
Article signé Frédéric Thomas, docteur en sciences politiques, chargé d'étude au CETRI - Centre Tricontinental (Louvain-la-Neuve).
Depuis quelques jours, comme au Liban et au Chili, ou depuis plus longtemps, comme en Algérie, à Hong Kong et en Haïti, des dizaines et même des centaines de milliers de personnes descendent dans les rues. Étonnants, à première vue, l’origine prosaïque – une nouvelle taxe, le prix de l’essence ou des transports publics, etc. –, la vitesse de propagation et le caractère radical, voire insurrectionnel de cet embrasement. Ce qui avait été (trop) longtemps toléré devient, soudainement, la source du refus et des révoltes.
Le terrain est propice à de telles explosions. Les inégalités, la pauvreté et la dégradation des conditions de vie constituent une bombe à retardement, qui éclate à la mesure de l’exaspération sociale, particulièrement forte dans les pays du Sud où les contradictions sont plus exacerbées. De plus, les mobilisations actuelles participent d’un nouveau cycle de luttes, après les révolutions arabes de 2010-2011, les luttes étudiantes au Chili, en 2011, le mouvement des parapluies à Hong Kong, en 2014, etc., sans parler des vagues de contestation, en 2018, au Nicaragua, en Iran et ailleurs.
Une étincelle locale, un dynamiteur commun
Si les déclencheurs sont spécifiques à chaque contexte national, les ressorts sont partout les mêmes. La contestation d’une mesure ponctuelle se mue rapidement en un rejet global du pouvoir et de la corruption ; de la corruption du pouvoir. Ainsi, faut-il entendre celle-ci à la fois de manière classique, comme détournement d’argent, et de façon organique, comme falsification du service (au) public. Les gouvernements sont contestés comme lieux de pouvoirs, accaparés par un alliage de la classe gouvernante, des élites nationales et des institutions financières internationales – le Fonds monétaire international (FMI) par exemple ; cible direct des manifestations en Équateur et en Haïti –, au service de leurs propres intérêts. (...)