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Billet de blog 19 juin 2024

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Tu as tout pour être heureuse

J'ai choisi d’écrire ces quelques lignes parce qu’elles sont le cri violent qui brise le silence, elles sont ce besoin compulsif de déposer, de rassembler, de comprendre, elles sont la trace d’une histoire si singulière et si banale à la fois, elles rejoignent le flot de la dénonciation pour changer un monde dans lequel les rapports de domination détruisent massivement l’être vivant.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Du coup, peut-être qu’on peut revenir sur ta blessure ? Tu peux me redire comment tu t’es rendue compte, comment tu as pris conscience qu’il y avait abus ? A quel moment et dans quelles circonstances et … ?

En fait, tout ça, c’est très lié à mon histoire de famille. C’est le fonctionnement complètement déconnant de ma famille qui m’a mise en chemin pour faire une thérapie et qu’assez vite dans la thérapie, il y a ça qui est arrivé, enfin cette blessure qui est arrivée. En fait, je l’ai écrit, envoyé la lettre à la thérapeute et je l’ai faite lire la lettre à A, mon compagnon, avant de la poster.

Le déclencheur de ce chemin, c’est une violente dispute avec ma mère parce que je ne voulais plus jamais de ma vie qu’elle me parle comme ça et l’intuition que, peut-être, dans mon entourage, dans la jeune génération, des enfants étaient victimes, à leur tour, de violences sexuelles.

Un jour, je ne sais plus dans quel cadre, j’ai rencontré une victime et, ensemble, on se disait , que toutes les années avant de dire ces violences, on sait que c’est là, on sait que c’est arrivé, on sait que ce n’est pas oublié, que ce n’est pas inconscient et moi, je me disais « Oui, c’est là mais à la fois, ma vie est belle » et presqu’avec la conscience que, si je le disais, ça allait tout foutre en l’air. Donc j’ai réenfoui mais ça revenait de temps en temps.

*****

Une amie citait le fondateur d’un mouvement de développement personnel qui disait : « C’est, si le traumatisme empêche de vivre qu’il faut y prêter attention ».

Quand j’ai entendu cette citation, je me suis sentie très mal, j’ai ressenti une grande culpabilité avec l’impression de victimiser, d’aggraver mon cas, de ne pas être légitime à me sentir si « souffrante ».Il m’a fallu quelques jours, il a fallu que cette phrase tourne dans ma tête des centaines de fois pour pouvoir reformuler : « C’est parce qu’un évènement de ma vie m’empêche de vivre que je le nomme alors traumatisme. »

Et même d’aller plus loin : « Je peux penser ne pas avoir vécu un évènement de manière traumatisante et pourtant quand l’occasion se présente de mettre à jour cet évènement, de libérer les émotions qui y sont associées et de trouver les clés pour comprendre, je vis mieux, beaucoup mieux. C’est parce que je découvre que je vis mieux, que je découvre à quel point cet évènement entachait ma vie, à quel point cet évènement abîmait ma vie, à quel point cet évènement traumatisait ma vie. »

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C’était en quelle année la prise de conscience avec la thérapeute ?

J’ai vachement de mal avec les dates mais c’est quand nous sommes arrivés à T et ça fait douze ans que nous sommes à T. Mais c’est comme je ne sais pas l’âge auquel ça m’est arrivé. J’aurais les moyens de rechercher mais j’ai jamais fait.

Je te raconte les faits peut-être ?

Oui.

Mes parents avaient un très bon ami prêtre qui était âgé, qui s’appelle Robert C, qui est décédé. Il venait manger à la maison une fois par semaine. Assez vite, il m’a donné des cours de solfège, je me souviens, j’étais assise sur ces genoux. Mais, à ce moment-là, il n’y avait que ça. Et puis, mes parents l’ont invité à venir passer une semaine dans les Alpes et là, ça a été beaucoup plus loin que ça. Et moi, j’ai le souvenir que ça s’est produit trois fois sur ce séjour là...dont une fois, en présence de ma mère.

Dans la voiture ?

Oui et une fois en présence de mon petit frère. Bon, lui, il dit qu’il ne se souvient de rien. C’est possible qu’il n’ait rien vu, je ne sais pas.

Je ne sais pas si je dois t’en dire plus.

Euh...après, ça ne s’est pas reproduit, il me semble. Mais par contre, j’étais contrainte de continuer à le voir puisque je n’avais rien dit et que, pour mes parents, il ne s’était rien passé.

*****

Comment l’idée de « dire » aurait-elle pu arriver jusqu’à moi ?!

Dans ma famille, tout était établi pour que ça arrive, pour que ces violences sexuelles arrivent.

Ce n’est pas parce que je n’ai rien dit à mes parents que ces violences ont recommencé.

