La prison, cet endroit froid et déshumanisant, n’est pas un lieu pour qu’un enfant grandisse. Pourtant, on m’y a poussée, comme si ce lien imposé devait primer sur mon ressenti. Ce système, en prétendant préserver la cellule familiale, détruit silencieusement des vies comme la mienne. C’est de cette violence institutionnelle que je veux parler.
Pendant des années, on m’a imposé un rituel qui m’a profondément abîmée : aller voir mon géniteur en prison. Tous les troisièmes samedis du mois, accompagnée de ma mère et de mon oncle, je me rendais dans un lieu où aucun enfant ne devrait jamais être contraint de mettre les pieds. J’étais une enfant, et on m’a forcée à maintenir un lien familial qui, pour moi, n’avait aucun sens. On m’a dit que c’était pour mon bien. On m’a dit qu’il avait "le droit de me voir".
Mais moi, je n’avais visiblement aucun droit. Ni celui de dire non. Ni celui d’être écoutée. Ni celui d’être protégée.
Il fallait m’écouter. L’intérêt de l’enfant, pas celui du parent.
Avant toute décision de maintien de lien avec un parent détenu, une évaluation réelle et sérieuse de la situation familiale aurait dû être faite. Pas une procédure automatique. Pas un formulaire à cocher. Une vraie évaluation, avec un professionnel capable d’entendre ce que je vivais. Est-ce que ce lien me faisait du bien ? Est-ce que j’étais en sécurité émotionnelle ? Est-ce que je le voulais ? L’intérêt supérieur de l’enfant ne peut plus être un slogan vide. Il doit être un principe d’action. Il fallait m’écouter.
On aurait dû me laisser dire non. Refuser une visite, c’est aussi un droit.
On ne devrait jamais obliger un enfant à se rendre en prison pour y voir un parent qu’il rejette ou qui lui fait du mal, même psychologiquement. Le lien biologique ne peut pas être une justification absolue. Ce que j’ai vécu, c’est une forme de violence institutionnelle : être contrainte à un lien toxique sous couvert de droit parental. Il aurait fallu me laisser dire non. Me permettre de choisir. Et respecter ce choix.
J’avais besoin de soutien. Où était le suivi psychologique ?
À aucun moment je n’ai été prise en charge psychologiquement. Aucun professionnel ne m’a demandé comment je vivais ces visites. Aucun adulte n’a cherché à m’expliquer ce que signifiait aimer un parent qu’on n’aime pas. Aucun espace ne m’a été offert pour parler, pleurer, comprendre. Pourtant, un accompagnement psychologique régulier et adapté aurait pu me sauver de l’anxiété chronique, de la culpabilité et du silence dans lesquels j’ai grandi.
Personne ne m’a préparée. J’étais une enfant dans un monde d’adultes.
Aller au parloir, c’est une expérience brutale : les fouilles, les bruits de portes qui claquent, l’enfermement dans une petite pièce pendant des heures. Rien n’était adapté à une enfant. Personne ne m’a expliqué comment ça allait se passer. Personne ne m’a donné les clés pour comprendre. Pourtant, il aurait suffi de peu : une information claire, un livret, un accompagnement spécifique. On m’a envoyée là-bas comme si c’était normal. Rien ne l’était.
Les associations existaient, mais personne ne m’a tendu la main.
Il existe des structures qui accompagnent les enfants de détenus. Des associations qui savent faire, qui savent écouter, qui savent protéger. Pourquoi ne m’a-t-on jamais orientée vers elles ? Pourquoi l’administration pénitentiaire, les services sociaux, ou même les écoles ne m’ont jamais mise en lien avec ces ressources ? Ce silence, cette négligence, ont prolongé ma souffrance.
J’aurais eu besoin de parler à d’autres enfants comme moi.
Le poids du silence, c’est l’un des pires fardeaux. À aucun moment, je n’ai rencontré d’enfants qui vivaient la même chose. On ne m’a jamais proposé de groupe de parole, d’échange, de moment de respiration avec d’autres enfants de détenus. J’ai grandi en pensant que j’étais seule, anormale, condamnée à me taire. Pourtant, créer des espaces de parole aurait pu changer ma trajectoire.
Les professionnels doivent être formés à nous entendre.
Combien de magistrats, de travailleurs sociaux, de juges des affaires familiales, sont réellement formés à écouter la parole d’un enfant ? Trop peu. Trop souvent, ils réduisent nos émotions à des caprices, nos refus à de l’insolence, nos douleurs à de simples complications. Il faut une formation systématique à l’écoute et à la compréhension du vécu des enfants de détenus. On mérite mieux que l’indifférence.
Le parloir n’est pas un lieu pour un enfant. Il fallait penser autrement.
Si lien, il devait y avoir, il aurait dû être encadré différemment : dans un cadre médiatisé, avec des professionnels présents, dans un espace pensé pour les enfants. Pas dans une cellule repeinte en salle de visite. Pas dans un huis clos avec un adulte qui me faisait peur. Il existe des alternatives, il faut les rendre systématiques.
Aujourd’hui, je parle parce que je ne veux plus qu’un seul enfant vive ce que j’ai vécu. Parce qu’il est temps de remettre en question ce système qui sacralise le lien parental au détriment du bien-être de l’enfant. Parce qu’on a trop longtemps fait taire les enfants de détenus. Parce qu’on ne peut plus prétendre protéger la famille en sacrifiant ceux qui la subissent.
Il est temps de nous regarder en face. Et d’agir.
(Merci encore à Adrien d'avoir tout relu <3)