À partir des images des caméras-piétons des gendarmes présents à la manifestation contre la méga-bassine de Sainte-Soline, le 25 mars 2023, les deux journaux livrent un nouveau témoignage cru de la triste réalité de ce qu’on appelle encore à tort en France le « maintien de l’ordre » : les forces armées censées assurer la sécurité de la population cherchent à blesser, mutiler, tuer les personnes qu’elles considèrent comme des ennemis de l’intérieur, et sont soutenues par toute la chaîne de commandement.
En d’autres termes : la police tue, elle aime ça, elle est là pour ça.
J’étais là-bas, dans les Deux-Sèvres, le jour où on voulait symboliquement occuper un gros trou pour protester contre la privatisation de l’eau et la mal-adaptation aux conséquences du changement climatique. Quand on a été accueilli·es par des milliers de tirs de grenades en quelques heures. Quand des camarades tombaient dans la boue frappé·es par des « balles de défense ». Quand ils ont tiré sur l’outarde, le gros oiseau en bois, projetant des éclats dans tous les sens. Quand pendant des jours, aux arguments scientifiques sur l’importance de ne pas mener à bien ces projets de méga-bassines, ministres comme éditorialistes opposaient systématiquement le mot « écoterrorisme ».
J’étais là-bas, et aujourd’hui simplement lire quelques-uns des échanges entre gendarmes rapportés dans l’enquête me fait trembler à nouveau de rage et de peur. Des copains dans le même cas se sont frottés aux images et regrettent. Je vais attendre un peu.
J’ai commencé à militer en 2018 et j’ai eu droit à ma petite part de violences policières : j’ai pris des coups de pieds et de matraques, des pschiiiit de lacrymo à bout portant, j’ai été traîné au sol (par les cheveux, une fois !) et j’ai eu une fois les doigts presque pétés (mais par la police allemande). Bien que rien de tout cela ne soit très agréable, ça n’est pas grand-chose — j’ai eu de la chance.
Je n’ai pas eu le crâne ouvert par une GM2L. Je n’ai pas perdu une main, un pied, un œil. Je n’ai pas eu la mâchoire fracassée, les dents pétées. Je n’ai pas été frappé ni violé au fond d’un commissariat. Je ne suis pas mort, ni d’un tir illégal de grenade, ni d’une balle dans la tête, ni écrasé sous le poids d’un flic.
J’ai eu de la chance, oui ; mais faut dire aussi que je ne subis ni racisme ni sexisme, et que je ne suis pas né dans un de ces endroits que la France a patiemment transformés en ghettos avant que les idéologues d’extrême droite ne les qualifient de « territoires perdus de la République ». Il faut le rappeler encore et encore : chaque coup de projecteur sur l’extrême violence de la police est bienvenu, mais pour chaque révélation sur la répression à Sainte-Soline ou lors du mouvement des Gilets jaunes il y a des dizaines de cas de violences dans les quartiers populaires qui resteront confidentiels. Certains, spectaculaires, reçoivent un peu d’attention, souvent grâce au travail acharné des familles, des militant·es, de la presse indépendante ; les autres seront oubliés, ne laissant que des vies brisées dans un pays qui s’en fout.
Voilà, c’est tout. Je ne suis ni journaliste ni scientifique, je ne vais pas produire d’analyse poussée sur les chiffres de l’IGGN ou de l’IGPN, expliquer les conséquences de l’action policière en France ni comparer celle-ci avec d’autres pays. Je ne suis rien d’autre qu’un militant et un citoyen, malade de la haine qui semble parfois animer toute l’action de l’État. Je vais observer, médusé, se dérouler la COP30 dans un monde qui doucement brûle en criminalisant les personnes qui donnent l’alerte ; je vais contempler les effets du racisme structurel et individuel dans une société fracturée. Et surtout je vais continuer à essayer d’agir où je peux avec des camarades, et d’être heureux autant que possible avec les personnes que j’aime — tout en me demandant : à quoi bon ?
article initialement publié ici : https://blog.de-lacom.be/2025-11-08-la-france-est-malade-de-ses-violences-policieres