Ces violences ont continué parce que rencontrer cet homme était dans l’ordre de la normalité…

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Bien plus tard, je me souviens qu’il était en maison de retraite et que ma mère m’avait emmenée. J’avais passé une journée toute seule avec lui. Pourquoi, à ce moment là, il n’a rien fait ? Je ne sais pas. Peut-être parce que j’avais grandi, j’étais ado, je ne sais pas. Je sais qu’il avait des photos de moi aussi, c’était insupportable et je culpabilisais comme une malade en me disant « Quand il va mourir, les gens vont ranger ses affaires, ils vont tomber sur les photos de moi et ça va être horrible… »

Et puis, il est mort et j’ai été obligée d’aller à son enterrement, obligée parce que ça allait de soi pour mes parents, vu le lien qu’on avait eu, je devais y être.

Les cours de solfège, ça se passait chez toi ?

Non, chez lui, dans son bureau, au presbytère.

Il était le curé de votre paroisse ?

Non, il était vicaire.

C’était au titre de l’amitié avec tes parents qu’il venait chez vous, ce n’était pas parce qu’ils avaient des relations de paroisse.

Ils s’étaient connus par la paroisse.

Donc, tu allais chez lui suivre les cours de solfège ?

Oui.

Sur ses genoux ?

Oui.

Même ça, à l’époque, ça ne me semblait pas anormal...et mes parents n’ont jamais eu de réaction pour mettre de la distance ou me mettre en garde.

Mais il y a un monsieur, une fois, je me souviens, un monsieur dans la rue, j’étais avec ma mère, un monsieur âgé, à peu près le même âge que ce prêtre, qui me disait toujours bonjour.

Et, dans le bar-tabac, au coin de la rue de chez moi, il m’a pris dans ses bras, m’a soulevée pour que je regarde les cartes postales et ma mère était là, elle n’a rien dit. Et ce monsieur, il me donnait des bonbons et tout ça… ça aurait pu m’arriver quinze fois d’être la proie d’un prédateur sexuel, ou plus encore !

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C’était peut-être aussi une époque où on se méfiait moins ?

*****

Oui, c’est une époque où on se méfiait moins mais aujourd’hui encore, en 2023, les violences sexuelles existent, perdurent dans ma famille alors que l’ère de la dénonciation est enclenchée dans notre monde. Les violences sexuelles existent toujours parce qu’elles permettent d’entretenir un système familial de domination dans lequel il y a des bénéficiaires, auteurs de ces violences, et des victimes, victimes de ces violences, victimes d’une vie sans existence : ce système familial a un nom, il s’appelle l’inceste.

Je ressens, qu’au coeur de ce système, je suis venue au monde « pour être une victime », « pour être dominée ».

Je ressens, qu’au coeur de ce système, la règle du jeu fondamentale pour mes parents est de me livrer à ces violences.

Cette règle du jeu permet au système d’exister.

A des périodes où je prenais de la distance avec ma famille, où je refusais de les voir, j’avais ce sentiment très fort que j’allais leur manquer parce qu’ils n’auraient personne à opprimer, à écraser.

Quand j’éprouvais ce sentiment très fort, je n’avais pas encore identifié, nommé ce système.

J’avais mis à jour que j’avais été incestée par mon frère aîné.

Mais pour moi, c’était un fait isolé, ponctuel presqu’accidentel.

A cette époque, je n’avais pas perçu, soupçonné ce système tentaculaire de destruction massive.

C’est quand j’ai découvert, le 29 juin 2023, que mon père était auteur d’inceste, qu’avec l’aide et la présence de mon compagnon et nos enfants, j’ai rassemblé les pièces du puzzle, et j’ai vu apparaître tout ce qui se met en place pour maintenir une famille dans laquelle l’inceste se transmet de génération en génération.

Ce système est déjà transmis à la génération suivante, à la jeune génération.

L’inceste se transmet, de père en fils, silencieusement, dans les moindres détails de la vie, dans tout ce qui fait le quotidien.

L’inceste se transmet, de père en fils, sans faire de bruit, il se cache à travers les mots, à travers les habitudes, à travers les postures, à travers les gestes, à travers tout ce qui ne se voit pas, ne s’entend pas.

L’inceste n’est jamais un fait isolé : s’il y a un cas d’inceste dans une famille, il est de la responsabilité de la justice civile de chercher parce qu’il y a forcément d’autres auteurs, d’autres victimes.

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Alors, excuse-moi de te demander de raconter plus précisément ce qui s'est passé avec ce prêtre. C’est pour l’enquête. Moi, tu m’avais raconté, avant cet entretien, l'épisode dans la voiture qui était assez marquant avec ta mère devant.

Au volant, oui.

Et toi, tu étais derrière avec ce prêtre...tu m'avais raconté ça oui, je sais que c'est pas facile mais si tu peux le raconter à nouveau pour l’enquête.

Tu veux que je te dise quoi en fait, plus que ça ? Que je te raconte plus que ça ? Ou ça, avec mes mots ?

Oui avec tes mots, bien sûr.

On redescendait d’une station, c’était l’été, et je crois même que mon petit frère était derrière, avec nous. Ma mère conduisait et après, c’est difficile d’en dire plus

Et sinon, les autres fois, ce n’était pas dans la voiture ?

Non.

C’était dans la maison ?

Non, une autre fois, c’était au bord d’un petit torrent et une autre fois, sur la plage, donc lieu public.

Dans un lieu public ? Avec tes parents pas loin aussi ? Ah ouais, il y allait fort…

Ah oui, c’est incroyable !

