Charlotte Entote (avatar)

Charlotte Entote

Etre animée de bonnes intentions ne me suffit pas...

Abonné·e de Mediapart

72 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 décembre 2013

Charlotte Entote (avatar)

Charlotte Entote

Etre animée de bonnes intentions ne me suffit pas...

Abonné·e de Mediapart

Du Yétibet...

Charlotte Entote (avatar)

Charlotte Entote

Etre animée de bonnes intentions ne me suffit pas...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le Yétibet était une région montagneuse, située dans l’Himalayack[1], culminant à des altitudes où l’oxygène se raréfiait notablement. Alors qu’une nature logique l’aurait peuplé de petits êtres aux poumons atrophiés, voilà que ce royaume abritait des yétis, sorte de grands primates poilus, plutôt débonnaires et très occupés par leur vie sociale. La taille moyenne du yéti variait, en système métrique, entre 2,25 mètres et 3,88 mètres. En système yéti, on ne connaissait pas l’étalon, ce qui faisait écrire aux chroniqueurs locaux des descriptions curieuses : « il est grand comme l’arbre à salami abattu par la tempête de l’an 52 du règne de Yétibère », ou encore « la demoiselle peut effleurer le plafond de son yétivoli avec sa houppe nuptiale ».

Ce pays, inconnu des hommes ou presque, comportait quatre régions : le Pourceaugnac, le Chevreaugnac, le Lapereaugnac et l’Arme-à-Gnac. Chacune de ces régions avait des caractéristiques sociologiques marquées. Le Pourceaugnac se consacrait essentiellement à l’élevage de zébulbes[2]. La mission du Chevreaugnac consistait à ramasser les zébulots dans les rivières, à cultiver le brouissaioli[3] et à fabriquer les farfeluths[4]. Le Lapereaugnac s’occupait, quant à lui, de la construction en dur, yétipis[5] et autres yétivolis[6]. L’Arme-à-Gnac était le siège du pouvoir, l’administration centrale, le bric-à-brac de l’état.

D’un point de vue historique, le Yétibet était une vieille civilisation, aussi vieille que le plissement herniaire qui avait créé les reliefs. Il n’avait pas toujours été un empire. Dans les temps d’avant l’histoire, de nombreuses escarmouches avaient opposé les yétis blanc-banal aux yétis blanc-rare, pour des raisons ethniques aussi vaseuses qu’idiotes. Le conseil des sages de l’an 483 après Yéthimus et Yétumulus[7] mit fin à ces querelles. Il institua l’empire héréditaire doté d’une constitution parlementaire. Mais le gouvernement restait compliqué, voire complexe.

Chacune des régions avait sa propre assemblée, votait ses lois, négociait ses échanges avec ses voisines. Le bien commun n’était jamais à l’ordre du jour, seuls les intérêts particuliers, les népotismes calculateurs motivaient les élus. En cela, le Yétibet était exceptionnel. Chacun sait que, sur le reste de la planète, ces travers des démocraties n’ont plus cours. Le Yétibet, isolé, ignorait que d’autres types de gouvernances étaient possibles.

Un empereur représentait le lien de la nation, mais à chaque décade yétibétaine, le peuple élisait un gouvernement qui remettait le pouvoir à un Présidense[8]. Évidemment, comme c’était l’usage, le Présidense abandonnait son nom de baptême pour un pseudonyme politique, et s’entourait de sa clique de moutontons[9]. Ainsi, quand Yétyran avait, enfin, après ruses et cajoleries, promesses et engagements, revêtu la ridiculotte du pouvoir, il avait pris le doux nom de Nictoplasme Razratis. Son action ayant été catastrophique pour le Yétibet, il avait dû laisser la place, chaude et fumante, à Yétidem qui se choisit le pseudonyme d’Anchois Morflande. D’ailleurs, Anchois était récurrent dans la généalogie des Présidenses. Déjà, Yétinox, à l’affût, envisageait de devenir Anchois Mignon. Il se prévalait de son expérience de moutonton de Nictoplasme Razratis.

