Si l’actuel gouvernement nicaraguayen s’affiche socialiste, progressiste et démocratique, l’analyse des politiques menées cette dernière décennie met au jour son caractère profondément néolibéral sur le plan économique, confusément (ultra-)conservateur en matières familiale, morale et religieuse et absolument autocratique sur le plan politique. D’où la forte légitimité des contestations en cours, mais aussi leur difficulté à s’affirmer dans une configuration sociopolitique aussi particulière, sur fond d’un basculement de conjoncture internationale défavorable à l’économie nicaraguayenne.
Peut-on parler de dérives autoritaires pour qualifier le régime du président Ortega ?
Avant même son retour à la tête du pays en 2006, Daniel Ortega et son instrument politique – le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) dont il a gardé la direction – ont œuvré assidûment à la reconstruction de l’influence perdue sur les différentes sphères de pouvoir (suite à la défaite électorale de 1990). L’autocratisme régnant actuellement, plus qu’une dérive, est à considérer comme l’aboutissement d’un long processus de reconquête et de concentration du pouvoir, par des voies et moyens qui ont régulièrement franchi les limites de la légitimité et de la légalité, et qui ont bradé « l’institutionnalité démocratique » que les sandinistes eux-mêmes avaient édifiée dans la Constitution nationale de 1987.
Aujourd’hui, le couple présidentiel (Rosario Murillo, l’épouse du président Ortega, a été élue vice-présidente de la République en novembre 2016) a la mainmise sur l’ensemble des pouvoirs de l’État (exécutif, législatif, judiciaire et électoral), mais également sur une bonne moitié des médias et sur plusieurs grands groupes entrepreneuriaux. Leur domicile privé est à la fois le siège central du FSLN et l’endroit d’où Ortega et Murillo gouvernent le pays, ajoutant ainsi la patrimonialisation du parti et de l’État, ainsi qu’un certain népotisme – les enfants du couple régnant occupent des postes clés de l’économie nationale –, à l’inféodation des institutions, de la police et de l’armée. Depuis les dernières élections locales de novembre 2017, quelque 90% des municipalités sont aux mains du FSLN.
Bref, la concentration du pouvoir est manifeste, et sa personnalisation dans un régime hyperprésidentialiste, patente. Les formes de la démocratie politique, plus ornementales qu’effectives, sont détournées à l’envi ou instrumentalisées pour assurer la reconduction. Mais de là à qualifier le pouvoir ortéguiste de dictature, il y a encore une marge. Certes, l’hégémonie, le consensus… imposé, peut reposer sur la contrainte et l’intimidation des opposants. Mais celles-ci ne sont pas omniprésentes, ni assorties de tortures et de violations systématiques des droits de l’homme. Le climat au Nicaragua n’est ni à la peur généralisée, ni à l’oppression d’un peuple sous la férule d’un pouvoir tyrannique. La liberté de la presse (bien que concentrée dans les mains de deux grands groupes) est tangible, tout comme la liberté d’opinion, de se déplacer, de se réunir, voire de s’organiser…, pas trop toutefois, les manifestations contestataires pouvant être vigoureusement découragées, étouffées ou réprimées, comme cela a été le cas ces tout derniers jours. Parlons dès lors, au choix, d’« autoritarisme soft », de « caudillisme du 21e siècle », de « démocrature présidentielle » ou d’« autocratie populiste ».