Alors un peu, on était sur un ponton : tu vois, il y a la plage là, y’a une digue et puis il y a un ponton au bout de la digue et on était sur le ponton, donc on n’était pas au milieu de la plage.

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Et lui, il te disait des choses pour justifier ses actes ?

Rien du tout...il me disait pas de me taire, rien. Il ne me menaçait pas du tout, il ne justifiait rien.

La trace qu’il laisse en moi, c’est pas de la perversité...c’est un pauvre type qui savait pas quoi faire de ses frustrations et qui a trouvé une proie facile.

*****

Cet homme, ce prêtre, n’avait pas besoin de mettre en place des stratagèmes, pas besoin de me menacer, de faire du chantage, de me culpabiliser pour abuser de moi.

J’étais livrée par ma famille, livrée par mes parents.

Cet homme le savait, il le sentait, il était d’une extrême perversité.

Il y avait un consensus implicite, inconscient entre ces trois personnes : ce prêtre, mon père, ma mère.

Mes parents étaient présents quand cet homme abusait de moi, mon petit frère était là quand cet homme a abusé de moi, mon grand frère m’a incestée.

J’ai grandi dans une famille où chacun.e était soit complice, soit coupable.

Si j’avais alors perçu l’anormalité de ce qui se passait, si j’avais pu alors ressentir la douleur de mes blessures, je n’aurais trouvé aucun.e allié.e, personne ne m’aurait écouté, n’aurait pris soin de moi.

Il y a une quinzaine d’années, quand j’ai parlé de toutes ces blessures, c’est bien cela qui s’est révélé : aucune compassion, aucune affection, aucune empathie, aucun pardon...mais je n’étais alors plus seule, mon compagnon, nos enfants étaient là.

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Et par rapport à ta mère et ton sentiment que tu m’avais évoqué « Est-ce qu’elle a vu ? Pas vu ? »

Comment tu le traduirais dans tes mots ?

Je ne sais pas. Je lui ai dit que je pensais qu’elle avait vu . Elle m’a dit « Non, je n’ai rien vu. »

Je lui ai alors dit que « J’aurais aimé que tu vois et que tu me protèges ». Et je ne saurai jamais si elle a vu ou pas mais de toutes façons, c’est autorisé et de toutes façons, tu te tais et c’est comme ça.

Enfin, à quel moment tu as commencé à leur parler de ces blessures ?

J’ai vu une première thérapeute et j’ai arrêté avec elle et elle, elle ne m’invitait pas du tout à en parler et moi je sentais que...enfin, ça me semblait complètement inconcevable d’en parler à ma famille (de naissance). Mais de le dire à sa thérapeute, c’est presque fastoche !

Attends...toi, tu n’en as pas parlé enfant.

Non, du tout...ben non !!

Jusqu’à l’âge de ?

Mon âge moins...la première fois que j’en ai parlé, c’est à ma thérapeute et j’avais 35 ans. Et après, j’ai changé de thérapeute et là, elle m’a tout de suite dit « Le chemin qui reste à faire, c’est d’en parler à vos parents et à vos frères. »

Parce que j’ai été victime de ….d’inceste par mon grand frère. Je t’en avais parlé, non ?

Donc...je ne sais plus ce que je disais…

*****

Et ces thérapeutes ont toutes les deux eu une part essentielle dans mon bout de chemin. Mais la première avait une théorie selon laquelle il est important de dire ces violences sexuelles mais en parler à sa famille serait un besoin de reconnaissance, ça reviendrait à nourrir son égo.

La deuxième thérapeute, quand je lui racontais un fait incestueux, pouvait me dire qu’elle aussi avait joué au docteur avec sa fratrie, rien de bien anormal.

Quand je sais maintenant que jouer au docteur dans une fratrie n’existe pas, que ces soi disant jeux sont déjà de l’inceste,

Quand je sais que seule la parole et la dénonciation stoppent l’inceste dans sa transmission, je découvre à quel point le monde est à la merci de l’inceste.

Mes propres thérapeutes n’étaient pas en mesure de nommer l’inceste, d’en définir les contours, de mettre à jour les enjeux de ce système.

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Tu en as parlé à ta thérapeute…

Ah oui et elle m’a dit « Maintenant, le chemin, ça va être d’en parler à vos familles. »

Mais pour moi c’est juste pas possible !

Je crois que la première réaction, c’est « C’est pas possible parce qu’ils vont me massacrer. »

Après les résistances c ‘est « C’est juste pas possible parce qu’en fait, ça va détruire toute ma famille, séparer mes parents et tout ça... »

Et puis, après, ça devient une évidence qu’il faut en parler.

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Quand tu dis « en parler », tu avais lié les deux évènements … aussi l’inceste de ton grand frère, du coup ?

Oui. Tout dire.

