Charles Condamines *
En ces matières, mieux vaut , d’entrée de jeu, jouer cartes sur table : je suis titulaire d’une licence de théologie avec un prix dont j’ai oublié le nom. A la Faculté catholique de Toulouse, avec trois futurs évêques (dont un cardinal), nous nous disputions vaguement la première place. Au meilleur de ma compétence, je lisais l’ancien testament en hébreu, le nouveau en grec et Saint Augustin en latin. Ordonné prêtre un peu avant la clôture du concile, j’ai obtenu ma réduction à l’état laïque une dizaine d’années plus tard. Mariés civilement, ma femme et moi avons eu deux enfants que nous n’avons pas fait baptiser. Aujourd’hui, au soir de ma vie, je suis comme des millions d’européens et d’américains, un post chrétien. Et il m’arrive de m’intéresser à l’actualité de l’église à laquelle j’ai consacré ma jeunesse.
C’est ainsi que j’ai eu la curiosité de lire et écouter les argumentaires développés par la hiérarchie à propos de la prochaine loi sur la bioéthique. Son volet le plus controversé concerne la Procréation Médicalement Assistée (PMA)
Actuellement, elle est réservée aux couples hétérosexuels à l’infertilité avérée. Si le projet en discussion est adopté, ce qui est fort probable, toutes les femmes, qu’elles soient seules ou en couple, pourront bénéficier de cette assistance médicale. Comme en plus, la condition d’infertilité sera supprimée y compris pour les couples hétérosexuels, ce mode de procréation deviendra de plus en plus fréquent. Et cela d’autant plus que la dite infertilité augmente. Notamment pour des raisons environnementales. Actuellement, en France, les bébés nés sous PMA ne représentent que 3% des naissances.
Mon propos n’est pas de me prononcer pour ou contre cette loi. Après tout, il n’est pas besoin d’être homophobe, réac ou moraliste catholique averti pour s’y opposer. Ce que j’ai envie d’exprimer ici, c’est mon étonnement.
Depuis le divorce jusqu’au mariage pour tous, en passant par l’avortement et la pilule, la hiérarchie catholique a toujours été contre les interventions du législateur dans un domaine où « maîtresse en humanité » elle revendique une compétence particulière pour ne pas dire exclusive puisqu’inspirée par dieu lui-même. Je n’ai donc pas été surpris qu’elle reste fidèle à sa réputation et à son habitude. Et même qu’elle appelle sans trop le dire, à la manifestation nationale prévue le 6 octobre prochain.
Ce qui m’a surpris, c’est le comment elle justifie sa position. J’ai donc écouté les discours prononcés aux Bernardins le 16 septembre par ou en présence des plus hauts dignitaires ecclésiastiques de notre pays ; j’ai lu le livre que l’animateur de la dite conférence a présenté comme « l’ouvrage de référence ». Intitulé « Bioéthique : quel monde voulons-nous ?» il a été rédigé par Mgr d’Ornellas le responsable de ces questions au sein de l’épiscopat.
D’emblée il annonce la couleur : « notre réflexion est rédigée à la lumière de la raison » (p.6) Effectivement, dans tous ces discours et documents épiscopaux, des auteurs modernes et des textes juridiques en vigueur sont bien plus souvent cités que les saintes écritures, les pères et docteurs de l’église ou les encycliques traitant des questions familiales et sexuelles. Cet œcuménisme va jusqu’à inclure un jésuite défroqué (P. Hadot) et un ex musulman qui avoue publiquement n’être plus chrétien (P. Rahbi).
De même, la défense des plus faibles (ici, il s’agit des embryons et des enfants) est souvent mentionnée comme prioritaire mais, probablement parce que ça fait plus républicain, on ne parle que de fraternité.
J’ai découvert la même ouverture d’esprit dans l’argumentaire publié par le même Mgr D’ornellas le 18 Juillet dernier sur le site de la conférence des évêques: il invoque le code civil, le Conseil d’Etat, la Cour européenne des droits de l’homme, la Convention internationale des droits de l’enfant, certains sondages d’opinion, Sylviane S.Agacinski, C. Labrussse. Mais il faut attendre le dernier paragraphe pour rencontrer une référence à une encyclique, -il s’agit de Laudato Si, l’encyclique du pape François sur l’écologie- et la dernière ligne, pour une citation de Saint Paul « qu’as-tu que tu n’aies reçu et si tu l’as reçu pourquoi t’enorgueillir ? ». Si je résume l’ensemble de ces textes, c’est d’abord parce qu’elle viole le droit de tout enfant d’avoir un père que la PMA pour toutes les femmes est inacceptable. Parce qu’il est rassembleur entre tous, cet angle d’attaque n’est pas le plus mal choisi. Et l’écologie est plus dans l’air du temps que l’encyclique Humanae vitae.
