Yohanne Lamoulère présente, cette année à ImageSingulières, un travail de trois ans, réalisé au coeur des quartiers nord de Marseille. Dans un format carré, paysages citadins et portraits des habitants révèlent cette partie de la ville que l'on ne visite pas.
Diplômé de l'École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles, elle va à la rencontre des oubliés du modèle économique mondialisé depuis dix ans. Dans cette interview, elle nous explique comme elle vit de ses travaux photographiques.
Ecole Supérieure de Journalisme :
Comment se sont passés vos débuts il y a dix ans, en 2004 ?
Yohanne Lamoulère :
En sortant de l'école, j'ai eu la bonne idée de m'installer à la campagne. Evidemment, je n'ai pas trouvé de boulot. J'ai mangé la poussière pendant une année. Le travail que je faisais depuis trois ans, sur les saisonniers agricoles migrants, intéressait une maison d'édition marseillaise qui m'a proposé de faire un bouquin. J'étais censée toucher des droits d'auteurs mais la maison d'édition a coulé. Je n'ai jamais touché d'argent. Mais du coup je me suis installée à Marseille et c'est là, réellement, que j'ai commencé à travailler.
Très tôt, vous intégrez des agences et collectifs. Aujourd'hui, vous faites partie du collectif "Transit". Comment cela vous aide-t-il à monnayer votre travail ?
Le principe, quand on intègre un collectif, pour les jeunes photographes, c'est de travailler soit en corporate pour des entreprises, soit pour la presse. Moi, je travaille pour Libé, Le Monde, la presse nationale et un peu étrangère. Tout ce que je gagne, je le mets dans mes projets persos. Le plus important pour nous, c'est de trouver un boulot fixe. Par exemple, depuis 2006, je suis la photographe officielle des quartiers nord de Marseille pour la mairie. Ça me fait un salaire fixe qui me permet déjà d'acheter du riz, et non pas du beurre.
Comment vivez-vous cette relative précarité ?
Ça n'assure aucune stabilité mais une grande liberté. Par exemple, pour "Faux bourgs", jamais personne ne m'a dit : "Il manque ça, il faudrait un peu plus de ça". C'est un boulot que je fais depuis 2009, je le fais vraiment comme j'ai envie de le faire.
Ce projet précisément, il vous a permis de gagner de l'argent ?
Il n'a jamais été financé. Mais "Marseille-Provence 2013, Capitale de la Culture Européenne" m'a payé pour exposer sur le mur d'un cinéma dans les quartiers nord. Il y a aussi eu une expo Fnac. Ils ne m'ont pas donné de sous mais c'est aussi une visibilité. Je ne voulais pas faire de bouquin mais on a fait un petit recueil de cartes postales. D'autre part, je ne vends pas de tirages mais je loue des expos. Par exemple, j'ai fait un boulot auto-produit au Mali sur les "101 maliens" du premier charter Pasqua. Je l'ai exposé pour la première fois en 2014. Le conseil général de Charentes Maritime l'a loué. C'est la première fois que je gagne de l'argent pour ce travail de 2006.
En tant que travailleur indépendant, il faut être bon gestionnaire ?
Il faut être un peu écureuil, il faut toujours garder un peu de trésorerie, tu ne sais pas ce qui va se passer le mois suivant. Là, par exemple, ça fait un mois que je n'ai aucune commande, je ne bosse pas du tout, donc heureusement que j'ai gardé des sous de ce que j'ai fait avant.
Jérémie FAU