En fait, j’ai écrit une lettre à mes parents que j’ai déposée dans leur boite aux lettres. Et là, c’était terrible parce qu’ils voulaient absolument me parler et moi, je ne voulais pas les voir. Et la thérapeute m’a beaucoup autorisé à prendre du temps et que, maintenant que cette étape était faite, j’avais le droit de souffler, de reprendre mes esprits et de, à nouveau me préparer à faire face à mes parents qui restaient très agressifs, dans l’accusation. Et donc là, il y a eu deux, trois années où je n’ai pas du tout vu ma famille. Et il y a des schémas hyper classiques, sur le moment je ne savais pas, mais qui se sont mis en place : ma mère me faisait passer pour folle, mes frères disaient à mon compagnon qu’ils s’inquiétaient pour ma santé mentale.

Dont ton grand frère ?

Oui...mais ça a été long entre le moment où j’en ai parlé à mes parents, où je leur ai écrit cette lettre et puis le moment où j’ai écrit à chacun de mes frères pour leur dire, donc eux, mes frères, ils l’ont su, un été je pense, un été où mes parents ont dû leur dire mais avec leurs mots à eux.

Quand j’en ai parlé avec mon grand frère, il m’a dit « Oui, papa et maman, ils ont dit que ce prêtre, il t’avait peut-être caressé la cuisse mais que c’était traumatisant. » Et je lui ai dit « Non mais il ne s’agit pas du tout de ça. Ce n’était pas du tout une main sur la cuisse ! C’était vraiment de la pédocriminalité. » Et donc, ils l’ont raconté avec des mots à eux à mes frères et je pense que ma mère a profité de ce long silence pour me faire un portrait : j’étais sans doute dépressive, folle, que je racontais n’importe quoi. Elle blindait le truc parce que, dans ce qu’ils ont raconté, ils n’ont pas raconté qu’elle était là. Par contre, quand j’ai écrit à mes frères, j’ai tout écrit : l’inceste, la pédocriminalité, le fait que ma mère était présente, que mon petit frère était présent.

Ça n’a rien décalé, ça n’a rien bougé. Moi qui avais peur que…

*****

Peur que ça détruise ma famille, peur que ça sépare mes parents.

Ce consensus implicite entre mes parents pour autoriser ces violences sexuelles, crée un lien très fort, probablement indestructible, ils ont certainement un très grand besoin de l’un et de l’autre.

Rien ne peut les séparer.

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Et ce n’est qu’au moment où je pose la dernière pièce du puzzle : mon père est un incesteur, que je peux admettre que mon père a également été présent quand ce prêtre a porté atteinte à ma pudeur, mon père était présent sur la plage.

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Mais attends, ton frère, il était accusé à ce moment là…

Oui...mon frère, […]

*****

Oui et alors...qu’est-ce que ça aurait pu changer ?

Mon grand frère est le bien-aimé, celui qui, dans la famille, dans la société, suscite l’admiration, la reconnaissance ; celui qui est toujours là pour écouter, aider, concilier, gâter…

Mon grand frère est familialement, socialement, irréprochable.

Il règne et rien n’entachera ce statut d’homme parfait.

Il règne et il est le garant de ce règne, ce qu’il met en place garantit que ce règne durera, qu’il peut agir en toute impunité.

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Et tu crois que cette expérience avec ce prêtre t’a fragilisée et t’a mise en difficulté face à ton frère ?

Je crois que, inconsciemment, dans la tête d’une petite fille, quand un homme porte atteinte à la pudeur, abuse et quand la mère est présente, c’est normal, ce qui se passe, c’est normal. Mais mon frère, ça s’est arrêté le jour où j’ai dit non et où il a été hyper violent : je me suis enfermée dans le cabinet de toilettes et mon frère, il a été hyper violent, il a failli défoncer la porte et tout ça et là, ça s’est arrêté. Donc, c’est quand même moi qui ait dit non.

Il y a donc ce paradoxe : dans la tête d’une petite fille quand ça se fait, je ne sais pas si ma mère a vu ou pas mais n’empêche qu’elle était là. Elle était là mais rien ne se passe, il n’y a pas d’adulte pour dire « Ça ne doit pas arriver, tu as le droit de dire non. ». Et puis, à la fois, on sent bien que ça nous fait du mal et que la situation n’est pas normale. Et avec mon frère, je devais avoir dix, douze ans, plutôt douze ans. Je n’étais plus une petite fille.

Donc fragilisée ? Oui, être à la merci des hommes et d’assouvir leurs désirs, c’était normal même si je n’étais pas en âge ou dans des situations d’être consentante. J’étais juste une victime.

*****

Dans cette famille, on sussure à mon oreille « tu as tout pour être heureuse »

Dans cette famille, on nie la pédocriminalité dans ma vie d’enfant.

Dans cette famille, on qualifie ce crime sexuel comme celui « qui fait du mal au nom de l’amour ».

Dans cette famille, on reconnaît la pédophilie dans ma vie d’enfant.

Nier la pédocriminalité ? Reconnaître la pédophilie ?

Mais il faut savoir ?!

Je sais qu’étymologiquement, le mot pédophilie signifie « qui aime les enfants ».

Je sais que la pédocriminalité n’a rien à voir avec l’amour.

Je sais qu’en persistant à utiliser le mot « pédophilie », on essaie de nous faire croire que ces crimes pourraient être animés par l’amour.

