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Par Aurélie Leroy, chargée d'étude au CETRI - Centre tricontinental.
Notre société se présente volontiers comme égalitariste. Une conviction qui se fonde sur le fait que l’égalité en droit a été acquise dans plusieurs domaines ; ou sur l’idée que toutes les discriminations sexistes sont désormais reconnues et combattues à leur juste mesure.
Cette posture d’autosatisfaction que l’on discerne dans certains discours politiques traduit toutefois un manque de compréhension du phénomène des violences de genre et participe d’un double processus d’effacement et d’impunité.
Effacement, car toute violence n’est pas bonne à dire. Se positionner contre les violences « domestiques », « conjugales » ou « intrafamiliales » est une chose, mais combattre les relations de pouvoir inégales au fondement des violences institutionnelles et structurelles en est une autre.
Depuis les violences sexuelles à la division sexuelle du travail, de la double ou triple journée des femmes en passant par leur exclusion des champs littéraires et médiatiques [1], de la violence physique à celle symbolique, c’est un même rapport de pouvoir, une même mécanique sophistiquée d’assujettissement, qui est à l’œuvre.
Des formes de discrimination, différentes en apparence, mais qui, toutes, composent la trame d’un même récit.
Impunité, car en affirmant que la violence est le fruit d’un acte isolé, individuel et donc « accidentel », aucune remise en cause de la perpétuation de la domination masculine ou des assignations de genre n’est possible, ni celle de la responsabilité que les institutions, le droit et les organisations du travail ont dans la perpétuation des discriminations sexistes, en particulier celles envers les femmes pauvres et racisées.
Ce qui frappe dans les explosions mobilisatrices récentes - MeToo, NiUnaMenos, Balance ton porc, ton bar, ton folklore, Black Lives Matter, etc. – c’est que le temps de la prise de conscience s’est accéléré.
Les conditions d’existence et la politique d’effacement et d’impunité de la violence sont devenues « étouffantes ». Il y a un refus dès lors de faire comme si on ne savait pas, une urgence de changements radicaux pour éradiquer les multiples formes que revêt la violence et saper les structures de domination et d’exploitation solidement ancrées dans notre société.
Si les lignes bougent un peu, c’est aussi en raison de l’héritage de générations successives de féministes et grâce aux mobilisations incessantes que des mouvements de femmes ont menées aux quatre coins du monde.
Ce besoin de réclamer leurs droits et de rompre avec des injonctions sociales inacceptables suscite toutefois un déferlement de campagnes anti-genre, anti-avortement, anti-féministes, nourries par des contextes sociopolitiques hostiles où se conjuguent néolibéralisme, populisme et conservatisme.
Pas une semaine ne passe sans une offensive visant à disqualifier des luttes féministes – jugés trop « radicales », « intersectionnelles », ou « écologistes » – ou des savoirs scientifiques réduits à des seules idéologies ou orientations politiques.
Le dynamisme féministe a mis en avant ces dernières années la centralité de la violence qui ponctue toutes les étapes et tous les domaines de la vie des femmes.
En descendant dans la rue, les femmes ont massivement dénoncé des abus et des pratiques qui autrefois demeuraient sous silence et ont aussi démontré, une nouvelle fois, leur pouvoir d’agir. Un rapport de force, une mise en accusation, une critique vitriolée engageant la responsabilité des pouvoirs publics, pour que ne se renouvellent pas impunément, dans la fréquence et dans le temps, les violences à l’encontre des femmes.
Photo: Ni Una Menos 2016 / Montevideo, Uruguay
Chinita CC https://link.infini.fr/6MP6qabX
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