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Billet de blog 21 novembre 2013

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Les bouquets de Madame Beldi

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Madame Beldi était une petite bonne femme replète et avenante. Elle tenait une minuscule boutique de fleurs dans un coin de ville, une des dernières boutiques de fleurs. Il y avait bien longtemps déjà que l’asparagus, la capucine ou le cœur de Marie avaient déserté les bouquets. On ne voyait désormais, aux gondoles de marchés hypertrophiés, que des tulipes, des roses et des œillets, agrémentés parfois d’un feuillage rachitique.

Madame Beldi, elle, prenait le temps de composer des arrangements aux couleurs des saisons. Elle mariait l’ourlet de la rose au rose de l’œillet. Elle racontait des histoires usant du langage poétique des fleurs. Elle avait ses habitués qui venaient chercher l’éphémère beauté d’un serment camouflé.

Chaque matin, elle rédigeait ses petits messages du jour… Quand elle mariait l’acacia jaune et la glycine, elle murmurait : « Je m’accroche à vous, amour secret ». Puis elle patientait. Venait l’acheteur ou l’acheteuse. Et, selon le minois, elle imaginait l’histoire de cet amour secret.

À chaque heure, entre deux clients, elle façonnait une archéologie des sentiments en tressant les feuilles et les pétales, en relevant le blanc de vierge avec le rouge ardent. L’aubépine et la marguerite chuchotaient l’espoir de l’innocence. Parfois, quand entrait dans sa boutique une personne qui la figeait, elle lui tendait, en guise d’accueil, une branche de cristalline. C’était sa façon de lui dire : « votre regard me glace ».

Depuis quelques années, il y avait, tout à côté des pots, ces biches à lait qu’elle avait peintes de frises naïves et où elle disposait ses fleurs en brassées, assise à même le sol, une mendiante défaite, abimée. Souvent, Madame Beldi, en quittant sa boutique après sa journée, lui tendait quelques fleurs. Elle aurait bien voulu faire mieux, aligner quelques piécettes, mais les temps étaient difficiles. Elle comptait chaque sou pour que ne meurre pas sa petite entreprise. Elle se racontait, pour se consoler que, malgré la pauvreté et le dénuement, chacun avait droit au bégonia, pour la pensée sincère, ou à la pervenche bleue pour l’amitié naissante.

Elle n’avait pas beaucoup de mots, la replète Madame Beldi, mais elle avait la symbolique fleurie. Tant, qu’elle offrit pendant des années des fleurs de pêchers à l’instituteur du premier. Mais jamais le garçon ne compris qu’elle lui criait : « je suis votre prisonnière ». Un jour, il partit. Alors, elle resta seule, s’enroba doucement, jusqu’à cet aspect moelleux que le quartier lui connaissait.

Chaque lundi elle se rendait chez son fournisseur pour choisir ses brassées. Elle prenait un car qui l’emmenait dans la campagne. C’est qu’elle se vantait d’être la dernière fleuriste qui s’approvisionnait dans le coin. Une fois, elle avait vu une émission sur la vieille télé qui trônait en bonne place dans l’arrière-boutique. Le reportage racontait comment le Sénégal, peu à peu, remplaçait ses cultures vivrières pour jardiner les bouquets qui fleuriraient les tables européennes. Elle avait été outrée ! Les roses ne se mangent pas. Elle savait bien que les salaires de misère ne permettraient pas d’acheter le riz ou le blé. Alors elle s’était juré, même si elle devait vivoter, de ne pas participer à cette malfaisance.

Ce qu’elle ignorait, Madame Beldi, c’est que les jolies serres de son fournisseur n’étaient là que pour la galerie. Et que, vingt kilomètres plus loin, il avait un bel entrepôt climatisé où il stockait les fleurs qu’il importait… du Sénégal.

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