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Billet de blog 12 mai 2025

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Trump II : plus de néolibéralisme et moins de mondialisation

La victoire trumpiste s’inscrit dans le changement du rapport des élites politiques états-uniennes à la mondialisation. Auparavant idéalisée, elle est tenue responsable du « choc chinois » sur l’emploi industriel et le leadership technologique américains. En rompant avec le libéralisme tout en dérégulant l’économie, Trump entend faire payer le reste du monde pour épargner ses riches compatriotes.

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Illustration 1
Donald Trump en 2016 © (Photo : Gage Skidmore CC https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Donald_Trump_%2825652914810%29.jpg)

Dans un article stimulant, publié la semaine précédant le « Jour de la libération » de Donald Trump sur le site du magazine de gauche états-unien Jacobin, Branko Milanovic nous invite à replacer le phénomène Trump dans la phase contemporaine de la (dé-)mondialisation. [1] Il n’est pas le premier à réaliser cet exercice, loin s’en faut. [2] Mais l’originalité des travaux de l’économiste serbo-américain est qu’ils objectivent statistiquement l’évolution des inégalités mondiales de richesse et aident à comprendre les conséquences sociales, politiques et idéologiques des recompositions de la géographie économique contemporaine.

Perdants de la mondialisation

Dans ce dernier papier donc, le chercheur prolonge et actualise ses propres analyses sur les gagnants et perdants de la mondialisation. [3] Il constate d’abord qu’à la différence de la première mondialisation (1870-1910), la deuxième mondialisation (1988-2018) a favorisé une réduction de l’inégalité mondiale. Cette proposition, qui prend à rebours les lectures altermondialistes traditionnelles, s’explique par la réduction de l’écart entre le revenu des pays asiatiques les plus peuplés (la Chine bien entendu, mais aussi l’Inde, l’Indonésie, le Vietnam, etc.) et celui des pays occidentaux, du fait d’un différentiel marqué et durable des taux de croissance à l’avantage des premiers depuis le tournant du millénaire. Un processus de « convergence » aurait donc pris le pas sur la « grande divergence » Nord-Sud impulsée au 19e siècle par le couple révolution industrielle & impérialisme. [4] Cette réduction de l’inégalité entre les pays va de pair avec une augmentation des inégalités à l’intérieur des pays, mais l’importance du premier mouvement l’emporte sur le second en matière d’inégalité mondiale.

Comme la fameuse « courbe de l’éléphant » du même Milanovic l’avait déjà illustré en 2013, les travailleur·euses asiatiques et, davantage encore, l’hyperbourgeoisie occidentale sont les grands gagnants de la dernière mondialisation. Les premiers grâce à l’explosion du nombre d’emplois manufacturiers dans cette région du monde, la seconde grâce aux superprofits générés par la financiarisation de l’économie, l’évasion fiscale et le moindre coût du travail… en Chine. En contrepartie, les classes ouvrières et moyennes inférieures occidentales ont connu une quasi-stagnation de leurs revenus réels. Un marasme qui se concentre dans les régions touchées par le processus de désindustrialisation lié au déplacement massif de l’activité manufacturière globale vers l’Asie depuis l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001. [5]

On le sait, les déclassés de la mondialisation que sont les (ex-) travailleur·euses des régions désindustrialisées sont surreprésenté·es dans le vote Trump, et plus généralement dans la poussée électorale du national-populisme en Occident. [6] En 2024 comme en 2016, le candidat milliardaire a pu convaincre nombre de travailleurs qu’ils avaient été trahis par des élites « globalistes  » et que lui seul avait la volonté de « ramener les emplois de cols bleus en Amérique ». Si l’attaque de Trump contre la mondialisation qui « a laissé des millions et des millions de nos travailleurs dans la pauvreté et le chagrin – et nos villes avec des usines vides » [7] est frontale et revendiquée, de même que sa fixation sur la Chine et son adoration des droits de douane, elle renforce une tendance de fond au retour du protectionnisme aux États-Unis qui dépasse sa seule administration.

Bye bye globalization

En effet dès 2008, le candidat Barack Obama en campagne dans la rust belt avait exprimé sa méfiance du libre-échange, responsable à ses yeux des délocalisations. [8] L’année suivante, il faisait adopter une législation réservant les achats gouvernementaux aux entreprises états-uniennes, à rebours de la norme libre-échangiste diffusée dans le monde par les États-Unis depuis la fin de la guerre froide. Par ailleurs, l’administration Biden prolongea la plupart des politiques de nationalisme économique prises sous Trump I, notamment en interdisant l’exportation de semi-conducteurs vers la Chine. Car au-delà de la protection de l’industrie et des emplois, c’est la guerre technologique et le paradigme sécuritaire de la « compétition entre grandes puissances » qui frappent le libre-échange d’obsolescence. [9]

