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Billet de blog 29 mai 2014

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Des femmes regardent des femmes

Des visiteuses réagissent aux portraits des femmes françaises de l'exposition "corps oubliés", signée Valérie Couteron. Reportage.Elle déambule, observe en silence et dissèque chaque image comme dans un miroir. Maria a 68 ans et ne parle pas un mot de français. Elle arrive d'Espagne, près de Valence, où elle a commencé à travailler à l'âge de 12 ans.

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Des visiteuses réagissent aux portraits des femmes françaises de l'exposition "corps oubliés", signée Valérie Couteron. Reportage.

Elle déambule, observe en silence et dissèque chaque image comme dans un miroir. Maria a 68 ans et ne parle pas un mot de français. Elle arrive d'Espagne, près de Valence, où elle a commencé à travailler à l'âge de 12 ans.

Ouvrière de cueillette, cuisinière puis femme de ménage dans un hôtel. Elle lit dans ces portraits "la tristesse et la fatigue". "C'est la lutte des femmes, dit-elle, (...) "la femme est toujours en-dessous. C'est aujourd'hui plus difficile pour les espagnoles que pour les françaises. Les politiques ne nous ont rien laissé ! Même à la retraite maintenant, il faut payer la sécurité sociale." Elle sourit, juge l'exposition "utile". "Pour que les hommes voient qu'on vaut quelque chose".

"J'ai cru que c'était pas en France"

Même prénom, mais à la française. Marie a pile soixante ans. Une carrière d'infirmière dans une clinique de banlieue parisienne. Salaire mensuel net : 2000 euros. "Je connais la rentabilité, la pénibilité, l'exigence. Cette exposition me rappelle mon travail. C'est magnifique. Ça montre la cadence, le travail bien fait."

Elle s'arrête sur ces images de dos nus, de vertèbres usées. Souffre d'un mal de dos. 40 années passées à porter des malades et à enchaîner les nuits de garde."Quand vous alternez des nuits de travail, puis des jours, c'est dur d'avoir un rythme. La fatigue physique devient une fatigue morale. On le voit sur ces photos."


Elle montre du doigt les caissières d'Auchan Paris-la Défense : 28 portraits en mosaïque de femmes en uniforme vert, et commente : "C'est une réalité mais ce n'est pas triste. C'est la vie, on travaille, on se fatigue. Ce sont des photos du quotidien". Ces "hôtesses de caisse", généralement invisibles derrière leur tapis roulant, attirent ici tous les regards."C'est terrifiant", lâche Karine, jeune prof de français. "Y'a pas un sourire. J'espère que la réalité, c'est pas que ça."

À ses côtés, son amie Julie, architecte, ausculte les images avec distance : " J'ai cru que c'était pas en France. L'impression que c'était une autre époque."

Plus loin, des clichés pris dans des chambres d'hôtel. Le très chic Hôtel Costes, près de la Place Vendôme à Paris. Des draps en pagaille, et ces regards de femmes de chambre prêtes à ranger, nettoyer, une fois le client parti. Chaque jour, 10 chambres à préparer. Barbara, 50 ans, styliste de mode à Paris, opine du chef : "Ça existe." Sa première impression ? "J'ai pensé à DSK" avoue-t-elle. On ne la sent pas emballée par l'expo. "Elle est un peu dégradante pour la femme."(...) "des caissières, des femmes de ménage, ça n'a rien de valorisant. Il y a d'autres choses dans la vie, des femmes qui s'épanouissent au travail".

"J'étais très heureuse"

Entre deux images, Martine, mi-parisienne, mi-Sétoise jette un coup d'œil dans le rétro. Elle fut la première femme tapissière à la Comédie française. C'était en 1974. "Je réparais les rideaux. Le velours, c'est lourd ! Les ressorts des fauteuils que je travaillais m'ont abîmé les mains. J'ai été opérée quatre fois. Je bossais plus que les mecs ! De 8h à minuit, et j'étais très heureuse. Martine a ensuite été virée :  "Le nouveau chef ne voulait aucune femme comme chef de service". Elle trouvera refuge au prestigieux théâtre de la Monnaie, à Bruxelles. "Moi qui pensais qu'en 68 on s'était battues pour l'égalité !" Sans amertume, elle s'éloigne. Dernier coup d'œil aux photos des serveuses du restaurant Buffalo Grill de Châlons-sur-Saône. "Les femmes sont dans un carcan que la société a créé pour elles, pour faire le travail que les hommes ne veulent pas faire".

François ROUSSEAUX

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