À Rennes, j'ai rencontré Marine Bachelot-NGuyen, autrice et metteuse en scène de théâtre. Elle écrit des pièces qui parle de la vraie vie. Des rapports de domination, du sexisme, du racisme. De la décolonisation. Elle m'a parlé d'un projet qu'elle mène avec des jeunes dans un collège de la périphérie rennaise avec une prof de français passionnée de théâtre. Extraits et réflexions...
Croquis réalisés en direct, lors des séances d'écriture.
Le théâtre est politique...
Quand je rejoins le travail en cours, la classe a déjà bien avancé. Les jeunes semblent très au fait des derniers éléments de l'enquête autour de la mort d'Adama Traoré. Quelques jours avant cette séance d'écriture, il y a eu Théo. C'est dans toutes les conversations.
Pourtant, au moment de démarrer l'écriture de cette pièce de théâtre, rares sont les élèves à avoir entendu parler d'Adama Traoré. Collège de la périphérie rennaise, plutôt rural, tranquille peut-être.
La proposition de Marine et de leur prof de français Véronique leur a tout de suite plu. Parler d'actualité en faisant du théâtre, c'est pas souvent que ça arrive. En fait, c'est du théâtre politique. Et ça on y reviendra plus tard...
La classe a d'abord fait un travail documentaire. Vidéos, articles de presse, émissions radios. Que s'est-il passé ? Qui est Adama ? Qui est sa sœur Assa ?
Beaucoup de débats et surtout, un choc. Comprendre qu'un jeune comme eux peut subir ce type de violence. Comprendre qu'un jeune comme eux, parce qu'il est noir, peut être en danger face à la police. Comprendre qu'il faut se battre tout en faisant la part des choses. Comprendre ce que Justice et Vérité veulent vraiment dire.
Les jeunes se sentent concerné-e-s par cette histoire. Ce n'est pas seulement un exercice d'écriture théâtrale. C'est aussi l'appropriation d'un récit, la compréhension soudaine du monde. De ses dominations, de ses inégalités mais aussi de ses espoirs. Agir, manifester, exiger la justice.
Mais écrire une tragédie, c'est penser la mort. Mort d'Antigone. Les élèves s'interrogent. Jusqu'où peut-on aller ? Jusqu'où doit-on aller ? Cette pièce, elle va raconter des choses fortes. Des choses vraies. Alors les élèves discutent fort sur la fin à donner. Comment permettre aux spectateurs et spectatrices de se projeter ? À quoi peut servir cette pièce sinon à donner corps à des enjeux politiques, à rendre compte de façon documentaire d'une réalité trop souvent tue ?
Au fil des débats, le stylo à la main, la pièce s'écrit, prends corps. Mais c'est aussi les élèves qui bougent. L'intime de cette histoire familiale bouleverse. L'injustice bouleverse, révolte. Mais il faut des espaces pour l'approcher, l'apprivoiser, la comprendre. Le théâtre documentaire, comme d'autres formes artistiques qui placent le politique au coeur, permet cela.
On parle beaucoup du storytelling. Mais il a des vertus ! Je vous conseille d'ailleurs l'excellent livre, quoiqu'un peu ardu parfois, d'Yves Citton, " Mythocratie, storytelling et imaginaire de gauche". Mettre en récit des histoires qui révèlent les rapports de domination, leurs effets et le chemin pour en sortir participe de l'émancipation... Bref, "le Combat d'Assa", co-écrit par les élèves de Véronique avec Marine Bachelot-Nguyen c'était indispensable.