Cette révolution dans le rapport des États-Unis à l’économie mondiale avait été explicitée dans un discours du très influent conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, s’apparentant à un requiem de la mondialisation. Un nouveau « Consensus de Washington » était désormais souhaitable, qui prenne ses distances avec une vision idéalisée de « l’efficience du marché », car celle-ci avait abouti à la délocalisation de chaînes de valeurs entières de biens stratégiques, comme l’avait révélé la crise sanitaire. « Le postulat suivant lequel l’approfondissement de la libéralisation commerciale aiderait l’Amérique a exporté des biens, pas des emplois et des capacités, est une promesse faite qui n’a pas été tenue. » [10] En cause en particulier, le fait que l’intégration économique de la Chine ne l’a pas transformée en économie de marché – elle subventionne allègrement l’industrie traditionnelle, au détriment des emplois américains, de même que l’industrie du futur, érodant la compétitivité états-unienne dans ces technologies critiques qui « façonneront l’avenir  ».

Pour le haut fonctionnaire démocrate, les errements des politiques ultralibérales incluent les mesures de libéralisation internes, qui non seulement n’ont pas permis d’absorber le « choc chinois », mais ont elles-mêmes été un facteur de creusement des inégalités au sein de la société américaine. Les problèmes des États-Unis sont donc le produit « [de] dizaines d’années de politiques économiques de ‘ruissellement’ (trickle down) – des politiques comme les baisses d’impôts régressives, les coupures dans l’investissement public, la concentration non contrôlée des entreprises et les mesures actives d’affaiblissement du mouvement ouvrier qui a construit à l’origine la classe moyenne américaine ».

Conjurer une réforme progressiste

En revanche, comme le note Milanovic, la remise en cause du libre-échange par Trump va de pair avec le renforcement des politiques néolibérales internes : dérégulation de l’activité économique, démantèlement et privatisation des structures de l’État, baisse de l’impôt des sociétés et des grandes fortunes. C’est au « reste du monde » à contribuer au redressement de l’industrie et des finances des États-Unis (par le truchement de droits de douane, de transactions sous contrainte et de coupures dans les programmes humanitaires), pas aux cinquante principaux milliardaires du pays détenant ensemble une richesse supérieure à la moitié de la population américaine. La redistribution doit donc avoir lieu entre le reste du monde (pays riches et pauvres confondus) et les États-Unis et non pas entre les riches et les pauvres des États-Unis. Soit une réforme régressive du commerce mondial [11] pour conjurer une réforme progressiste de la société américaine.


Notes

[1] Branko Milanovic, « What comes after globalization ? », Jacobin, 24 mars 2025.

[2] Alexander Cooley et Daniel Nexon, parmi d’autres, ont mis en évidence combien le trumpisme était à la fois un symptôme et un accélérateur de l’épuisement du « système hégémonique américain » (Exit from Hegemony The Unraveling of the American Global Order, Oxford, Oxford University Press, 2020). À son niveau, le CETRI publiait l’année suivante un ouvrage collectif d’auteur·es du Sud sur le concept de démondialisation, qui resituait Trump I dans une série de tendances historiques qui le précédent et le dépassent (Démondialisation ?, collection Alternatives Sud, Paris, Syllepse, 2021).

[3] Christoph Lakner et Branko Milanovic, « Global Income Distribution : From the Fall of the Berlin Wall to the Great Recession », World Bank Working Paper, n°6719, décembre 2013.

[4] Pomeranz K., Une grande divergence. La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale, Paris, Albin Michel, 2010 (2000 pour l’édition en anglais).

[5] En vingt ans, la part de la Chine dans la production industrielle mondiale est passée de 6% à 32% (New York Times, 7 avril 2025).

[6] Dani Rodrik, La mondialisation sur la sellette. Plaidoyer pour une économie saine, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2018 ; Arnaud Zacharie, Mondialisation et national-populisme, la nouvelle grande transformation, Editions Le Bord de l’Eau/La Muette, 2019.

[7https://trumpwhitehouse.archives.gov/articles/president-trump-we-have-rejected-globalism-and-embraced-patriotism/, 7 août 2020.

[8] Anne-Marie Rocco, « Le protectionnisme d’Obama est-il inquiétant ? », Challenge, 10 novembre 2008.

[9] Elvire Fabry, « Le protectionnisme assumé des États-Unis », https://institutdelors.eu/, 8 novembre 2022.

[10Remarks by National Security Advisor Jake Sullivan on Renewing American Economic Leadership at the Brookings Institution

[11] L’ambition du principal conseiller économique de Donald Trump est bien la « restructuration du système commercial mondial » en vue de rétablir un rapport plus équitable entre l’économie américaine et le reste du monde et de faire contribuer celui-ci aux biens publics mondiaux (sécurité et monnaie) fournis par les États-Unis (Stephen Miran, A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System, Hudson Bay Capital, novembre 2024).

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