Une femme lit, savoure, les histoires humoristiques de Stephen Leacock…
Leacock un écrivain canadien né en 1869 et mort à Toronto en 1944. Né dans un milieu bourgeois, Leacock commence des études de littérature avant de devenir instituteur. Il a, durant sa vie, écrit nombre de livres où l’humour fleurit, le plus célèbre étant « L’île de la tentation ». Des anecdotes, sur la toile, on en trouve en pagaille. Je ne m’étendrais donc pas sur ce sujet. J’ai juste voulu retenir deux phrases de ce prolixe auteur :
« La publicité, c'est la science de stopper l'intelligence humaine assez longtemps pour lui soutirer de l'argent. »
« On peut dire tout ce qu'on voudra sur la vieillesse. Ça vaut mieux que d'être mort.»
Ce livre de poche paru en 1963, je l’ai dégoté, il y a plus de trente ans, à Paris, dans une grande librairie du boulevard Saint-Michel, librairie qui offre au chineur nombre d’ouvrages quasiment introuvables. C’est un recueil de nouvelles, toutes plus originales les unes que les autres. On dirait presque une encyclopédie de la médiocrité ordinaire. Toutes ces nouvelles sont de petits bijoux, ciselés, qui inventent aussi bien d’ahurissants jeux pour s’occuper l’hiver que des maladies nouvelles du costume de rond-de cuir. Et je ne parle pas des conseils pour ne pas se marier ou encore des crises de panique à la banque d’un pauvre homme. Bien écrit, se lisant facilement, cet ouvrage est à déguster, petit morceau par petit morceau. On le trouve encore en achat d’occasion.
Mise en bouche… Une nouvelle nourriture
J’apprends par les journaux les plus récents que « le professeur Plumb de l’Université de Chicago vient d’inventer une nouvelle forme extrêmement concentrée de nourriture. Tous les éléments nutritifs y sont assemblés sous forme de granules dont chacun contient de cent à deux cents fois autant de substance nutritive que cent grammes de n’importe quel produit alimentaire normal. Ces granules, dilués dans de l’eau, fournissent tout ce qui est nécessaire au maintien de la vie. Le professeur envisage avec optimisme la révolution que ses travaux ne manqueront pas d’introduire dans le mode d’alimentation habituel ». Ce genre de chose est peut-être excellent à sa manière, mais il ne manquera pas de comporter quelques inconvénients. Dans le brillant avenir que le professeur Plumb considère avec optimisme, on peut très bien envisager des incidents comme celui-ci :
La famille souriante était rassemblée autour de la table. La chère abondante se présentait sous la forme d’une assiette à soupe devant chacun des enfants rayonnants, une bouilloire remplie d’eau bouillante devant la maman radieuse, et tout au bout, le dîner de Noël de ce foyer heureux, chaudement recouvert d’un dé à coudre et reposant sur un jeton de poker. Les chuchotements d’impatience des petits s’apaisèrent quand le père de famille se leva de sa chaise, souleva le dé à coudre pour découvrir la petite pilule d’aliments concentrés sur le jeton devant lui. La dinde de Noël, la sauce aux airelles, le plum pudding, le mince pie, tout y était, le tout concentré en cette pilule minuscule et n’attendant que de grossir. Puis, avec le plus grand respect, le père, son œil voyageant de l’aliment concentré au ciel, éleva la voix pour prononcer le bénédicité. À ce moment, cri d’angoisse de la mère. " Oh ! Henry, vite ! Bébé a attrapé les pilules. ". Ce n’était que trop vrai. Le cher petit Gustavus-Adolphus, le cher petit enfançon blond, avait saisi le dîner entier sur le jeton de poker, l’avait avalé tout entier. Trois cent cinquante livres de ravitaillement concentré descendaient dans l’œsophage du petit imprévoyant. « Tape-lui dans le dos, cria la mère aux abois, donne-lui à boire ». Idée fatale. Tombant sur la pilule, l’eau fit se dilater cette dernière. Il y eut un grondement sourd, suivi d’une terrible détonation. Gustavus-Adolphus éclata en morceaux.
Et quand on rassembla le petit corps, les lèvres du bébé s’éclairaient d’un sourire de bonheur que ne pouvaient refléter que les traits d’un enfant ayant avalé treize dîners de Noël.