Un préambule nécessaire
J’écris ces mots car j’ai un devoir d’expliquer le chemin par lequel je suis passé pour décider de mon abstention en seconde lecture sur le PLFSS. Initialement favorable à une opposition au texte, j’ai voté en cohérence avec le choix majoritaire de mon groupe et je veux expliciter les raisons de cette décision.
J’ai été élu sur la base d’une dynamique collective, alliant des gens, des acteurs de la société civile organisée et des forces politiques. Il y avait un cadre commun ; le projet du NFP mais aussi le mandat d’opposition au RN. Mes combats sont et resteront en phase avec ces mandats.
Ce projet on l’a porté pour gagner. Si nous sommes arrivés en tête, nous n’avons objectivement pas gagné et surtout nous n’avons pas le loisir de gouverner aujourd’hui. Sa mise en œuvre ne sera envisageable que si nous obtenons le pouvoir. Aujourd’hui, le NFP n’est pas au pouvoir, d’ailleurs le NFP n’est plus, à mon grand dam. Je continue à défendre cette union et ce projet, mais les ruptures entre ses composantes semblent si actées que j’en suis désespéré. Malheureusement, la priorité ne semble pas être à la réparation mais plutôt à la recherche des responsables.
Au moment du vote, il y a donc des raisons de voter contre un texte qui est loin d'être celui du NFP. Mais il y a aussi des raisons de s'abstenir sur un texte qui propose quelques avancées mais surtout limite la casse. (Points 3 et 4) La question est donc de savoir ce que chacun attend des élus aujourd'hui dans ce contexte politique. Notre fonctionnement politique ne va plus, je ne cesse de le dire, décourageant les gens et je l'avoue me décourageant parfois moi-même.
Ce fut des semaines de bataille en commission et dans l’hémicycle, des gains obtenus grâce à la mobilisation commune des composantes du NFP (du mieux qu’il soit possible), des défaites parfois liées à la désunion.
Je ne suis pas sûr d’avoir raison mais je voudrais qu’il me soit fait gré d’avoir construit un chemin (Point 2), mûri une réflexion et non cherché à sauver quoique ce soit (le gouvernement !) et voté en conscience pour ce qui me semblait le plus utile. Je peux comprendre le désaccord, la déception et même la colère, beaucoup moins la condamnation excessive, les accusations de traîtrise ou autre mots sympathiques car je n’aurais pas suivi la ligne (la seule qui serait juste). Pour être capable demain de transformer notre République, de gouverner, il nous faut a minima être capable de parler de nos désaccords pour les dépasser et non de classer définitivement les uns comme des bons et les autres comme des traîtres.
Disons-le aussi, tout ne se joue pas là avec ce vote du PLFSS que certains voudraient essentialiser (Point 5), et notamment le gouvernement. Pas de PLFSS = chaos !
Au-delà et sur le fond, je voudrais d’abord réaffirmer une idée centrale pour moi : je suis convaincu que la gestion de la sécurité sociale devrait être confiée aux partenaires sociaux, et pas au Parlement (Point 1).
1 - Défendre le rôle des partenaires sociaux : un principe constant
Historiquement, avant 1996, la gestion de la Sécurité sociale reposait sur les partenaires sociaux. Je reste convaincu que ce modèle fondé sur le dialogue social et la co-construction doit être réaffirmé. Le PLFSS, tel qu’il est devenu, affaibli depuis trop longtemps cette architecture. Ce constat demeure l’un de mes désaccords de fond avec la logique même de ce texte.
2 - Une position personnelle initialement opposée… mais un respect de la décision collective
Sur plusieurs points, en particulier le niveau insuffisant des recettes (j’ai voté contre cette partie), j’étais plutôt favorable à un vote contre. La position majoritaire arrêtée par mon groupe a été l’abstention. Dans certaines situations, il est essentiel de respecter la cohésion collective : nous combattons plus efficacement lorsque nous avançons ensemble. Mon abstention s’inscrit aussi dans cette solidarité politique.
Par transparence, il me paraît aussi nécessaire de préciser que j’étais à Londres pour un déplacement programmé depuis longtemps autour d’un de mes engagements, celui en faveur d’une politique d’accueil et d’asile digne de ce nom et contre la gestion désastreuse de nos frontières, notamment celle avec la Grande-Bretagne. Je n’ai donc pu suivre en direct les discussions au sein de mon groupe et je m’en suis d’autant plus remis à celles et ceux présent·es à ce moment-là. Même si le doute subsiste, je soutiens cette décision, pour les raisons qui suivent.