Pour l’heure, Yétibère avait porté un projet de confédération des nations yétis, organisé les échanges au sein des territoires, mis en circulation une monnaie unique, le yétique, formalisé les règles de droit, de l’impôt, de l’éducation qui étaient sensées communes. Mais la nature du Yéti étant versatile, chacune des régions revendiquait une exception culturelle, des passe-droits, des avantages, qu’elle déniait aux autres. Si les yétis avaient connu l’Homme, ils se seraient sans doute inspirés de la douce bienveillance et de la collaboration inébranlable qui reliaient les nations humaines entre elles. Mais ils ne le connaissaient pas. À peine l’imaginaient-ils. Ils avaient parfois aperçu des petites choses hurlantes et terrifiées, portant d’immenses plaques tressées aux pieds, et qui détalaient à leur rencontre. Ils n’avaient pas compris qu’ils partageaient la terre avec une espèce vaguement cousine qui devait cuire sous le soleil des plaines. Et celles ou ceux qui évoquaient cette possibilité se faisaient traiter d’icônnards ou d’icônasses[10].

Pour faire bref, on était sous le règle de Yétibère, sous la Présidense d’Anchois Morflande, et la parole était monopolisée par la secte des bordélégués[11].


[1] Himalayack : Chaîne de montagnes pointues et pentues qui abrite le Yétibet.

[2] Zébulbe : animal des montagnes, repéré pour la dernière fois au Yétibet. Ruminant laineux équipé d'une infinité d'excroissances rondes tout le long de l'échine. Se nourrit de tortulipes. Met préféré des Yétis et souvent sacrifié lors des grandes fêtes rituelles.

[3] Broussaioli : Arbre à mayonnaise. Les morustiques préfèrent d'ailleurs les bottes de broussaioli aux bottes de foin.

[4] Farfeluth : Instrument de musique atypique, à cordes et dont le nombre est compris entre 1 et 1253. La caisse de résonance est en bois, mais on connaît des farfeluths en zinc. On raconte que Stradivariusufruit mena des recherches avec des matériaux comme le coton ou le marbre. Il n'a pas laissé d'écrits sur ses découvertes éventuelles. Le farfeluth possède un manche au minimum. À partir de 8 manches, l'instrument devenant compliqué à jouer, on parle de farfeluths à plusieurs mains. Ce qui caractérise cet objet, c'est son inutilité dans un orchestre symphonique. En effet, quelle que soit la manière dont il est joué, on n’est jamais certain de la note qui voudra bien s'envoler. Ce qui pose problème avec des partitions classiques.

[5] Yétipi : espace aménagé dédié à la consommation partagée d’arnicalumets.

[6] Yétivoli : Grotte aménagée pour les yétis qui ne vivent pas dans une ferme, afin de célébrer leurs mariages. Les yétis libidineufs et libidineuves installent souvent un coin yétivoli dans leur grotte personnelle.

[7] Yéthimus et Yétumulus (vers -225/-175 av. JC) : Jumeaux à qui la légende attribue la création du Yétibet. Ils auraient lancé chacun une boule de neige du haut d'un pic perchés, qui, prenant du volume, se seraient violemment entrechoquées au bout de quelques heures de roulade. Il en aurait résulté un gigantesque nuage de poudreuse qui, en retombant, aurait délimité les frontières du pays. On suppose que la Mairiche du Yétibet est située à l'exact emplacement du point d'impact.

[8] Présidense: Homme ou femme de pouvoir omnipotent qui occupe le devant de la scène avec un certain poids.

[9] Moutonton : Oncle qui ne contrarie jamais personne - sens figuré : certains collaborateurs des Présidenses de la république sont surnommés "Les moutontons du Présidense"...

[10] Icônnard, Icônasse : Lorsqu’un individu atteint au sublime quant à l’expression d’un regard particulièrement vide et d’une parole particulièrement creuse, qu’il faudrait élever un piédestal à ce vide, peindre un portrait de l’impétrant, alors, on peut le traiter d’icônnard ou d’icônasse (genré).

[11] Bordélégué : Grande gueule dans une multinationale. Le même terme peut être utilisé, certes de manière un tantinet abusive, quand le bordélégué est un yéti. En général, ce sont les réunions de yétivolis qui tiennent lieu de multinationale.

Le dictionnaire des mots valises


Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’auteur n’a pas autorisé les commentaires sur ce billet