilà la vie, n’est-ce pas ? Eh bien ! « Quand l’aube parut ! » commanda-t-il aux soldats. C’était sa chanson préférée.
Notes:
Tolstoï s’appuie sur son service de cinq ans dès 1851, dans l’armée du tzar, lors de la conquête du Caucase, situé ici parmi les longues 30 années pour soumettre les Tchétchènes. La guerre affrontait aussi l’Empire Perse.
Nicolas 1er a été l’artisan de la Réaction à la destruction du féodalisme par la Révolution française. Ennemi des Libéraux et des nationalités, c’est lui l’artisan de la Sainte Alliance en 1815, laquelle s’activera contre la Pologne, et contre le « Printemps des peuples » en 1848. Il garantit le maintient du Droit divin (autocratie) et aussi le servage.
La censure de ce texte par les Tzars durera jusqu’après la mort de Tolstoï, en 1912. En effet, son portrait du Tzar est cinglant, et Tolstoï jugeait la guerre « injuste et mauvaise » avec des « officiers stupides ! Plus tard, il voudra réinventer une religion universelle de l’amour, et il aura une correspondance avec Gandhi.
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