3 - Pourquoi l’abstention : éviter un scénario du pire, reconnaître certains gains
Un rejet pur et simple aurait conduit très probablement à un retour à la copie initiale du gouvernement, nettement plus défavorable. L’abstention n’est pas un soutien : c’est un choix responsable pour éviter une dégradation supplémentaire. Grâce au travail parlementaire, plusieurs avancées significatives ont été obtenues :
- +3,8 milliards d’euros sur l’ONDAM de plus que ce qui était prévu dans la copie initiale (proposée par le gouvernement), soit 8 milliards de plus que la version 2025, permettant d’assurer un financement plus réaliste de l’hôpital et de la médecine de ville, en ligne avec les alertes de la Cour des comptes sur l’évolution naturelle des dépenses de santé. C’est d’ailleurs pour cela que certains syndicats hospitaliers ou encore la Fédération Hospitalière de France appelaient à ne pas voter contre. Bien sûr, pour réparer l'hôpital nous ferions bien plus si nous étions en responsabilité.
- 1,5 milliard d’euros issus de la hausse de CSG sur les revenus du capital, une mesure de justice fiscale.
La mobilisation collective a permis de supprimer ou d’empêcher des mesures aux effets désastreux immédiats :
- Le gel des pensions de retraite et des prestations sociales (APL, AAH, minima sociaux).
- La désindexation des retraites, qui aurait appauvri durablement des millions de personnes.
- La hausse de la CSG pour les apprentis, le gel des barèmes, et la volonté de soumettre à cotisation les tickets restaurants et chèques vacances
- Le doublement des franchises médicales, mesure punitive et inefficace.
Ces mesures touchaient directement la vie quotidienne des Françaises et des Français. Mon vote n’a jamais été guidé par la peur ou par quelque pression que ce soit : si tel avait été le cas, je n’aurais pas voté contre les recettes qui sont pourtant passées à quelques voix.
Ces résultats sont aussi dus à la mobilisation de la société civile : syndicats et associations. À titre d'exemple, la CGT s’est félicité des nombreuses “horreurs” qui ont été supprimées du budget grâce à la mobilisation (la suppression de deux jours fériés dans le plan Bayrou, la désindexation des pensions de retraites jusqu’en 2030, le gel des prestations sociales, qui augmenteront donc de 1,4%...) ainsi que des quelques victoires arrachées : des élections pour la sécurité sociale des autrices et auteurs, un congé de naissance de deux mois à partir du 1er juillet 2026, un petit mieux pour la retraite des femmes ayant eu des enfants.
La CGT nous interroge aussi sur notre vote et je l’entends parfaitement. Elle nous intime d’agir encore plus fortement, en attaquant les mesures d’austérité du gouvernement et en faisant tout pour augmenter les moyens des services publics, des associations et des collectivités.
4 - Une copie insatisfaisante, impossible à soutenir, mais un vote contre aurait aggravé la situation
Le texte final reste loin d’être satisfaisant. Je ne peux ni ne veux le soutenir. Pour autant, un vote contre aurait eu pour conséquence de rétablir un texte initial encore plus brutal, voire l’usage d’ordonnances conduisant aux pires choix. Mon abstention n’est donc ni tiédeur, ni ambiguïté : c’est le choix d’éviter le pire sans renoncer à nos combats. Comme le pointe également la CGT, il reste des aspects de ce budget bien sûr très insatisfaisants et le combat va continuer :
- Le budget des hôpitaux qui, s’il a été augmenté de 4 Mds, reste insuffisant
- La tarification à l’acte (déjà catastrophique pour les hôpitaux) étendue au médico-social
- La taxation des mutuelles et complémentaires. Cela se traduira forcément par des augmentations de tarifs pour les salarié·es et les retraité·es.
- La limitation des arrêts maladie à 1 mois (15 jours dans le projet initial)
5 - Ne pas essentialiser ce vote : l’opposition continue
Ce vote ne doit être ni caricaturé en ralliement ni dramatisé comme un refus de combattre. Je rejette le chantage au chaos, mais je n’ai jamais laissé planer le moindre doute : mon opposition à la politique portée par M. Lecornu reste pleine et entière.
Il y a un nouveau vote ce mardi mais sur la même copie. J’écouterai les discussions au sein de mon groupe. Je lis et écoute les messages reçus (parfois menaçants mais j’écoute quand même) et je ne suis insensible à rien. Ce matin j’entendais la situation si difficile des agents du service hospitalier à Clocheville (les sujets ne sont pas liés qu’aux moyens mais bien sûr c’est un des enjeux majeurs). La question reste pleine et entière : qu’apporterait mon vote contre à ce stade ? Qu’apporterait mon abstention ?
A ce jour, je considère qu’entre 0 et 8 milliards, qu’entre le gel des pensions et leur évolution, qu’entre le doublement des franchises et le maintien de la franchise actuelle…, je choisis le moins pire. Je peux même le dire, il serait plus facile pour moi de voter contre en étant droit dans mes bottes, sans préoccupation des conséquences concrètes. Mais voilà, ce n'est pas ma culture politique. Mon combat c’est la vie des gens, celle-ci est pour beaucoup bien difficile.
La bataille se poursuit et notamment avec les débats à venir sur le projet de loi de finances. Là aucune avancée n’a été possible sur les recettes, les financements supplémentaires du PLFSS appelant même à être compensés dans la loi de finances. Je combattrai avec force ce budget.