Avocat du diable.
A tout procès en canonisation, il faut un avocat du diable. Je vais donc faire le malin et chercher des poux sur la tête d’un saint.
D’abord Jean Paul II m’a donné beaucoup de travail. Sa vie et son règne ont été exceptionnellement longs. Et tous les délais prévus pour les procédures de ce genre ayant été en son honneur raccourcis par Benoît XVI son successeur, j’ai dû me démener dans l’urgence.
Une précision : le dernier pape à avoir fixé les règles de la canonisation est Jean Paul II lui-même en 1983. Les mauvaises langues ne manqueront pas d’imaginer qu’il l’a fait en pensant qu’il serait le premier à en profiter. Laissons-les à leur malveillance.
Jean Paul II fut-il un catholique héroïque ? Voilà la question que je me suis posé.
Pour y répondre, j’ai examiné les reproches et accusations portés contre lui. Il y en a beaucoup et d’horizons très divers
Commençons par nos frères séparés : les protestants, c’est connu, le culte des saints, ça ne leur plaît pas et il est exact que Jean Paul II a battu tous les records, plus de 1300 canonisations/béatifications en 26 ans c’est plus que le total enregistré au cours du demi millénaire précédent. Sauf que l’unité des chrétiens c’est bien joli, mais elle ne pourra jamais progresser aux dépends de la vérité et le culte des saints est chaleureusement recommandé par le catéchisme de l’église catholique. Pour mémoire, c’est Jean Paul II qui en a publié la dernière version. Et ce n’est pas le moindre de ses mérites.
Les orthodoxes ont cru que le dernier concile avait définitivement raboté les « fastes et pouvoirs de la monarchie pontificale ». Je regrette mais, ils n’ont pas bien compris et je ne voudrais pas les décevoir mais il serait incompréhensible que Benoit XVI et François 1er ne partagent pas les mêmes honneurs que Jean Paul II et Jean XXIII. Probablement ensemble pour bien montrer que le second ne fait aucune ombre au premier et vice versa. En la matière une sorte de tradition est en train de s’installer.
Parfois les critiques viennent des plus hautes sphères de la hiérarchie catholique elle-même. Jusqu’il y a peu archevêque de Milan, le Cardinal Martini a prétendu que Jean Paul II avait « écrasé les églises locales ». Heureusement que personne ne l’a écouté. Il y avait du ressentiment là-dedans : tout le monde sait que ce jésuite avait été dépité de ne pas être lui-même monté sur le trône de Saint Pierre.
Certains anticléricaux ricanent sous cape et se demandent pourquoi le pape François va canoniser les papes Jean et Jean Paul, si de leur vivant et après leur mort, on les appelle sans exception, très saint père ou sa sainteté. D’autres vont jusqu’à parler de papolâtrie ou culte de la personnalité. Là, inutile d’ergoter, il y a fort à parier que les ennemis de la foi ne comprendront jamais rien à l’infaillibilité pontificale. Et on ne peut pas leur demander de s’agenouiller devant le représentant de dieu sur terre.
Mais tout de même, s’interrogent certains catholiques pratiquants, Jean Paul II n’en a-t-il pas trop fait avec les voyages, la télé et les JMJ. C’était un bon communicateur, ok. Il avait une expérience de comédien, mais l’évangélisation c’est pas la communication. Et bien, après avoir longuement réfléchi, je le dis, ceux-là sont des retardataires, des ennemis du progrès. Ce qu’il faut voir c’est que le pape n’a rien cédé sur le fond. Prenez le préservatif. A la différence de son successeur, Jean Paul II n’a jamais commis la maladresse de prononcer le mot devant des journalistes. En ajoutant que son usage n’était pas la solution du problème du sida en Afrique. Lui il a dit la même chose autrement. Il a répété partout que le remède au sida c’était la chasteté et la fidélité et ça n’a pas fait de vagues. L’interdiction de tous les moyens contraceptifs n’a pas été remise en cause. Interdiction dont il a lui-même réaffirmé qu’elle « a été inscrite par la main créatrice de dieu dans la nature de la personne humaines ». Si vous voulez mon avis, il ne faut pas mettre de l’eau dans son vin mais il n’est pas indispensable de servir du vinaigre pour faire croire que le vin est très ancien.
