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Billet de blog 9 avril 2018

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L’amaxophobie ou la peur «interdite» de conduire

Il est des phobies qui sont relativement bien acceptées dans la société: c’est le cas par exemple de la phobie de l’avion, des araignées ou encore de la foule. Ce n’est pas le cas de la phobie de la conduite.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Oui j’ai mon permis, mais j’ai peur de conduire ». Le blanc qui suit cette déclaration est presque toujours le même. Un mélange de pitié, d’incompréhension et de soulagement. Pitié, parce que quand même c’est sacrément embêtant au quotidien. Incompréhension, parce que quand même ce n’est pas si difficile de rouler. Soulagement parce que quand même heureusement que ça ne m’est pas arrivé.

J’ai commencé les cours d’autoécole à 18 ans et deux mois. Papa avait dit « passe ton permis, ça te servira toute ta vie ». J’ai obéi. Arrivée dans la voiture, l’énumération des différentes pédales et vitesses a fait monter la première vague de panique : personne ne m’avait jamais expliqué que c’était si difficile. La seconde ne s’est pas fait attendre, le moniteur hurlant dès la première sortie sur la route que je ne serais jamais capable de conduire. Déclaration traumatisante d’un professeur inconscient ou prémonition d’un pédagogue expérimenté ? Personne ne le saura. Suite à cet épisode, le changement d’autoécole fut un réel soulagement qui me permit d’obtenir le précieux sésame à 19 ans et deux mois. Du premier coup. Contre toute attente.

Sauf que, depuis ce jour de janvier 2009, jamais la peur ne m’a quittée en prenant le volant. Pas un seul instant où je ne me demande si je ne vais pas tuer quelqu’un la seconde d’après ou même seulement réussir à gérer un imprévu. Chaque expédition en voiture s’accompagne de sueur, tremblements, battements de cœur incontrôlés. Même quand il m’arrivait de conduire plusieurs fois par semaine. Avec les années, les symptômes se sont aggravés et mes stratégies d’évitement de plus en plus développées – je suis capable de faire un trajet en train de 3h pour éviter une demi-heure au volant. Jusqu’à ne plus le prendre. Le tout sans oser en parler à mes proches ou alors en prétextant « ne pas aimer cela ». Qui aurait compris l’étendue de mon mal-être ?

Il y a quelques mois, mon arrivée dans une nouvelle ville a coïncidé avec la nécessité de reprendre la conduite. Toutefois, des trajets « test » se sont achevés en crises de panique. La phobie que j’avais réussi à surmonter les premières années avait pris le dessus. C’est à ce moment que j’ai commencé à me renseigner. Et quelle ne fut pas ma surprise de constater que mon mal avait un nom et que je n’étais pas la seule à en souffrir – même s’il touche surtout les femmes. Cela s’appelle l’amaxophobie et se définit comme une peur excessive, exagérée et irrationnelle de conduire un véhicule (par exemple une voiture) ou même d'être seulement présent à l'intérieur de celui-ci. 

Découvrir que ma phobie était connue, avait un nom et concernait d’autres personnes m’a soulagée d’un grand poids. Ainsi, je n’étais pas complètement folle, pas complètement incapable (ou du moins pas autant que je le croyais) et mon mal pouvait même se soigner.

J’ai donc commencé une thérapie pour essayer de comprendre l’origine de cette peur et de la surmonter. Je n’en suis qu’aux prémisses et le chemin sera long. Long pour comprendre pourquoi je deviens quelqu’un d’autre, presque une enfant, quand je prends le volant, mais aussi pour réussir à faire face à ce serpent et à le dominer. Pour l’instant, je n’ai pas encore été capable de redémarrer la voiture mais j’apprends à faire mienne la place de conducteur. Et surtout, j’en ai parlé autour de moi. Alors certes, les gens ne comprennent pas vraiment, mais au moins je ne fais plus semblant.

Vous qui me lisez et qui vous mettez au volant sans y penser, savourez votre chance, car ce geste est loin d’être anodin pour tous.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.