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Etre animée de bonnes intentions ne me suffit pas...

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Billet de blog 3 janvier 2014

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Tintamarre rue du Moulin Malin

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les rues de la Planète Lotus sont susceptibles. Elles ont des lubies, des états d’âme. D’ailleurs, leur nom de rue raconte le caractère de l’endroit. Il y a la Rue des Méandres, qui s’amuse à changer constamment sa topologie, virant à droite, virant à gauche, se maquillant d’un rond-point quand le cœur lui en dit. Il y a la Rue des Boursouflures, qui se couvre de cloques les jours de bouderie, au point que, même à pied, circuler devient un parcours du combattant. Il y a l’Avenue du Silence, sur laquelle parler haut et fort, c’est prendre le risque inconsidéré de se faire aspirer par la bouche d’égout qui s’ouvre sous vos pas. Il y a le Boulevard des Mal Tournés, qui donnerait le roulis à un géomètre, qui descend quand on croit monter et qui grimpe si l’on pense descendre, qui vous jette contre un mur quand vous croyez doubler, bref, un boulevard criminel. Il y a la Nationale des Arbres à Came, bordée de feuillus inconnus sur terre, qui fument de la férociboulette(1), qui traversent sans regarder, qui font la fête avec certains vents et qui chantent du gospel pour louer Dieu Taquin…

Une fois, une rue, nommée la Rue du Moulin Malin, se prit soudain de dédain pour sa plaque et ses occupants. Les semaines, puis les années filaient et nul ne se rendait compte du malaise éprouvé par cette voie qui ne trouvait plus sa voix dans la cacophonie du quartier. Il faut dire qu’elle avait été déposée sans grand égard au beau milieu d’un espace chaotique surnommé par les habitants, « La Foire aux Mal Lotis ». Les Mots qui avaient choisi d’élire domicile de part et d’autre de ses trottoirs n’étaient pas reluisants, chafouins, torves et fourbes. Tout au début de la rue, RODOMONTADE pérorait sans cesse, guettant le promeneur afin de l’assaillir de ses fanfaronnades, toujours assis sur sa chaise devant sa porte, le verbe haut et la tenue débraillée. Un peu plus loin, un couple animait de ses incessantes scènes de ménage le quotidien déjà tumultueux de la petite communauté. Drôle de couple ! MAL et BAISER. Chacun revendiquait la préséance sur la plaque de la boîte aux lettres. MAL arguait qu’écrire MAL BAISER était plus élégant que BAISER MAL. Lequel BAISER n’était absolument pas de cet avis. Toute la rue pensait qu’ils feraient mieux de divorcer plutôt que s’insulter copieusement du matin au soir. Mais, comme dans toute relation fusionnelle, leurs disputes alimentaient leur amour passionné. Et puis, plus loin, le squat vrombissait d’un sinistre tapage, et empuantissait toute la rue. Les CHIASSE, RELENT et autres REMUGLE, brassaient à qui mieux mieux afin de parfumer l’ambiance. Ils avaient choisis de s’installer là, à cause du nom de la rue, pressentant qu’avec un patronyme pareil, les courants d’air devaient s’en donner à cœur joie.

La rue, malade de son odeur, fatiguée par le bruit et l’agitation, déprimée d’être à ce point malmenée, tombait en apathie. Elle eut une longue période d’abattement. Ses trottoirs se ratatinaient, ils ne dessinaient plus qu’une incertaine rive, et les maisons en profitaient pour déborder et s’étaler. Ses réverbères retournaient à l’état sauvage, préférant aller s’égayer dans la campagne plutôt qu’éclairer le passage. Ses pavés se déchaussaient comme de vieilles gencives négligées. Un matin elle se réveilla et horrifiée s’aperçut de son état de délabrement. Le choc fut tel qu’elle entra en rébellion. Mais avant de se lancer dans une quelconque action, elle pensa, longuement. Il fallait qu’elle trouve ce qu’elle souhaitait devenir. Il fallait qu’elle localise le quartier dans lequel elle désirait émigrer. Il fallait qu’elle s’organise. Elle se concocta une stratégie de développement personnel destinée à changer son destin. En tout premier lieu, elle se préoccupa de son aspect extérieur. A petites touches, elle se refit une beauté, reprenant ses courbes harmonieuses, rehaussant son maintien, nettoyant ses façades, se creusant d’astucieux caniveaux. Elle licencia toute la troupe de ses luminaires indomptables et militants, pour inviter une nouvelle génération plus docile, à éclairage économique et au design bucolique. Elle se para de bancs confortables et de jolies poubelles en forme de marguerites, jaunes comme le soleil, firent leur apparition çà et là. Enfin, elle se sentit fin prête pour lancer un grand tintamarre.

Un matin, elle lâcha Vent de Sable et Vent de Froid sur ses habitants. Ils s’en donnèrent à cœur joie, soulevant les toitures, malmenant les fenêtres, remuant les miasmes et les effluves. L’odeur devenait pestilentielle et envahissait les habitations. Les occupants tentaient bien de fuir leur logis. Mais Vent de Sable les cinglait dès qu’ils mettaient leur nez dehors, les aveuglait, les picotait, les fouettait. Ce fut comme si l’enfer se déchaînait. RODOMONTADE, d’habitude si bravache, prêt à clamer son courage et à vanter son allant se retrouva coupé en deux morceaux, RODO qui se mit derechef à la quête de LPHE. Et MONTADE, pris dans l’œil d’un cyclone, la ramena désormais beaucoup moins puisqu’il fut, essoré par le cataclysme, transformé en DEMONTA. Il s’en fut sous d’autres latitudes porter sa verve douteuse. MAL pleura longtemps de retrouver son BAISER transformé en BRAIES. Quant à CHIASSE, il s’acquittait désormais de s’offrir des culs puisqu’il se fit CHAISES. RELENT perdit de l’air en perdant son R pour vivre désormais en tant que LENTE, et son orgueil de poux en pris un coup. REMUGLE regagna la terre de ses ancêtres bovins en gagnant le doux nom de MEUGLER.

La rue se sentait revivre, débarrassée des importuns qui la malmenaient depuis tant d’années. Elle entreprit de déménager dans le joli et tranquille quartier des Mollets de Coqs. Princesse Lotus accepta de bonne grâce qu’elle prit désormais « rue du Moulin Joli » comme identité. La pose de la nouvelle plaque fut l’une des plus belles fêtes organisées de mémoire de MOTS. Depuis, elle vit, mignonne et soignée, dans son nouveau milieu, et se met en quatre pour attirer du beau monde. La rumeur murmure que PASSION envisage de s’installer chez elle.

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(1) - Férociboulette : Herbes aromatiques retournées à l'état sauvage et au caractère ombrageux.

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