Une des critiques les plus fréquentes vient de la gauche. Jean Paul II a été anticommuniste. La théologie de la libération, il l’a enterrée et en a de toutes ses forces encouragé les ennemis les plus intransigeants : l’Opus dei, il en a canonisé le fondateur. Et le créateur des Légionnaires du Christ, un prêtre mexicain très combatif, soit disant héroïnomane, il ne l’a jamais lâché non plus. Y compris quand d’anciens séminaristes ou ses propres enfants ont osé raconter qu’ils avaient été violés par lui. Mais je vous le demande, si le chef suprême du clergé catholique n’avait pas défendu le monde libre et chacun de ses prêtres, qui l’aurait fait ? Dans les pays de l’est, quand elle voulait abattre les curés qui gênaient le pouvoir, la police avait pour habitude de leur coller des affaires de mœurs sur le dos. Fallait-il prendre ces accusations pour argent comptant ?
C’est comme pour le soit disant scandale des prêtres pédophiles. Que n’a-t-on pas dit ? En 1997, notre saint père aurait demandé aux évêques Irlandais de faire remonter les informations directement à Rome plutôt que de les transmettre à la justice de leur pays. Un moment on a cru que Dublin allait rompre ses relations avec le Vatican au prétexte que les évêques et la curie auraient fait passer la réputation de l’église avant le châtiment des coupables.
En 2001, pour avoir sexuellement abusé de plusieurs mineurs, un prêtre français a été condamné à 18 ans de réclusion par un tribunal de la république. Accusé de l’avoir couvert, Mgr Pican, son évêque a écopé d’une peine de 3 mois de prison avec sursis et son courage aurait été salué par le cardinal romain en charge de ces affaires : «Je me réjouis d’avoir un confrère qui, … aura préféré la prison plutôt que de dénoncer son fils prêtre».
Aux Etats unis, selon les associations avides de compensations financières, plus de cent mille enfants auraient été victimes de leurs curés et aumôniers.
Et tout récemment, ce sont les Nations Unies qui ont accusé le Vatican d’avoir davantage protégé les prêtres violeurs que les enfants violés. C’est inimaginable et le bon pape François a eu raison de leur décocher une réponse définitive : « aucune institution n’a fait plus que nous »
Il en va de même pour le soit disant scandale de la banque du Vatican : qui sont ces donneurs de leçons ?
A supposer que dans ces affaires d’argent sale et de pédophilie, il y ait eu quelques lourdeurs bureaucratiques, il n’y avait là que de bonnes raisons et , je suis prêt à le concéder, une certaine naïveté : Jean Paul II était trop désintéressé pour s’occuper d’histoires d’argent, trop vertueux pour soupçonner un ami et surtout prêt à tout pour défendre la réputation de ses prêtres et les prérogatives du dieu qu’il représentait.
Rassurez-vous, je ne vais pas passer sous silence les dernières années du pontificat. En le voyant sur le point de succomber sous le poids de la maladie et de la souffrance, certains apôtres de l’estime de soi et de la joie de vivre, ont parlé de fierté mal placée, d’inhumanité, de masochisme, de mise en danger de la gouvernance de l’église. Franchement, ces accusations sont infâmantes, ce n’est pas parce que Benoit XVI a choisi de démissionner que Jean Paul II a eu tort de porter sa croix jusqu’au bout. Son amour de la souffrance, sa soumission à la seule volonté divine ont été exemplaires à force d’être héroïques.
J’oubliais : méconnue du grand public, la dévotion de Jean Paul II envers la vierge Marie a été exceptionnelle. Au chapelet qu’il récitait très souvent, il a ajouté de nouveaux mystères. Et il est allé à Fatima remercier la madone de lui avoir sauvé la vie. Plus que tout autre, ce pape aimait le peuple, sa piété, ses reliques et ses pèlerinages.
Défense et illustration de son trône pontifical, piété mariale, anticommunisme, culte des saints, protection du clergé, rejet de la pilule et de la capote, faible estime pour les lois votées par les élus du peuple, dolorisme, je n’ai qu’à m’incliner. Ce pape était tout à fait catholique.
J’aurais mieux fait de l’écouter ce bon peuple quand sur la place Saint Pierre, le jour des funérailles, il criait : santo subito. Ce qui veut dire : canonisation immédiate ! C’est de l’italien. Dans des temps plus reculés, on parlait latin et on disait Vox populi, vox dei.
Charles Condamines.
Auteur entre autres de « L’Eglise catholique au Chili : 1958 - 1976 » (Harmattan 1978) et de « Les chrétiens du Nicaragua » (Karthala, 1981 ), Charles Condamines est licencié en théologie catholique et docteur en sociologie politique.