Je sais qu’une même personne peut reconnaître la pédophilie et nier la pédocriminalité.

Dans cette famille, on dénonce mon anormalité, acceptable « avec ce que tu as vécu ».

Dans cette famille, en se focalisant sur la « pédophilie », on détourne mon attention de la clé de voûte familiale, cette architecture incestueuse – on fait oublier que l’inceste modèle cette famille.

Dans cette famille, on souffre avec moi pour combler le besoin d’être des « souffrants » aux yeux des autres, à travers mon histoire.

Dans cette famille, on sussure à mon oreille « tu as tout pour être heureuse. 

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Tu étais très jeune quand même parce que, si tu avais 10/11 ans avec ton frère, c’était largement avant.

Moi, je dirai que j’avais sept ou huit ans. C’est un été où j’avais un t.shirt Snoopy où y’avait marqué » « Né pour dormir au soleil ». Mais c’est étonnant de ne pas vouloir retrouver l’âge exact. Ça me semble pas important, en fait. Mes parents, ils retrouveraient la date parce qu’il n’est venu qu’une fois alors ils savent très bien mais je ne leur ai jamais demandé.

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Et tu te souviens du t.shirt que tu portais ?

Oui.

C’est étonnant la mémoire des enfants.

Oui. Donc, je ne suis pas seulement victime de la pédocriminalité d’un prêtre, j’ai l’impression d’être victime de ma famille et ça, ça reste un quotidien qui est difficile quand même. Mes parents, ils ne m’ont jamais demandé pardon. Une association qui œuvre pour libérer les parole des victimes de violences sexuelles dans l’église me disait que la première réaction des familles des victimes, c’était de demander pardon, même s’ils n’y étaient pour rien. Mais pardon de ne pas avoir vu, pardon de ne pas avoir pu être là, pardon de ne pas avoir protégé, pardon de ne pas en avoir parlé, enfin de ne pas avoir parlé du fait que ça pouvait arriver : ça protège quand même vachement les enfants qu’on puisse un moment leur dire « Tu sais, il y a des personnes qui peuvent avoir envie de toucher ton corps et c’est important de pouvoir leur dire non, ils n’ont pas le droit »…

Il y a plein de raisons pour lesquelles les parents peuvent demander pardon mais mes parents ne m’ont jamais demandé pardon. Ça, c’est hyper dur. De toutes façons, ils m’ont demandé de me taire, quand même, clairement.

Là, quand tu étais adulte ?

Oui.

A 35 ans ?

Oui.

Ils t’ont demandé de te taire donc ils n’imaginaient même pas qu’on puisse aller dénoncer ce prêtre, même mort, à l’église ou à la justice ?

Ma mère, elle m’a demandé après, quelques temps après, si je voulais qu’elle en parle, parce que c’est toujours des grands copains, à l’évêque du diocèse, à ce moment là...

Dans les Hauts-de-Seine ?

Oui. Et je lui ai dit « Ah non surtout pas, tu fais rien ! »

Pour moi, et je suis sûre qu’elle le fait, ma mère, c’est de se servir de mon histoire pour être reconnue, pour être valorisée dans l’église, c’est insupportable ! Je suis sûre qu’elle le fait mais je ne veux surtout pas cautionner ça.

Alors moi, plus tard, j’en ai parlé à cet ami prêtre, je lui en avais déjà parlé, par amitié parce que j’ai confiance en lui et c’était une des premières étapes. Mais là, je lui en ai parlé de manière un peu plus officielle en lui disant que je voulais que le diocèse sache son nom...enfin non, je n’ai pas dit ça...j’ai dit que je voulais que le diocèse sache pour que, s’il y avait eu d’autres victimes, ça puisse se savoir...et c’est étonnant et je ne lui en veux pas parce que c’est lui mais sa réaction c’est...enfin il m’a répondu par écrit et puis après, on s’est appelé et il m’a dit « Bon, je ne vais pas donner son nom. » Et je dis :

« Pardon ?!! ...Tu ne vas pas donner son nom ?!! 

- Ben non.

- Bon alors d’abord, il est mort donc, de toutes façons, si ça le met en cause il est bien là où il est, il a bien de la chance. Et ensuite, s’il est vivant, faut quand même donner son nom, c’est important !!! »

*****

Et c’est dans cette démarche auprès de l’INIRR (Instance Nationale Indépendante de Reconnaissance et de Réparation) - en 2023 - qui met à jour l’inconcevable, l’ultime coup de poignard.

Dans la demande de réparation et de reconnaissance, une victime traverse, avec l’accompagnement d’un.e référent.e, plusieurs étapes.

L’une d’entre elles est la « vraisemblance ».

Il s’agit pour l’INIRR de contacter le diocèse du prêtre incriminé pour que ce diocèse rende compte d’un état des lieux : Que devient ce prêtre ? Y a-t-il d’autres victimes déclarées ? Le diocèse s’est-il positionné ? Les faits rapportés par la victime sont-ils vraisemblables ?…

Cette « vraisemblance » révélait que  :

- CG, ma mère, avait démarché le diocèse pour raconter les violences sexuelles dont j’avais été victime par ce prêtre

- il n’y avait pas d’autres victimes

- Mme V, moi-même, ne s’était jamais présentée au diocèse pour témoigner des faits incriminés.

