Chantal Cutajar et Corinne Lepage

Chantal Cutajar, Présidence de Citoyens engagés, Juriste Universitaire - Corinne Lepage, Présidente de Cap21-LRC, Avocate

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Tribune 14 août 2023

Chantal Cutajar et Corinne Lepage

Chantal Cutajar, Présidence de Citoyens engagés, Juriste Universitaire - Corinne Lepage, Présidente de Cap21-LRC, Avocate

Pour le Conseil d’État, les membres du collectif « Les soulèvements de la Terre » ne sont pas des éco-terroristes

Ce ne sont pas pour des raisons de forme - comme cela est répété à l’envie par les membres du gouvernement - mais à raison de son illégalité que le décret a été suspendu par la plus haute juridiction administrative. Cette décision confère une certaine normativité à la désobéissance civile.

Chantal Cutajar et Corinne Lepage

Chantal Cutajar, Présidence de Citoyens engagés, Juriste Universitaire - Corinne Lepage, Présidente de Cap21-LRC, Avocate

Pour lutter contre ceux qu’il qualifie d’ « éco-terroristes », le gouvernement, par un décret du 21 juin 2023[1] a prononcé la dissolution du collectif « Les soulèvements de la Terre » constitué fin janvier 2021 pour « lutter contre la bétonisation, l’artificialisation et l’accaparement des sols, en vue de la protection des terres nourricières, de l’eau et des autres ressources naturelles ».

En effet, c’est bien parce qu’il considère « Les soulèvements de la Terre » comme des éco-terroristes, que le gouvernement a recouru à l’article L 212-1, 1° du code de la sécurité intérieure qui permet de dissoudre « toutes les associations ou groupements de fait » qui « provoquent à des manifestions armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».

Cependant, jugeant que ce décret « en l’état de l’instruction (est) propre à créer un doute sérieux quant à (sa) légalité », le Conseil d’État dans sa décision du 11 août 2023 a prononcé sa suspension.

Ce ne sont donc pas pour des raisons de forme comme cela est répété à l’envie par les membres du gouvernement, non réellement contredits par les médias, mais à raison de son illégalité que ce décret a été suspendu par la plus haute juridiction administrative.

Ainsi, la tentative de diabolisation des membres des Soulèvements de la Terre n’aura pas convaincu le Conseil d’État. Non seulement le Gouvernement a échoué à démontrer que le collectif « cautionne d’une quelconque façon les violences à l’encontre des personnes » mais il juge au-delà, que ses actions « se sont inscrites dans des prises de position du collectif en faveur d’initiative de désobéissance civile et de “désarmement” de dispositifs portant atteinte à l’environnement, dont il revendique le caractère symbolique ».

Ce faisant, cette décision confère une certaine normativité à la désobéissance civile entendue comme une action collective visant à s’opposer à la loi injuste au nom de principes communs portés par une conscience collective et dont la finalité vise, en excluant toute violence, à faire émerger une loi juste.

Ici, c’est l’atteinte portée à l’environnement qui justifie et légitime en conséquence la résistance non violente de celles et ceux qui s’y opposent en recourant à la désobéissance civile.

Dès lors, le caractère circonscrit, la nature et l’importance des dommages résultant des atteintes portées aux biens ne permettaient pas de qualifier les actions du collectif de provocation à des agissements troublant gravement l’ordre public de nature à justifier la dissolution du collectif.

Sauf pour le gouvernement à démontrer le contraire, ce qu’il n’a pas été en mesure de faire dans le cadre de l’audience de référés, il nous semble que la formation de jugement à intervenir devrait confirmer cette décision même si des éléments complémentaires peuvent encore être versés au débat par les rédacteurs du décret suspendu. 

Les voies du Droit lorsqu’elles sont bien mises en œuvre sont d’une redoutable efficacité. La décision du Conseil d’État, fondée sur le respect de l’exercice des libertés d’expression, de réunion et d’association consacrées respectivement par les articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en est une parfaite démonstration. 

Souvent critiqué pour sa composition et ses jurisprudences le Conseil d’État sait mettre un frein lorsque les enjeux sont majeurs pour l’avenir de notre société comme cela avait été le cas le 19 octobre 1962 lorsque, dans l’arrêt Canal, Robin et Godot il annula l'ordonnance créant la Cour militaire de justice, ce qui sauva la vie d'André Canal, qui devait être fusillé le 20 octobre. 

Chantal Cutajar, Présidence de Citoyens engagés, Juriste Universitaire
Corinne Lepage, Présidente de Cap21-LRC, Avocate                     

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047709318