Après avoir visionné l'émission Ce soir ou jamais du Mercredi 29 Septembre sur le lien entre immigration et délinquance, j'ai voulu retranscrire un dialogue qui m'avait paru plus serein entre des "jeunes". Il faisait suite à la parution du livre Le destin des enfants d'immigrés, un désenchaînement des générations, qui lui n'a pas eu la chance d'avoir autant de pub que celui dont il était question hier, celui d'Hugues Lagrange sur Le déni des cultures. Je vous laisse le soin d'aller visionner l'émission d'hier sur le site de Ce soir ou jamais.
Le destin des enfants d'immigrés
Entretien croisé
En octobre 2009, Claudine Attias-Donfut et François-Charles Wolff publiaient Le destin des enfants d'immigrés, un désenchaînement des générations (Stock, "Un ordre d'idées", 320p.), vaste enquête sociologique s’attaquant aux représentations globalisantes de la situation des enfants d’immigrés en France et revisitant certains résultats de la sociologie de l’immigration.
Mirna Safi est chercheuse à l’Observatoire Sociologique du Changement (Sciences Po/CNRS). Elle est notamment l’auteure de Le devenir des immigrés en France. Barrières et inégalité, thèse de doctorat en sociologie, EHESS, 2007.
Ali Soumaré, 29 ans, fut le porte-parole des familles et des quartiers pendant les émeutes de Villiers-le-Bel en 2007. Très impliqué dans la vie associative, il est tête de liste socialiste pour les élections régionales dans le Val-d’Oise.
Ils réagissent aux principales conclusions de l’essai de Claudine Attias-Donfut.
« Le destin des enfants d'immigrés » s'attaque aux stéréotypes négatifs véhiculés par les médias et les politiques, nous invitant à changer de regard sur l'immigration. Claudine Attias-Donfut conclut ainsi que les enfants d'immigrés sont en grande majorité « sur la voie de la réussite et donc de l'intégration »...

Mirna Safi : En s'appuyant sur des indicateurs à conditions sociales égales, il est vrai qu'on s'aperçoit que les enfants d'immigrés réussissent parfois mieux que les français d'origine. Mais ce n'est que la constatation de l'absence d'origines intrinsèques, culturelles aux inégalités sociales. En caricaturant, cela revient à dire que les enfants d'immigrés ne sont pas moins intelligents que les autres.
D'autres indicateurs, comme la réussite aux examens, les redoublements, ou l'abandon scolaire, démontrent en revanche de vraies inégalités. Il n'est ainsi pas toujours utile de raisonner en termes d'intégration. Cela a un sens quand on parle d'appartenance politique, du vote, du mariage.
Mais pour tout ce qui concerne l'accès à l'emploi, l'accès à l'éducation, il est beaucoup plus opérationnel de raisonner en terme d'inégalité.

Ali Soumaré : Les clichés et les stéréotypes sont les maux principaux qui nous touchent aujourd’hui. Ce sont des enfermements, très difficiles à déconstruire. Je crois que nous devons faire de la lutte contre ces préjugés des priorités. Cela passe notamment par la valorisation des cultures d’origines : pour prendre l’exemple du Mali, un pays que je connais bien puisque mes parents en sont originaires, pourquoi par exemple ne pas rappeler qu’une partie des réserves de la Banque de France a été gardée à Kayes pendant la seconde guerre mondiale ? Ou que le Mali est le pays avec lequel la France entretient le plus grand nombre de coopérations décentralisées ? Il est indispensable de rééquilibrer les choses et de valoriser le côté positif de la relation de la France avec les pays d’origine.
Concernant la réussite des enfants d’immigrés, il est impératif d’éviter d’ériger en norme les exceptions ou les parcours déviants. Effectivement, à l’échelle de plusieurs générations, la réussite des enfants d’immigrés est évidente. C’est un processus qui est en route. Malheureusement, les ghettos sociaux et les enfermements culturels sont aussi des réalités. On ne peut pas non plus masquer les graves difficultés rencontrées par les jeunesses issues des migrations. Il faut évidemment continuer à débattre de ces questions, mais en recherchant un juste équilibre.
L'essai souligne par ailleurs l’importance du facteur familial dans la réussite des enfants d'immigrés. Les incitations à l’école ou la solidarité des familles immigrées seraient par exemple des moteurs de la réussite alors qu’un fort attachement au pays d’origine serait contre-productif. Quelle est votre position sur ce rôle de la famille dans la réussite ?
M.S : C’est vrai qu’il existe des liens très forts dans les familles d'immigrés, ce que montre très bien l'ouvrage. Pourtant, on ne peut pas oublier qu'être né dans une famille immigrée signifie souvent également avoir moins de ressources matérielles, moins de capital culturel, moins de ressources économiques.