Cette démarche valide la vraisemblance des faits à l’encontre de Robert C et pourtant je la reçois comme un coup de poignard … je me sens alors « à terre », le souffle coupé.

Pour reprendre mon souffle, me relever, une nuit, j’écris ces quelques mots à mes parents.
Je leur adresse quelques jours plus tard, le 11 mars 2023, une semaine avant mes 50 ans.

T., le 11 mars 2023

Papa, maman,

Après vous avoir confié la lettre qui disait qu’enfant, j’avais été victime, à plusieurs reprises, de pédocriminalité et d’inceste, j’ai souhaité distance et silence. Mais rapidement, maman, tu m’as demandé si je souhaitais que tu parles à l’évêque du diocèse des Hauts- de-Seine des actes incriminés à Robert C.

Je t’avais dit non et je me souviens même te l’avoir interdit.

Et pourtant, tu l’as fait, tu es allée rencontrer l’évêque et/ou le vicaire général et tu as raconté mon histoire.

Comment est-ce possible, surtout dans de telles circonstances, de ne pas respecter mon souhait ?

Pour reparler de cette lettre, nous nous sommes retrouvées au parc de la P, et quant au fait que j’avais été victime de pédocriminalité, et d’inceste, tu m’as demandé de me taire « parce que les enfants doivent protéger leurs parents à partir d’un certain âge ».

Comment est-il possible que moi, j’ai le devoir de me taire et toi, le droit de raconter MON histoire à un évêque ?

Seule, soutenue et entourée par A., par nos enfants, soutenue et entourée par nos ami.e.s, je me suis mise en chemin pour comprendre la colère qui m’animait, pour mettre à jour ces violences sexuelles, pour me relever, me reconstruire, pour vous écrire,vous parler…et tout cela à nos frais dans notre budget familial pour financer l’accompagnement d’un thérapeute.

Comment est-il possible que cet acte de dénonciation puisse appartenir à une autre personne qu’à moi-même ?

Samedi prochain, nous devions nous retrouver pour un moment de fête autour des anniversaires. Il ne sera pas possible de nous voir. Nous prendrons une nouvelle date, plus tard.

*****

Je n’ai jamais reçu, de mes parents, aucune réponse à ces quelques mots, pas d’explication, pas de pardon.

La rupture totale s’entame.

Je me sens « à terre », le souffle coupé.

Pour reprendre mon souffle, me relever, un jour, j’écris ces quelques mots au chef religieux qui avait reçu mon acte de dénonciation au diocèse des Hauts-de-Seine…

T., le 7 mai 2023

Bonjour,

Enfant, j’ai été victime, à plusieurs reprises de la pédocriminalité d’un prêtre, Robert C. Il était vicaire à la paroisse …

Il y a quelques années, au moment où, dans l’église, de plus en plus de victimes prenaient la parole pour raconter leur histoire, j’ai demandé à M. ami et alors prêtre dans ce même diocèse, s’il pouvait faire connaître les faits incriminés à Robert C aux responsables du diocèse.

M vous a alors contacté pour dénoncer les faits de pédocriminalité incriminés à Robert C. Il m’a ensuite relayé votre retour :

  • à ce jour, aucune autre personne ne s’est déclarée victime de ce prêtre
  • vous proposez de me rencontrer, si je le souhaite.

Or, je découvre aujourd’hui, à travers l’étape de vraisemblance avec l’INIRR, qu’il n’y a, au diocèse des Hauts de Seine, aucune trace, de cet acte de dénonciation.

Cet acte de dénonciation laissé sans trace est, pour moi, une blessure à part entière, blessure d’avoir confié mon histoire et que cette histoire laissée sans trace ne puisse alors pas participer à briser la loi du silence.

Je souhaite que cette carence soit réparée et j’ai besoin que soit adressée au diocèse des Hauts de Seine une trace écrite attestant de ma démarche qui dénonce la pédocriminalité de Robert C.

Je profite également de ce courrier pour demander, par votre intermédiaire, à l’église de ne plus utiliser le mot “pédophilie”: la pédocriminalité est catégoriquement et définitivement incompatible avec “l’amour de l’enfant”.

Je vous remercie pour votre attention,

*****

La réponse de ce chef religieux nationalement reconnu est « parfaite » sur le papier :

- il énonce la date de mon acte de dénonciation

– il rappelle les faits qu’il a signalé me concernant dans le cadre de la CIASE

– il souligne l’importance de la reconnaissance et de la réparation

– il me remercie pour ce chemin de vérité.

La réponse de ce chef religieux nationalement reconnu est « parfaite » sur le papier et pourtant elle résonne « faux » en moi. Sans identifier pourquoi, je me sens mal, profondément mal.

Cette réponse n’accueille pas, elle ne répond pas à mes demandes :

- archiver mon acte de dénonciation au diocèse des Hauts-de-Seine

- répondre à mon besoin de voir disparaître le mot « pédophilie » dans le vocabulaire de l’église.

