Charles PRATS
Ex-magistrat de la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) au ministère du budget, ancien juge d'instruction, ancien inspecteur des douanes à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Vice-président chargé des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Paris, délégué au développement de l'Association Professionnelle des Magistrats et toujours attentif comme professionnel et comme citoyen à la lutte contre la fraude dans notre beau pays... A suivre sur Twitter @CharlesPrats
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Billet de blog 1 déc. 2018

Charles PRATS
Ex-magistrat de la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) au ministère du budget, ancien juge d'instruction, ancien inspecteur des douanes à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Vice-président chargé des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Paris, délégué au développement de l'Association Professionnelle des Magistrats et toujours attentif comme professionnel et comme citoyen à la lutte contre la fraude dans notre beau pays... A suivre sur Twitter @CharlesPrats
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Urgence #GiletsJaunes : 14 milliards d’€ demain en luttant contre la fraude sociale

Le mouvement des Gilets Jaunes traduit le ras-le-bol des français écrasés par les impôts et les taxes. Mais pour parvenir à les réduire, il est obligatoire de baisser les dépenses publiques. Un moyen d’y parvenir vite est de traiter - enfin - le problème de la fraude sociale documentaire : 14 milliard d’€ d’économies chaque année !

Charles PRATS
Ex-magistrat de la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) au ministère du budget, ancien juge d'instruction, ancien inspecteur des douanes à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Vice-président chargé des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Paris, délégué au développement de l'Association Professionnelle des Magistrats et toujours attentif comme professionnel et comme citoyen à la lutte contre la fraude dans notre beau pays... A suivre sur Twitter @CharlesPrats
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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les violences de la manifestation parisienne des Gilets Jaunes du 1er décembre, qui sont dues exactions de groupuscules bien identifiés et connus (les fameux « black blocks » et les milices d’extrême-gauche), doivent conduire à maintenant trouver tous les moyens de sortir de la crise avant que des drames coûteux en vies humaines ne surviennent.

Les véritables revendications initiales se concentrent sur une volonté des contribuables de voir baisser la pression fiscale. Pas de la voir répartie autrement, mais de la voir baisser réellement. Le travailleur qui n’arrive plus à payer son plein d’essence ne gagnera en effet rien à ce que le cadre supérieur paye plus d’impôts. Ce sont les taxes qui frappent ce travailleur qu’il faut parvenir à réduire.

Dans un contexte budgétaire tendu, seule une diminution drastique et rapide des dépenses publiques peut le permettre. Mais comment y arriver sans « en même temps » réduire le service rendu par les services publics ?

Et bien c’est possible si l’on utilise le levier de la lutte contre la fraude aux finances publiques. Et - plus rapidement qu’avec la lutte contre la fraude fiscale qui prend du temps - en utilisant le levier de la lutte contre la fraude sociale.

Un scoop très peu connu : 1,8 million de « numéros de Sécu » frauduleux non traités depuis 2012, soit un enjeu de près de 14 milliards d’euros par an !

La fraude sociale atteint des sommets. 20,1 à 24,9 milliards d’euros par an de cotisations sociales éludées selon la Cour des comptes. Et aucun chiffre agrégé pour la fraude aux prestations sociales, dont les bonnes âmes du politiquement correct expliquent qu’elle n’est pas un sujet et qui justifient la prévalence de ces fraudes par l’existence de la fraude fiscale : la justification des turpitudes des uns par celles des autres, drôle de principe républicain quand des dizaines de milliards d’euros sont volés chaque année !

Les violences de la manifestation parisienne

Pourtant la branche famille de la sécurité sociale évaluait en 2013 à plus de1,3 milliard d’euros par an la fraude aux prestations qu’elle sert, étant précisé au surplus qu’elle ne qualifie pas de « fraude » l’ensemble de celles-ci.

Concernant la branche maladie, la seule évaluation sérieuse ayant été menée l’a été par un organisme européen (l’EHFCN) qui a chiffré la fraude annuelle à l'assurance maladie en France à 5,59% en 2010, soit 10,5 milliards d'euros, estimation réévaluée à 7,29% en 2011.

Soit 14 milliards d’euros de fraudes aux prestations maladie chaque année en France au regard des dépenses actuelles !

Ces données n’ont jamais été publiées par la Caisse nationale d’assurance maladie… dont les cadres financiers étaient pourtant à la tête de l’organisme européen qui les a publiés.

Nous n’avons pas de réelle vision globale non plus sur l’évaluation statistique des fraudes de la branche vieillesse de la sécurité sociale. Ni sur l’évaluation des fraudes aux régimes d’indemnisation du chômage, que la Cour des comptes évaluait à 2 milliards d’euros par an en 2010.

On sait néanmoins une chose : tous les ans les services de contrôle détectent réellement plus de fraudes aux prestations sociales (environ 530 M€ en 2015) que de fraudes aux cotisations (environ 480 M€ en 2015).

Le montant global des fraudes aux cotisations sociales étant estimé à près de 25 milliards d’euros par la Cour des comptes, quelles sont les conclusions – évidentes - sur le montant réel des fraudes aux prestations sociales non détectées qu’il faut rationnellement en tirer sachant qu’il y a beaucoup plus de contrôleurs sur le terrain qui luttent contre le travail au noir que contre les fraudes aux prestations ?