Cette sécularisation du discours catholique le plus officiel m’a interpelé et je me suis demandé si oui ou non, son architecture théologique traditionnelle avait été modifiée voire abandonnée. Pour en avoir le cœur net, je me suis reporté au catéchisme et là, je me suis retrouvé dans le même univers que celui que j’ai autrefois fréquenté.
Concernant l’homosexualité : elle existe et les homosexuels doivent être traités avec respect mais « les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas » (Art 2457 et ss). Inutile d’aller plus loin : s’il est « contraire à la loi naturelle » on ne voit pas en effet comment un couple homosexuel pourrait faire famille.
Concernant la PMA, la condamnation est tout aussi catégorique. Même quand elles sont utilisées au sein du couple (c’est-à-dire sans tiers donneur), les techniques mises en œuvre « sont moralement irrecevables. Elles dissocient l’acte sexuel de l’acte procréateur. ..La procréation est moralement privée de sa perfection propre quand elle n’est pas voulue comme le fruit de l’acte conjugal, c’est-à-dire du geste spécifique de l’union des époux.» (art.2376 et ss. ).
Toujours à partir du catéchisme, je pourrais restituer ici l’intégralité de la doctrine catholique traditionnelle en matière de procréation et de sexualité. « La vie humaine est sacrée parce que, dès son origine, elle comporte l’action créatrice de Dieu…» Puisque spirituelle et éternelle, « l’âme n’est pas produite par les parents.» Elle est « immédiatement produite par Dieu » lors du « geste spécifique de l’union des époux » sus nommé. A savoir pour le dire crûment, la pénétration d’une verge sans capote dans un vagin sans pilule (cf. entre autres les art. 2257 et 366 ). « La masturbation est un acte intrinsèquement et gravement désordonné » (Art. 2352) « En dehors du mariage, l’acte sexuel constitue toujours un péché grave et exclut de la communion sacramentelle » (2390). Inutile de poursuivre : s’agissant de sexe et de procréation, la mauvaise réputation de l’église catholique est bien établie.
En ces matières, le constat est sans appel : depuis la fin du Moyen Age, la fille aînée de l’église est allée de défaite culturelle en défaite culturelle. De ce naufrage, l’encyclique Humanae vitae et les fracassantes révélations concernant le comportement sexuel de beaucoup d’ecclésiastiques ne sont que les derniers avatars. Aujourd’hui, le fossé qui sépare le monde moderne de l’église catholique paraît infranchissable. Pour la plupart des hommes et des femmes de notre pays, le noyau dur de sa doctrine morale est devenu inaudible.
Dans ce contexte, pour ses détenteurs, la tentation est forte de l’habiller différemment si pas de le passer sous silence en attendant des jours meilleurs. Le problème étant que peu ou prou, la majorité de nos contemporains ont déjà une idée du contenu réel de ce noyau dur et qu’ils le rejettent. Dès lors, le soupçon si pas l’accusation de double discours, hypocrisie ou prosélytisme a tôt fait de dissuader leur moindre envie de prêter l’oreille. Il se pourrait par exemple, que trop visible, la présence de certains ensoutanés ou mouvements genre Civitas ou Sens commun à la tête des cortèges en réduise finalement l’affluence.
Au début du livre déjà cité, Mgr d’Ornellas dit vouloir un « vrai dialogue » soit un dialogue entre des acteurs dont aucun « ne prétend détenir l’expression définitive de la vérité » (p.19) Un dialogue où chacun accepte loyalement, le risque de devoir changer de position, précise en note une longue citation de P.Hadot, le Jésuite défroqué devenu grand connaisseur et pratiquant de la philosophie antique, soit très exactement la philosophie préchrétienne.
Là est la question décisive : compte tenu de son histoire, de sa réputation et de l’origine divine qu’elle revendique, l’église catholique est-elle capable de pratiquer ce « vrai dialogue » ? Est- elle capable, sans perdre son âme, de se mettre définitivement à hauteur d’homme ? A supposer que ce soit possible, il est à craindre que beaucoup d’eau ne passe sous les ponts du Tibre et de la Seine, avant que les non chrétiens ne prennent au sérieux son « auto-mise bas. »
*Théologien catholique et docteur en sociologie politique. Dernier livre paru : « J’étais prêtre et ne suis plus chrétien », L’Harmattan, Paris 2019. Je vous en ai envoyé un ex en Juillet. www.charlescondamines.com