Je lui écris à nouveau :

T., le 31 mai 2023

(…)

Effectivement, le plus important est la reconnaissance, la réparation.

Comme le propose et le formule l’INIRR, j’ai besoin d’une réparation symbolique, celle que je vous ai demandé dans mon premier courrier :

  • j’ai besoin que soit adressée au diocèse ... une trace écrite attestant de ma démarche qui dénonce la pédocriminalité de Robert C.
  • je souhaite que cette trace écrite prenne place dans les archives du diocèse.
  • j’ai besoin que, jamais plus, il ne soit possible, pour le diocèse..., d’écrire que “Madame V ne s’est jamais présentée au diocèse pour dénoncer les faits incriminés».

Je vous remercie pour votre attention,

Bien à vous

*****

La réponse suivante ne vient pas de ce chef religieux nationalement reconnu.

La réponse suivante vient du diocèse des Hauts-de-Seine. Le chef religieux nationalement reconnu lui a transmis ma lettre.

Cette lettre vient :

- m’assurer que mon acte de dénonciation est archivé au diocèse des Hauts de Seine,

- m’informer que finalement, il y a pour le compte de ce prêtre, plusieurs victimes.

Cet homme, chef religieux nationalement reconnu, n’a jamais reconnu qu’il avait laissé sans trace écrite mon acte de dénonciation.

Il ne m’a jamais présenté ses excuses ou demandé pardon.

Il n’a jamais répondu à ma demande de ne plus utiliser le mot « pédophilie ».

Je ne peux pas laisser sans réponse cette lettre du diocèse des Hauts de Seine.

Je ne peux pas laisser sans réponse une lettre de la hiérarchie dans l’église qui semblerait déplacer la responsabilité de la loi du silence.

T., le 5 juin 2023

Bonjour,

Je vous remercie pour votre courrier.

Je suis touchée que mon acte de dénonciation soit archivé.

D’autres personnes ont été victimes de la pédocriminalité de Robert C, c’est une très triste information. Je vous remercie de me la confier.

Je vous remercie également de reconnaître que les archives du diocèse « ne sont pas toujours bien tenues ».

(...)

Dans votre lettre, je lis « En répondant, je voulais confirmer clairement la vraisemblance de votre témoignage et évoquer le souhait d’avoir un message de votre part de façon à ce que le dossier de Robert C soit le plus complet possible. »

(...)

Pour faire ce travail de vérité, il me semble essentiel qu’un diocèse puisse exprimer ses besoins, de manière formelle et explicite auprès d’une victime.

Il appartiendra alors à la victime de répondre ou non à ces besoins.

Mais, en aucun cas, il n’est possible de faire porter à une victime la responsabilité de la loi du silence.

Je vous remercie pour votre attention.

Bien à vous,

*****

La rupture avec l’église est déjà une réalité depuis plusieurs années.
Le dégoût est au bord des lèvres.

L’épuisement est là.

J’aimerais poursuivre, j’aimerais demander à ce chef religieux nationalement reconnu de me présenter ses excuses pour avoir laissé mon acte de dénonciation sans trace.

L’épuisement est là, j’abandonne…

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Peut-être que tu peux me dire les conséquences, enfin selon toi ?

Oui, carrément.

Mais c’est un long processus ?

Oui…

Sur ta vie professionnelle aussi ? D’ailleurs j’en sais rien ? De parents ?

Oh ben dans tous les domaines. Tous les domaines…
Je me sens vraiment abîmée, fatigable...c’est à la fois une force et à la fois, parfois, je me sens très vulnérable.

J’ai beaucoup d’empathie pour les victimes. Dans mon boulot, ça joue beaucoup, je m’investis vachement parce que, que les enfants soient bien, qu’ils puissent arriver à l’école sereins, sans avoir de pression, s’ils sont pas bien parce qu’ils sont un peu mis de côté par les copains, qu’ils trouvent pas leur place dans le groupe...dès que des enfants souffrent, ça me touche énormément, je me sens tout de suite, tout de suite, invitée à faire un truc, enfin à les accompagner pour qu’ils trouvent leur place. Et ça marche bien ! J’y arrive mais ça me demande une énergie folle et puis du temps parce que, parfois, faut rencontrer les parents, faut prendre contact avec des thérapeutes et tout ça mais je ne regrette pas mais c’est aussi pour ça que je suis à 75 % et là, ça fait deux, trois ans que je suis là à dire « C’est pas juste, en fait, parce que, financièrement, ça ne colle pas, c’est compliqué, nos enfants vont être étudiants. »

*****

Le jour où je me relie à mon enfance, je quitte une impasse sombre, cet espace d’expression de la colère et de la violence.

Le jour où je me relie à mon enfance, j’entre dans un monde nouveau qui me révèle la jeunesse comme une perle précieuse, une perle qui a le pouvoir de transformer la vie.

Le jour où je me relie à mon enfance, j’entre dans un monde en couleurs où la jeunesse est là, vivante, fortifiante, créatrice.

Le jour où je me relie à mon enfance, j’entre dans un monde où la jeunesse est là comme un chemin à suivre.

