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Billet de blog 1 mars 2019

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Gilets jaunes et comm’ gouvernementale

Les « médias d’information » sont une arme primordiale dans le combat que mène le régime contre les GJ. Pendant longtemps les GJ sont restés relativement désarmés face aux méthodes adoptées. Une meilleure compréhension de leur part est en train de se mettre en place, neutralisant peu à peu la portée de cette arme. Reste la barrière des mots pour écarter les sympathisant potentiels.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Arc de Triomphe, violence, quenelle, salafiste, Finkelkraut, Décathlon: autant de « sujets » longuement mis à la une par les médias dans le but de parvenir à cliver, fracturer le mouvement des GJ. Le pari de cette "arme" est qu’à chaque nouvelle polémique, une petite partie des GJ ne se sentant pas en phase avec le gros de l’opinion partagée, prenne ses distances. Peu à peu, une érosion est donc possible, si tant est toutefois que l’évaporation soit définitive, ce qui n’a rien de certain, car à cette évaporation s’oppose une force permanente d’agrégation alimentée d’une part par les affaires (Benalla, lois scélérates, …) et par les phrases méprisantes (dont la visée --contre-productive ici-- est en fait tout autre, voir en fin d'article).

Pour contrer cette arme, il faut l’identifier, c’est à dire d’abord la cerner, la nommer. On commence à voir ainsi apparaître le concept de « sujet merdeux » (théorisé ici sur youtube). Un philosophe aurait peut-être pris plus de pincette avec le vocabulaire français pour nommer le concept, mais ici nous somme dans le peuple, acceptons donc ce vocable, qui évoluera peut-être (shit news?). L'important est de nommer pour d'une part donner un statut à l'objet et le théoriser, puis ensuite se servir de ce statut accepté pour rendre l'arme inoffensive.

L'objet n'appartient clairement pas à la catégorie de la fake news, ni à la propagande, ni à l'écran de fumée, et ne fait que très vaguement voisiner avec la sphère du complot en ce sens que c'est une info qui avance cachée, car son but n'est pas directement dans son contenu, mais dans le clivage qu'elle engendre. Il est important de bien délimiter les différences avec ces autres concepts pour éviter de générer en plus des polémiques internes aux GJ sur la question de savoir si un nouveau sujet est un "sujet merdeux" ou non. La stratégie de défense, c'est que si un sujet est nommé, étiqueté "sujet merdeux", alors il faut l'esquiver en n'en parlant pas, tout simplement, afin d'éviter la propagation de la ligne de fracture dans le mouvement. Encore une fois le mot évaporation utilisé ci-dessus est sans doute plus propre que celui de fracture. Un individu qui s'évapore du mouvement ne le fait pas forcément avec fracas dans un conflit frontal suite à une discussion animée sur un rond point, l'évaporation se produira plutôt de façon individuelle, invisible, anonyme à la suite de la lecture de tel ou tel élément derrière un écran. Le régime vise maintenant davantage l'évaporation que le clivage puisque les ronds points ont été largement décimés et que le débat s'installe donc majoritairement sur les réseaux.

Un très bon marqueur du statut "sujet merdeux" est la disproportion du traitement médiatique. Là on est dans l'objectivité: comparer les heures de polémique sur Finkelkraut et son salafiste, et les 15 secondes montre en main sur la libération de Benalla, noyée au beau milieu du JT de 20h ce jour-là sur TF1. Pourtant quel sujet est le plus d'intérêt public ? Jojo-le-GJ ne représente rien, pourquoi donc gloser des heures sur les mots qu'il a choisis pour son insulte (sale juif ou sale sioniste) ? Benalla-aux-9-chefs-d'accusation représente ce qu'il y a de plus élevé dans la république (l'entourage présidentiel)  et le traitement judiciaire de ses turpitudes ne mérite même pas de figurer dans les titres du JT ? Nous sommes ici dans le palpable, pas dans l'interprétation, pas dans le complot. Le "sujet merdeux" est donc clairement identifiable avec un consensus aisé à obtenir, une fois le concept bien défini.

Cette stratégie de défense contre les "sujets merdeux", reposant sur l'imposition acceptée d'un couvercle de silence sur la news ainsi étiquetée ne fonctionne toutefois qu'à l'intérieur du mouvement lui-même, en évitant l'évaporation.  Mais au-delà, il y a deux grandes catégories (pour ne pas dire énormes) que la comm' doit aussi travailler: les sympathisants actuels, qu'il s'agit d'inciter à l'évaporation, et les sympathisants potentiels dont il s'agit de dissuader le ralliement. 

Les sympathisants actuels s'informent aussi bien sur les médias officiels que sur des médias non-officiels, ne serait-ce que pour essayer d'avoir deux sons de cloche. Lorsqu'ils s'informent via les médias alternatifs, ils sont susceptibles de comprendre le concept de "sujet merdeux" et d'en reconnaître la visée, donc de s'en immuniser. Pour ceux-là, la stratégie de défense consistant à nommer-et-taire peut fonctionner.

Les plus "dangereux" pour le régime sont de loin les sympathisant potentiels (notamment le peuple des banlieues, les agriculteurs, les défenseurs du climat, les étudiants...), la comm' du régime est donc très active envers ceux là, qui représentent des pans entiers de la société. Pour ceux-là, c'est le volet "petites phrases" qui est à l'oeuvre. Même si une petite phrase hérisse le noyau dur des 100000 ou 200000 GJ actuels, et le renforce dans sa détermination, elle possède un impact dissuasif sur des millions de ralliements potentiels, donc le bénéfice est sans commune mesure. C'est ce qui peut expliquer que la comm' du régime s'entête à produire ce qui en surface peut paraître le desservir, à savoir ce torrent de petites phrases.

Pour les banlieues, reconnaissons que le sujet est complexe, mais prenons l'exemple des agriculteurs, pour lequel la situation est plus simple. Les agriculteurs bien qu'horriblement maltraités par le régime, ont une conscience exceptionnellement élevée du caractère stratégique, voire sacré de leur métier, j'allais dire de leur mission. Ils ont plutôt le sentiment d'être "tout " que ne d'être "rien", même s'ils sont broyés par le système d'un point de vue financier, humain etc. Il n'y a aucune raison de supposer que ces agriculteurs s'informent sur les médias acquis au mouvement des GJ. Pour eux, qui ne voient le mouvement qu'au travers de ce que veux bien en donner à voir le régime, rallier le mouvement supposerait donc d'accepter de déchoir pour s'agréger à "ceux qui ne sont rien" alors qu'ils sont tout, à ceux qui "profitent" du chômage ou de la retraite alors qu'eux triment dur, etc. Ces mots et les petites phrases créent une barrière pour l'instant efficace pour des millions de personnes, et le prix à payer en terme de renforcement de la détermination des GJ actuels est moindre que le bénéfice; il est donc acceptable. D'où le paradoxe apparent des phrases méprisantes

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