Charles Henry Côté

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Billet de blog 20 février 2016

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Françafrique : la mystérieuse inertie judiciaire autour de l’affaire Vasarely

C’est à la faveur d’un revirement judiciaire inattendu qu’a été ravivé récemment un roman-feuilleton qui dure depuis près de vingt-cinq ans : la mystérieuse succession de l’artiste plasticien d’origine hongroise Victor Vasarely, connu comme le « père » de l’art optique.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En Novembre 2015, un arrêté en apparence anodin de la cour de cassation est venu annuler définitivement un arbitrage survenu douze ans auparavant qui condamnait le juriste Charles Debbash, l’accusant d’avoir détourné des fonds de la Fondation de Vasarely à son profit, en sa qualité de gestionnaire de la fondation éponyme.

Quelques mois avant cette décision de justice, Mediapart avait consacré un dossier très complet à cette interminable succession Vasarely, mettant en lumière querelles de familles, captation d’oeuvres d’art inestimables, et autres déchirements qu’un héritage potentiellement considérable peut occasionner. 

Or, bien qu’une information judiciaire a été ouverte en 2011, la justice se refuse désormais à enquêter sur cette mystérieuse affaire de succession où se mêlent batailles politiques souterraines, intermédiaires, et médias souvent parcellaires dans leur traitement de l’information.

Plus grave, aucun acte d’investigation n’a jamais été accompli et le troisième magistrat à hériter du dossier vient de rendre une ordonnance d’incompétence territoriale en décembre 2015.

En clair, dès qu’il s’agit d’Afrique, et plus précisément de Françafrique, la justice adopte souvent la stratégie de l’autruche, ne voulant probablement pas plonger la main dans un dossiers aux ramifications politiques multiples.

Proche du défunt Jacques Foccart -grand manitou des relations entre Paris et l’Afrique pendant près de trente ans- ancien membre du cabinet de Valéry Giscard D’Estaing, Debbasch est un personnage un peu inclassable dans la marigot Françafricain.

Côté pile, il est longtemps considéré comme l’un des juristes les plus doués de sa génération. Spécialisé dans le droit administratif, il est élu doyen de la faculté de droit d’Aix Marseille en 1970, à tout juste 33 ans, avant de devenir Président de l’université, ce qui lui vaudra d’être le gestionnaire de la succession de Victor Vasarely. Côté face, Debbash est également connu pour être l’un des spécialistes de la « haute couture » constitutionnelle africaine , intervenant sur les textes fondamentaux tunisiens, gabonais, congolais, et bien entendu, togolais… Il devient ainsi au début des années 90 le conseiller attitré du général Eyadéma,  sur demande de Foccart. A ce titre, il « déverrouillera » la constitution pour permettre à l’actuel Président de se représenter à trois reprises pour la magistrature suprême sans limitation de cumul des mandats.

Sur fond de guerres des tranchées entre Balladuriens et Chiraquiens, d’intérêts économiques de la France au Togo, et de batailles personnelles autour de la succession de l’artiste, apparaît en filigrane un jeu de pouvoir trouble, qui met en lumière de probables dysfonctionnements judiciaires, des pressions politiques, voire de gros intérêts financiers.

Au cours des années 90, la famille Vasarely va en effet sonner à toutes les portes et tout faire pour empêcher les gestionnaires de la fondation – et donc Debbasch- d’administrer les œuvres du maîtres, estimant qu’il s’agissait d’une captation d’héritage. Parmi les personnalités touchées, et qui leur ont accordé leur soutien, un certain… Alain Juppé, alors secrétaire général du RPR. Ce dernier, dans un courrier daté du 15 mars 1993, affirme que « dès la formation du nouveau gouvernement, je saisirais les ministres de l’intérieur et de la culture de l’affaire ».

Illustration 1
Extrait courrier Alain Juppé
Courrier Alain Juppé à Vasarely (pdf, 527.3 kB)

A la suite de cette intervention, une réunion interministérielle est effectivement convoquée au sujet de l'affaire Vasarely au cours du dernier trimestre de l'année 1993. Sur cette mystérieuse réunion, rien ne filtre, la justice à travers la commission d’accès aux document administratifs (CADA) ayant refusé de communiquer la liste des destinataires de la convocation et l'ordre du jour de cette réunion , invoquant le « secret des délibérations du gouvernement.»

Cette affaire n’est donc pas sans poser quelques problèmes qui font écho à mon papier précédent sur la relation compliquée qu’entretient la France avec ses anciennes colonies africaines .

Dans le cas d’espèce, l’un des derniers « sorciers blancs » de la Françafrique se voit privé d’un traitement judiciaire équitable dans son pays d’origine, vraisemblablement parce qu’il est considéré comme « sulfureux » par une partie de la classe politique. Qu’est ce qui doit donc primer ? Un jugement moral ou l’équité devant la justice ?

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