Reconnaître l’existence de cette jeunesse, écouter sa parole, donner de la valeur à sa pensée, tenir compte de son avis, encourager ses idées, ses projets, respecter ses choix, ses envies bouscule et transforme ma vie.

Échanger, parler en vrai avec cette jeunesse, lui dire mes doutes, mes peurs, me nourrir de son expérience, m’enrichir de son savoir, lui présenter mes excuses, lui demander pardon, m’inspirer de sa manière d’envisager le monde panse mes blessures, m’ouvre les yeux, me lance dans la vie.

Aimer cette jeunesse me donne le goût de la vie !

*****

Et toi, sur ta vie affective, ça a eu de l’impact ?

Oui, ça a eu de l’impact...ça a eu de l’impact...ouais, les quelques fois où j’ai eu un copain, c’était catastrophique...j’étais complètement...notamment un, quand j’étais étudiante, j’étais complètement passive ..euh...tu vois, il m’avait dit : « Tiens, fais semblant de le draguer, et je le faisais... ». Il me disait, ça...j’étais encore complètement victime, sous l’emprise…

Attends, « Fais semblant de le draguer », lui ?

Non, non, son super copain « Vas-y, fais semblant de le draguer, drague-le pour voir ce que ça donne, fais du pied ou... ». Et je le faisais ! Donc complètement à sa merci.

C’était complètement foireux et puis, moi, j’étais éternellement insatisfaite, enfin, j’étais toujours malheureuse. Et puis là, il y a eu la rencontre avec A...je...je ne sais pas, je ne sais pas s’il y a un autre homme qui aurait pu...avec qui j’aurai pu construire ma vie, ma vie affective, sexuelle, conjugale et maternelle. Non non, il est vraiment… c’est difficile pour lui, je pense, à la fois, il est hyper compréhensif, hyper doux, hyper patient, voilà mais c’est compliqué.

Peut-être que tu as des choses à dire, que tu voudrais dire à moi mais au-delà de moi…

Euh, moi, ce qui me blesse le plus, c’est que...alors, c’est étroitement lié à mon histoire, sans doute que toutes les victimes ne doivent pas dire ça mais...on avait été voir une pièce de théâtre avec A. et à la fin, les comédiens, c’est La douzième île, je ne sais pas si tu connais, c’est sur le thème du nazisme, et à la fin, les comédiens, c’était amateur, ils déroulaient une banderole sur laquelle il y avait écrit une phrase de Einstein qui disait « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font du mal mais par ceux qui voient et qui ne font rien. » Cette idée reste essentielle pour moi. Et donc, moi, je suis vraiment blessée par toute cette église qui a vu, qui voit, qui ne fait rien. C’est étroitement lié parce que ma mère était là quand ça m’est arrivé. Les pédocriminels...ça relève de la pathologie et de la perversité. Les personnes qui ont vu, qui sont censées être saines d’esprit, tout en conscience, et qui ne disent rien, c’est juste pas possible, pour moi, c’est coupable de la même manière et condamnable de la même manière.

Alors, c’est vrai que l’inconscient collectif commence tout juste à s’éveiller un peu et qu’on commence à se dire « Non, ce n’est pas possible d’accepter que les enfants puissent servir à assouvir les désirs de ces hommes et tout ça. » Mais quand même. Et puis beaucoup de suspicion sur le fait que comment ça se fait que l’église rassemble autant de personnes qui ont ce genre de comportement ?!! L’église, enfin pour moi, s’accapare le pouvoir en détournant complètement la sexualité, en faisant dire à l’évangile ou à l’ancien testament, des trucs qui sont faux, c’est vraiment de l’abus de pouvoir, on nous prend pour des cons. C’est de la manipulation. Tout en disant qu’il y a des gens qui sont de l’église et qui ne sont pas comme ça.

Voilà, enfin c’est un scandale !!

Et, est-ce que, en tant que victime d’abus, tu aurais envie de recommander des choses à cette commission qui m’emploie ? Je me dis que ces entretiens là, c’est aussi une manière de faire passer des messages.

Oh, ne faire aucun cadeau aux gens qui savaient, de les mettre face à leurs responsabilités et de ne rien laisser passer.

Un homme racontait qu’il avait posé la question à une femme « Mais puisque vous saviez... », parce qu’il n’y a pas que les prêtres qui cautionnent. « Si vous saviez que ce prêtre avait un comportement pédocriminel, pourquoi avez-vous inscrit votre petite fille dans ce groupe scout où il était aumônier ? ». Et elle a répondu « Parce qu’il s’en prenait aux garçons, pas aux filles. »

Tu vois, quand j’entends ça, je me dis que ma mère qui aurait vu, ce n’est pas du tout impossible.

Dans le rétroviseur…

Oui.

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Contact : charlottevazy@gmail.com

MERCI à mon compagnon A - MERCI à chacun.e de nos enfants - MERCI à Marie Remande, « écriveilleuse » - MERCI à la ciase, Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église, MERCI à Josselin Tricou, sociologue dans le cadre de la ciase, MERCI à l’inirr, Instance Nationale Indépendante de Reconnaissance et de Réparation, MERCI aux premières lectrices de ce texte, MERCI chères et chers ami.e.s !


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