Un des meilleurs exemples des inégalités engendrées par ces disparités est la sous-représentation des enfants d'immigrés dans la fonction publique par rapport au secteur privé.
Les concours de la fonction publique, anonymes, ne sont pas sensés être discriminatoires en soi. Mais dans un système éducatif élitiste, où l'hérédité est considérable, une sélection s'opère bien avant : les enfants d'immigrés se retrouvent sous-représentés car ils n'ont pas les ficelles pour comprendre le système des concours, ce qui aboutit à des inégalités assez fortes sur le marché du travail.
A.S : L’exemple de Mirna Safi sur la fonction publique est totalement pertinent. Mais ce n’est pas seulement un problème d’immigrés, c’est un problème de société en générale. On peut très bien être issu de l’immigration et vivre dans un milieu qui nous offre les clés de la réussite. Le vrai problème réside dans le fait qu’une grande partie des immigrés soit issue des milieux populaires ou des classes moyennes. Je rejoins donc Mirna Safi lorsqu’elle dit qu’on est surtout confronté à une situation d’inégalité sociale.
En revanche, je pense que le lien avec le pays d’origine n’est pas un facteur d’échec. Les enfants dont les parents sont fortement impliqués dans le développement de leurs pays d’origine réussissent mieux et sont plus intégrés socialement. Des rapports comme celui de Jacques-Alain Benesti considérant que le bilinguisme est un facteur de délinquance sont à la fois stupides, infondés et contreproductifs. Ils se fondent sur le préjugé que rien de bon ne peut être tiré de l’immigration. Pourtant, savoir ou l’on va, c’est aussi savoir d’où l’on vient, de mieux connaître son histoire familiale et celle de ses parents.
C’est notamment pour favoriser ce maintien du lien avec les pays d’origine qu’avec des amis impliqués dans la solidarité internationale nous avons fondé en 2005 le FOJIM (Forum de la Jeunesse Issue des Migrations ou aux Identités Multiples). Un vrai travail sur les pays d’origine doit être fait. C’est positif et cela peut même devenir un remède.
Claudine Attias-Donfut enquête également sur le sentiment d'appartenance des immigrés de la première génération. Elle met notamment en lumière la distinction entre identité nationale et nationalité...
M.S : Même si plusieurs autres enquêtes ont effectivement montré un sentiment considérable d'appartenance à la France des immigrés et de leurs descendants on peut s'interroger sur la pertinence de telles questions et sur la validité de leurs résultats. Quelque part, c'est un mauvais procès qui est dressé aux immigrés et encore plus à leurs descendants en leur demandant s'ils se sentent français. Je ne suis pas sûre que les réponses des enquêtés soient toujours révélatrices. Derrière cette question, il y a un appel très fort à la norme, voire une forme d'accusation. Demander «êtes-vous heureux d'être ici ? » ou « dans quel lieu vous projetez-vous dans l'avenir? » serait sans doute plus pertinent que « vous sentez vous français ?».
D’ailleurs, ces jugements sur l’appartenance sont souvent à double mesure: parmi l'élite franco-française, le rejet de la nation peut être perçu de manière positive, comme un signe d'ouverture sur le monde. Quand il s’agit des immigrés et de leurs enfants, c'est la catastrophe. A ce sujet, la « fameuse » question du trait d’union américain est révélatrice. Pourquoi ne pourrait-on pas juxtaposer deux identités, comme on le fait avec "afro-américain" ? En France, cela paraît presque impossible.
A.S : Pour moi, être français d’origine malienne, ce n’est qu’une seule identité. Depuis le début de mon engagement associatif, j’aime bien répondre à cette question de l’identité en paraphrasant Jamel Debbouze pour demander « pourquoi choisir entre son père et sa mère?» : nous devons absolument sortir du schéma binaire et nationaliste primaire qui interdirait de revendiquer plusieurs appartenances. On peut tout à fait être français, d’origine malienne, de confession musulmane, républicain et laïc. C’est possible.
La migration pensée de manière anxiogène bride le débat et ne permet pas de revenir sereinement sur les questions identitaires. Il serait plus utile de parler des migrations – immigrations et émigrations – plutôt que de l’immigration bouc-émissaire, de réfléchir aux identités plurielles de la France et non à une identité nationale nationaliste. Agir en faveur d’un co-développement respectueux des migrants plutôt que de perpétuer une solidarité misérabiliste et insolente.
Propos recueillis par Pierre Boisson
Source: http://laboratoiredesidees.parti-socialiste.fr/mail/n2/lab-n2.html
PS: je suis tombé sur cette source en faisant une recherche de mémoire, loin de moi l'idée de faire la pub pour tel ou tel parti politique.