Trop faible politiquement pour modifier les textes, il multiplie depuis 2014 les manœuvres pour prolonger de fait une présidence officiellement terminée depuis le 31 décembre 2016 – ce que les Congolais qualifient de stratégie du « glissement » - en dépit d’une impopularité abyssale et des pressions de la communauté internationale. Quatre années durant lesquelles la rue a été régulièrement investie par la population pour signifier son opposition, malgré la brutalité policière.
Si les manifestations prennent régulièrement un tour émeutier, elles ne sont pas pour autant spontanées. Des acteurs organisés s’efforcent de susciter et de donner corps à la protestation. Le cycle de mobilisation, toujours en cours, qui nous intéresse peut être décomposé en trois sous-cycles, impulsés successivement par trois forces mobilisatrices : le premier, dominé par les partis d’opposition, court de 2014 à la fin de l’année 2016, terme officiel du deuxième et dernier mandat du président ; le deuxième voit les mouvements citoyens tenir le haut du pavé jusqu’à la fin de l’année 2017 ; enfin depuis décembre 2017, ce sont les réseaux catholiques qui servent de locomotive à la mobilisation. La compréhension des luttes politiques contre Kabila passe par l’examen des causes et circonstances de ces recompositions de l’espace protestataire congolais, elles-mêmes tributaires du mode d’inscription spécifique de chacune de ces forces – partis d’opposition, mouvements citoyens, église catholique – dans le champ politique congolais.
Délitement des mobilisations partisanes
Dans une première période donc, les mobilisations contre Kabila sont convoquées par les animateurs de l’opposition partisane, qui ont rapidement pris la mesure de la détermination du président à s’accrocher au pouvoir et exploitent le relatif pluralisme médiatique pour alerter sur le danger. La manifestation du 27 septembre 2014, puis surtout celles du 19 au 21 janvier 2015, qui rassemblent bien au-delà du milieu partisan, forcent la majorité présidentielle à revoir à deux reprises sa stratégie politique : l’idée initiale d’une révision constitutionnelle est mise de côté à l’avantage d’une modification de la loi électorale [1], moins explicite, à son tour abandonnée pour privilégier la stratégie du « glissement » – retarder indéfiniment la tenue d’élections en arguant de contraintes financières, techniques, politiques, sécuritaires. Le point culminant de la mobilisation partisane est atteint à l’été 2016, lorsqu’Etienne Tshisekedi, leader historique de la lutte contre la dictature mobutiste, fédère la majorité de l’opposition dans une méga-coalition [2] et rassemble des dizaines de milliers de Kinois pour annoncer le préavis du « locataire au palais présidentiel ».
La capacité du « Rassemblement des forces politiques et sociales » à faire descendre les gens dans la rue sera successivement entamée par le renforcement du dispositif répressif et la suspension du droit de manifester puis par sa participation au dialogue « de la dernière chance » entre pouvoir et opposition sous l’égide des évêques catholiques (la CENCO [3] ), qui débouchera sur l’accord « de la Saint-Sylvestre » avalisant le maintien du président une année supplémentaire moyennant un partage des pouvoirs entre majorité et opposition. Elle se délabrera début 2017 suite à la mort d’Étienne Tshisekedi, au débauchage de plusieurs hauts cadres de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) et à la scission subséquente de ce dernier en deux ailes concurrentes, l’une participant aux institutions, l’autre les contestant. La tentative de remobiliser pour dénoncer le non-respect de l’accord et la nomination au poste de premier ministre « de l’opposition » d’un transfuge de l’UDPS, Bruno Tshibala, se soldera par un échec.
Les tribulations de l’opposition partisane s’expliquent par la fonction première de ces organisations politiques. Comme ailleurs en Afrique, loin d’être l’émanation ou le relais d’intérêts sociaux, d’identités ou d’idéologies, les partis sont les véhicules des ambitions politiques et matérielles des « entrepreneurs politiques » qui les ont fondés. Cela explique leur nombre ahurissant au Congo – un demi-millier -, tout politicien ambitieux se devant d’avoir son propre parti. En fonction de leur charisme, de leurs ressources et de leur capacité à activer les solidarités ethniques, les fondateurs agglutinent autour d’eux militants et obligés. Il va sans dire que l’accès aux positions de pouvoir n’est pas envisagé comme un moyen pour mettre en œuvre une quelconque orientation politique, mais comme une opportunité pour s’enrichir soi-même, sa famille et sa clientèle. La situation de ces partis « alimentaires » dans l’opposition n’est que rarement le reflet d’un désaccord de fond, mais résulte du fait qu’ils n’ont pas été invités à occuper des postes au sein de l’appareil d’État par la coalition dominante, ou que ces postes n’ont pas été jugés suffisamment juteux. L’alternance n’est donc pas un objectif en soi pour ces acteurs, dont la rhétorique critique à l’endroit du pouvoir vise à se voir offrir par celui-ci des situations à la mesure de leurs ambitions.
C’est à l’intérieur de cette compétition politique en trompe-l’œil qu’il faut replacer le recours des partis à la mobilisation protestataire. Quand bien même leurs dirigeants invoquent avec théâtralité les valeurs de patrie, de peuple ou de démocratie, l’organisation de manifestations contre Kabila par les partis suit un objectif prosaïque : accéder à l’État, par la porte (grâce à l’alternance) ou la fenêtre (via la cooptation). Les Congolais, qui tiennent globalement leur classe politique en piètre estime, sont bien conscients de cette duplicité, qui s’était déjà révélée dans toute sa splendeur durant les dernières années du mobutisme. [4] En dehors des noyaux militants, leur participation aux marches convoquées par les partis n’est donc pas tant synonyme d’identification ou d’adhésion, que d’utilisation pragmatique des opportunités de mobilisation fournies par cette opposition.
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