Mais surtout le système français de protection sociale est gangréné par la fraude aux faux documents.

En 2010, nous avons en effet découvert une fraude massive à l’immatriculation dans notre système social : des fraudeurs obtiennent très facilement des numéros d’identification au répertoire (le NIR, c’est-à-dire le numéro de sécurité sociale) sur la base de faux documents.

Si vous êtes nés en France, que vous soyez français ou étranger, votre « numéro de Sécu » est attribué par l’INSEE selon votre sexe, année de naissance, mois de naissance, département et commune de naissance, et l’ordre d’inscription sur le registre d’état civil. En revanche, si vous êtes nés à l’étranger, que vous soyez français ou de nationalité étrangère, ce numéro de sécu doit être attribué « manuellement » par l’INSEE, qui a délégué cette mission à la Caisse nationale d’assurance vieillesse qui procède aux vérifications des documents transmis – titres d’identité, actes de naissance, etc. – avant de procéder à l’immatriculation des demandeurs.

La fraude est alors assez simple : il suffit de solliciter l’attribution d’un numéro de sécurité sociale sur la base de faux actes de naissance ou de faux titres d’identité par exemple. Voire même d’obtenir plusieurs NIR avec de multiples identités, sachant que le NIR « certifié » par les organismes de sécurité sociale est la clé d’entrée dans le système social français, le « Sésame paye-moi » les prestations, certes pas toujours suffisant mais évidemment nécessaire.

Prévenus de l’existence de cette fraude, la DNLF et le service national anti-fraude documentaire de la police ont procédé à une évaluation de son ampleur en 2011. Et le constat fut catastrophique : 10,4% des numéros de sécu attribués sur la base de cette procédure l’avaient été sur le fondement de faux, soit 1,8 millions de NIR frauduleux ! Sur la base de la dépense moyenne de sécurité sociale pour presque 66 millions d'individus, cela représenterait chaque année un enjeu potentiel de près de 14 milliards d’euros de dépenses sociales (RSA, allocations, assurance maladie, etc.) au profit des fraudeurs si ceux-ci passent tous effectivement au guichet. Plus que le trou de la sécu !

Traitant immédiatement le problème sur alerte de la DNLF, le gouvernement  fait voter fin 2011 dans la loi de financement de la sécurité sociale une disposition qui suspendait immédiatement le paiement de toute prestation sociale aux personnes ayant obtenu une attribution frauduleuse d’un  numéro de sécurité sociale. Dans le même temps, un projet de décret était préparé à sa signature pour sécuriser le processus d’immatriculation sociale, décret qui n’aura pas le temps d’entrer en vigueur avant l’alternance de 2012 du fait des délais de convocation des divers organismes sociaux pour recueillir leur avis obligatoire. Le Conseil d'Etat avait validé en section sociale le texte modificatif le 9 mai 2012.

Mais la sécurisation est passée aux oubliettes depuis l'avènement du nouveau régime en mai 2012 et le nouveau code des relations entre le public et l'administration a fait l'impasse sur le travail réalisé : son nouvel article R.113-9 a repris la rédaction du texte qui laissait la porte ouverte aux fraudes alors même que la procédure avait été pratiquement menée à terme au moment de l'alternance.

Pire : plutôt que de s’attaquer à cette fraude massive, le dispositif législatif de lutte contre la fraude a été totalement neutralisé, au moins dans la branche maladie de la sécurité sociale. L’interdiction de la suspension de la prise en charge financière en matière de santé et maternité des personnes ayant escroqué le système à l'aide de faux documents a en effet été très discrètement introduite dans le code de la sécurité sociale par deux lois promulgées le 21 décembre 2015 et le 26 janvier 2016 !

Les fraudeurs peuvent donc frauder en paix dans ce domaine. Car depuis mai 2012, cette fraude n'est pas traitée : il faudrait bien sûr rechercher l’ensemble de ces fraudeurs dans les dossiers d'immatriculation de la sécurité sociale et les exclure de notre système de protection sociale comme le prévoit la loi de décembre 2011. Ce n’est pas fait. Et aujourd'hui, quand bien même ces recherches seraient faites, la nouvelle loi permet depuis janvier 2016 aux fraudeurs de continuer à bénéficier des prestations versées par la CNAM.

Le parlement s’etait inquiété de cette situation. Fin 2016 le gouvernement a été interrogé... et a reconnu que seuls 500 dossiers avaient fait l’objet depuis 2012 de demandes d’explications : 500 dossiers sur 1.800.000 dossiers potentiellement frauduleux !!! Seulement 500 dossiers traités sur 1,8 million 

Afin de répondre aux sollicitations des Gilets Jaunes, et plus globalement des français, le gouvernement dispose d’un levier immédiat : traiter la fraude sociale documentaire et arrêter de payer les prestations aux 1,8 million de personnes titulaires d’un numéro de sécurité sociale frauduleusement obtenu. Ce sont potentiellement 14 milliards d´euros de dépenses publiques en moins à redistribuer aux français !

Ainsi il sera possible de diminuer drastiquement les taxes sur les carburants, de rendre la CSG aux retraités, bref de répondre aux revendications des français sans pour autant dégrader les finances de la Nation.

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