25 février 2025
« Salut la Tanche, je t'écris de ton avenir. Et oui, c'est moi, enfin toi, en tanche senior. T'as seize ans de plus et des arêtes en moins. T'as de l'expérience à ne plus savoir qu'en dire et l'écaille qui se fait rare. Je ne vais pas te raconter ce temps qui nous sépare, oh ! Non ! Sinon tu n'auras pas la surprise, mais j'avais envie de te faire un signe. Juste pour imaginer ta tronche. Enfin, je la connais, ta tronche, parce que je me souviens du moment où j'ai reçu la lettre de moi que je suis en train de t'écrire. Je me rappelle même des mots. D'ailleurs, je la recopie, pour tout dire, puisque je l'ai gardée, ma lettre venue de l'avenir que j'ai rédigée soigneusement, le modèle sous les yeux.
Et c'est là que ça se corse. Je ne comprends pas comment une telle aventure peut arriver. J'ai beau tourner le paradoxe dans tous les sens, ça n'en a pas, de sens. Depuis ce jour où tu me lis, en ce moment donc, où je découvre cette bafouille, je me triture le neurone pour trouver un tourbillon de sortie à cette incroyable absurdité.
En effet, si je n'avais pas reçu, le 25 février 2009, cette lettre du 25 février 2025, comment aurais-je pu m'en inspirer pour t'écrire ? Mais alors, il a bien fallu que je la ponde une fois au moins, sinon, tu ne pourrais pas la contempler, la ranger soigneusement, pour que je la ressorte aujourd'hui.
T'y comprends quelque chose, toi ? Parce que moi, j'en perds mon latin. C'est simple, je ne sais pas à quel moment je l'ai écrite pour la première fois. Et puis, quand je l'ai reçue, il y a 16 ans, j'aurais pu la déchirer, la brûler, l'oublier. Et alors je ne pourrais pas m'en inspirer aujourd'hui. Du coup, cela voudrait dire que je ne l'aurais jamais rédigée au moins en exemplaire unique, alors j'ignorerais qu'elle existe... je me demande si je suis claire ? Bref, la Tanche, la vieille tanche que tu es devenue est dans la vase. Écrire ou ne pas écrire ? Envoyer ou ne pas envoyer ?
Bon, ben maintenant que je t'ai expliqué le cadre, j'en viens au problème. Il se trouve que ta vie va quand même être bouleversée par cette lettre. Je ne peux pas te dévoiler la manière, puisque si je t'en parle, tu risques, juste pour m'enquiquiner, de changer ton chapeau de porte-manteau. Et de changer mon destin. Sauf que, si tu ne tiens pas compte du fait que j'ai pu t'écrire du futur, et bien cela modifie également ton chemin. Tu piges, la sardine ? Parce que si tu ne te comportes pas comme je me suis moi-même comportée après ce jour, et bien toi et moi sommes dans la mouise. Il faut bien que se produise le moment où je me poserai et je prendrai ma plume. Nan ? Et pour cela, il n'y a qu'une seule route.
C'est maintenant que tu es face à ton destin. Tu tiens le monde entre tes mains, le temps n'étant pas conçu pour absorber les paradoxes. Tu es là, installée au fond de ton trou, tu regardes les algues qui occultent l'entrée, onduler au rythme lent du courant. Dehors, les brochets, qui serrent leur serviette sous la nageoire, s'activent, fébriles, et se précipitent vers leur bureau. Le saumon du troisième étage prend sa douche.
Et toi, tu réfléchis, tu as laissé tomber ma, ta lettre, sur le sable de la cuisine... »
La Tanche, ce 25 février là, fit la plus grosse bêtise de sa vie de tanche. Elle déchiqueta la lettre. Instantanément le marais disparut. A la place, il y eut un immeuble de trois étages, où cohabitaient de drôles de bestioles à deux pattes et à tête ronde et chevelue. L'une d'elle ouvrit une lettre. La dame, car c'était une dame, avait pris l'habitude d'écrire des histoires de Tanche. Mais elle fût bien ébahie quand elle lut les premiers mots de la missive.
25 février 2025
« Salut la Tanche, je t'écris de ton avenir. Et oui, c'est moi, enfin toi, en tanche senior. T'as seize ans de plus et des dents en moins. T'as de l'expérience à ne plus savoir qu'en dire et le cheveu qui se fait rare... »