Leurs torses musclés côtoient le regard attendri de leurs mères.
Ali, Tharwat, Islam ont à peine 25 ans. Ils posent aux côtés de leurs mères.
Loin des images violentes de la révolution égyptienne, le photographe français Denis Dailleux signe vingt-trois portraits esthétiques et romantiques sur le lien mères-fils. Une percée dans l'intimité familiale égyptienne.
Leur auteur, collaborateur de l'agence VU', installé au Caire depuis une dizaine d'années, nous raconte les coulisses de six années de travail. Interview.
Vous livrez un travail très personnel et intime. Comment avez-vous convaincu ces familles d'accepter ?
J'ai essuyé pas mal de refus. Certains ne comprenaient pas la démarche.
Et donc quel fut votre argument ?
Aucun ! C'était mon idée et je ne la justifiais pas. Ces garçons font tous de la musculation : ils sont très fiers de leur corps. Et du coup, la mère est fière de son fils. À partir de là, c'était facile.
Vous êtes allé les "caster" dans des salles de musculation ?
Certains oui. Ou à des concours de body building. Je suis allé au Caire, dans des quartiers populaires d'Alexandrie. Cela a pris du temps. A certains moments, j'ai douté, je me suis censuré. Après les quatre premiers portraits, j'ai arrêté, par crainte de toucher à quelque chose de trop personnel. Puis, j'ai repris avec l'envie d'aller au bout, coûte que coûte.
Il y a une grande pudeur familiale liée à l'intimité et à la religion. Comment pénétrer cet univers sans être voyeur ?
Je ne me sens pas voyeur dès lors que c'est établi, que la famille est d'accord. Et être voyeur, c'est le propre du photographe, j'assume !
Comment les avez-vous mis en confiance ?
Je me suis comporté comme pour n'importe quelle séance photo. Je dirige la prise de vue. Puis, j'attends qu'il se passe quelque chose. Mon travail, c'est de mettre en situation. Quand un fils embrasse sa mère ou pose sa tête sur ses genoux, ce n'est pas moi qui le lui demande.
Il y avait de la gêne ? de l'appréhension, du plaisir ?
Gêne ? Jamais. De la pudeur, oui. Surtout chez les coptes.
Comment jugez-vous la répartition des rôles entre mères et fils ?
La mère est souveraine, puissante, ce n'est pas un cliché mais une évidence ! C'est comme ça dans le bassin méditerranéen. Les mères sont le meilleur et le pire : aimantes et castratrices en même temps. Elles décident de tout, elles marient, elles ont un pouvoir total sur leur fils. C'est à lui de trouver sa place et de se rebeller.
Vos images mettent pourtant en scène leur virilité.
Certains m'ont surpris. L'un est extrêmement baraqué mais d'une douceur sans nom. L'homme égyptien est aimant, sensible.
Mère/fils : qui protège l'autre ? Qui domine l'autre ?
C'est la mère la garante. C'est elle qui veille. Elle ne les lâche pas, elles les appellent sans arrêt ! La mère est toute-puissante. Mais je ne veux pas asséner des vérités !
Avez-vous constaté un mimétisme entre la mère et son fils pendant ces séances ?
C'est l'amour qui les rapproche, c'est flagrant. C'était très tendre.
Tous ces fils vivent chez leurs parents ?
La plupart oui. Un jeune égyptien ne quitte pas ses parents avant d'être marié. C'est encore très traditionnel, mais je pense que ça va bouger, notamment parce qu'il y a beaucoup de divorces.
Le choix de les faire poser dans leur salon - un endroit cosy - s'est imposé ?
Oui, le choix était limité. Ce ne sont pas des gens riches, c'est souvent petit. C'était un compromis entre mes contraintes, la lumière et mes choix esthétiques. Je ne ré-éclaire pas. Je cherche la lumière, un élément du décor qui me plaît.
Quelle place a cette exposition dans l'ensemble de votre travail sur l'Egypte ?
C'est la plus personnelle, elle vient clore un long cycle de travail sur l'Egypte. J'adore arriver chez les gens, découvrir, ça m'exalte.
François ROUSSEAUX